« Quel gâchis ! » C'est un diagnostic aussi sévère que lucide de la situation de la droite qu'a posé Alain Juppé hier matin, lors d'une déclaration télévisée au cours de laquelle il a exclu, « une bonne fois pour toutes », d'être candidat à la présidentielle française.
L'on s'y attendait, si tant est qu'on puisse encore s'attendre à quelque chose lors de cette campagne hallucinante, son entourage ayant indiqué, la semaine dernière, que Juppé ne prendrait le relais de François Fillon que si ce dernier se retirait de lui-même et si le parti apportait un soutien unanime au Bordelais.
Or, François Fillon, dont un Juppé aussi droit dans ses bottes qu'amer a critiqué l'obstination, ne veut rien lâcher. Malgré une convocation pour mise en examen, malgré les défections en série, jusqu'à celle de son directeur de campagne, malgré des appels à un retrait émanant de son propre camp, malgré les sondages en baisse, malgré tout. Présentant les symptômes d'un « complexe de Massada », le vainqueur de la primaire de la droite se retranche derrière la dénonciation d'un complot, d'un assassinat politique, d'un « hold-up démocratique ». Et égratigne au passage ces piliers de la démocratie que sont la justice et les médias, faciles boucs émissaires accusés de tous ses maux.
Se posant en défenseur d'une France mythifiée, la « France des paysans, des cathédrales, des châteaux et des sans-culottes », poussant à une radicalisation de son noyau dur, Fillon a répété, martelé, qu'il ne se rendrait pas, qu'il ne céderait pas.
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Hier soir, c'est sa famille politique, ou tout du moins une partie d'entre elle, qui a cédé. Hier soir, le vainqueur de la primaire a réussi à arracher le « soutien unanime » du comité politique des Républicains. Mais ce soutien accordé par ceux-là mêmes qui le pressaient de se retirer quelques heures plus tôt, ceux-là mêmes que Fillon était prêt à emporter dans sa tourmente, ce soutien de crise, forcément marchandé plutôt que de conviction, suffira-t-il justement à convaincre les électeurs et à sauver la droite de l'éclatement ?
À gauche, l'heure est aussi à l'éparpillement façon puzzle. Les prémices de cette dispersion étaient visibles dès les primaires, auxquelles ont refusé de participer Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Depuis la victoire de Benoît Hamon, l'éparpillement entre sensibilités passablement irréconciliables est renforcé par l'engluement de la campagne de la gauche. Au point qu'au sein du PS, on appelle aujourd'hui Hamon à donner des « preuves d'amour » – des « preuves d'amour » ! – à sa famille politique afin de la rassembler. Car il y a péril en la demeure. Preuve en est la menace de sanctions brandie par le premier secrétaire du PS en direction des élus encartés tentés par un ralliement à Macron.
Le 21 avril 2002, la gauche représentée par Lionel Jospin trébuchait sur les marches du premier tour, véritable coup de tonnerre sur la scène politique française. Le 23 avril prochain, c'est la gauche et la droite qui risquent – sauf retournement majeur des sondages – de s'écraser sur le barrage du premier tour, un scénario qui placerait les électeurs face à une alternative inédite : Macron, candidat aux contours flous, et Marine Le Pen, représentante de l'extrême droite. Une première sous la Ve République. Un séisme potentiellement lourd de conséquences et dont les répliques devraient longtemps et gravement agiter la France.
Sauf à un sursaut dès aujourd'hui de la campagne, cette dernière aura d'ores et déjà fait une victime : le débat politique.
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commentaires (2)
Nous voilà donc, à un mois et demi des présidentielles, face à un quarté original : en tête une Marine Le Pen et un Emmanuel Macron dont l’affrontement au second tour, s’il avait bien lieu comme tous les sondages le pronostiquent, avaliserait la mise au rencard du vieux clivage gauche-droite au profit d’une franche opposition entre boniment europhile et démagogie antilibérale, et au bas du podium Fillon, ravalé médiatiquement au rang de candidat de la Manif pour tous, et Hamon, avec sa brigade anti-discriminations et son revenu universel, candidat des nostalgiques de Nuit Debout et du prêt-à-penser de la révolution libertaire. En somme, les deux candidats sociétaux, peu à peu lâchés l’un comme l’autre par leurs troupes et leur famille politique. Il n’y a pas qu’aux inaugurations de la LGV présidées par Hollande qu’on se fait tirer dans les pattes. Ainsi, pendant que le duel attendu entre la France d’en bas et la France d’en haut se prépare, les seconds couteaux supposés rejouent un vieux scénario gauche-droite que les médias adorent: celui de la France réactionnaire et rance contre les partisans du progressisme éclairé ; Fillon dimanche au Trocadéro pour lancer un appel solennel et quelque peu désespéré au peuple de droite et la gauche comme-il-faut à République pour protester contre l’appel de Fillon. Oui, mais voilà, rien ne se passe comme prévu .
FRIK-A-FRAK
13 h 06, le 07 mars 2017