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Liban - Témoignage

« J’ai dû me rendre en Syrie sous les bombes russes pour faire une carte d’identité à mon fils »

Ghada, militante pour le droit des Libanaises à transmettre leur nationalité, revient sur son calvaire : « Le devenir de nos enfants est inconnu, il est tributaire d'un permis de séjour lui-même rattaché à un passeport ou une carte d'identité. »

« La loi sur la nationalité est périmée », peut-on lire sur une pancarte tenue par Ghada lors d’un sit-in devant l’ambassade de France en novembre dernier.

Ghada, 49 ans, habite à Hay el-Yacha, derrière la Cité sportive, à Beyrouth, un quartier populaire où elle a élevé seule ses trois enfants, après avoir divorcé de son mari, d'origine syrienne. La femme libanaise n'étant pas en mesure de transmettre sa nationalité à ses enfants, Ghada s'est retrouvée, à l'instar de ces milliers de Libanaises mariées à des étrangers, prise dans le cercle vicieux de la bureaucratie, des papiers à renouveler pendant toute une vie et du système politique confessionnel. Elle raconte son périple à L'Orient-Le Jour.

C'est un véritable chemin de croix que vit Ghada, dont les deux aînés, âgés de 26 et 24 ans, se sont récemment rendus illégalement en Suède avec des proches, empruntant à travers l'Europe des voies maritimes et terrestres semées de dangers, à l'instar de milliers d'autres Syriens ayant fui l'enfer de la guerre. Ils sont d'abord partis en avion de Beyrouth jusqu'à Istanbul, en Turquie, avant de se rendre à Izmir où des passeurs les ont emmenés en Grèce en bateau. Ils ont alors traversé l'Europe en direction de la Suède où ils se trouvent aujourd'hui, en attendant de pouvoir régulariser leur situation.

Sauf que Mohammad, le fils aîné de Ghada, a perdu ses papiers lors d'une bousculade en Slovénie, alors qu'il portait son neveu de 9 mois dans les bras. Ghada a donc dû remuer ciel et terre à Beyrouth pour lui refaire des papiers attestant de son identité et les lui expédier en Suède. Aujourd'hui, ses enfants attendent une décision judiciaire suédoise pour savoir s'ils pourront rester sur place.
« Si ça ne marche pas, Mohammad sera renvoyé en Turquie, mais il ne pourra pas rentrer au Liban car, depuis la crise des réfugiés syriens, chaque Syrien qui sort d'ici ne peut pas rentrer sans être pistonné. Il a donc décidé de s'enrôler dans l'armée syrienne s'il est expulsé de Suède parce qu'il n'a pas d'autre choix. Le Liban n'est plus pour nous », déclare Ghada. « À chaque fois qu'il se présentait pour un travail, on lui disait : "Vous êtes syrien et il n'y a pas de place pour vous ici." Les ouvriers syriens, eux, travaillent souvent illégalement, acceptent des salaires de misère et vivent à plusieurs dans un même appartement. Mais pour quelqu'un qui est du pays, c'est une situation difficile à supporter », explique-t-elle.

Mahmoud, 15 ans, est le plus jeune de la fratrie et a envie d'intégrer l'armée libanaise, mais il ne peut pas le faire, vu que sa mère ne peut pas lui transmettre sa nationalité. Faute de choix, il a décidé de rejoindre l'armée syrienne à ses 18 ans, alors qu'il n'a jamais vécu dans le pays de son père. « Mahmoud est libanais, au final. Il a passé toute sa vie ici, il parle libanais et aime le Liban. Mais que peut-il faire d'autre de sa vie ? » se demande Ghada.

 

(Pour mémoire : « Maman, pourquoi je ne suis pas libanaise ? »)

 

 

« L'État doit avoir de la compassion et régler cette affaire »
Grâce à leur combat incessant, les associations de la société civile, dont Ghada fait partie, et qui militent pour que les Libanaises puissent transmettre leur nationalité à leurs enfants, ont réussi à obtenir il y a quelques années de l'ancien ministre de l'Intérieur Ziyad Baroud des permis de séjour de trois ans pour les Syriens de mère libanaise ayant plus de 14 ans et qui disposent de leur carte d'identité. Ghada, dont le fils Mahmoud a eu 15 ans cette année, a donc dû se rendre en mars dernier à Lattaquié pendant une semaine pour lui obtenir une carte d'identité et un passeport. Un voyage pour lequel elle a dû emprunter de l'argent. « Je me suis rendue là-bas au péril de ma vie, et sous les bombardements russes, pour faire une carte d'identité à mon fils, afin qu'il puisse renouveler son séjour pour les trois années à venir », raconte-t-elle.

Ghada dénonce par ailleurs un système bureaucratique sclérosé qui pousse les familles comme la sienne au désespoir. « Une fois, j'ai envoyé le permis de séjour de mon fils à la Sûreté générale pour renouvellement avant qu'il n'arrive à expiration. Quelques jours plus tard, le nouveau permis n'avait toujours pas été émis et on m'a fait payer une amende de 300 000 LL parce que l'ancien permis de séjour avait entre-temps expiré ! C'était soit l'amende, soit 10 jours de prison puis l'expulsion pour mon fils. J'ai commencé à pleurer, je leur ai dit que mon fils n'avait rien fait de mal pour aller en prison. J'ai dû emprunter de l'argent à ma mère pour payer l'amende », confie Ghada.

Si la mère de famille a réussi à obtenir des permis de séjour pour ses enfants, elle ne pourra pas en outre se porter garante de ses petits-enfants. « La loi m'autorise, en tant que Libanaise, à me porter garante de mes propres enfants, mais je ne peux le faire pour mes petits-enfants. Il leur faudra, eux, un autre garant libanais que moi. On a commis une erreur en faisant des enfants dans ces conditions, mais pourquoi nos petits-enfants vont-ils également devoir en payer le prix ? On veut être égales aux hommes qui peuvent transmettre leur nationalité à leurs épouses et leurs enfants. L'État doit avoir un peu de compassion et régler cette affaire, ça ne sera que bénéfique pour tout le monde », souligne Ghada d'un ton ferme.

« Il y a 90 000 personnes dans ce cas, entre conjoints et enfants de Libanaises, dont seulement 180 chrétiens. Par ailleurs, à peine 3 % des Palestiniens du Liban sont nés de mères libanaises. Si les politiques ont peur pour l'équilibre confessionnel lors des prochaines élections, nous leur disons que nous acceptons d'être traités comme des citoyens de seconde catégorie et de ne pas obtenir le droit de vote », lance-t-elle.
« J'ai écrit au ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil (après que ce dernier a invité les Libanais de la diaspora à recouvrer la nationalité libanaise). Je lui ai dit que les immigrés sont partis de leur propre gré et que s'ils ne veulent pas de notre nationalité, je ne vois pas pourquoi on devrait la leur donner. C'est inacceptable. Chaque enfant de mère libanaise devrait avoir la nationalité, c'est la moindre des choses. On est de plus en plus nombreux à vivre ce genre de situation, donc il faut régler le problème », ajoute-t-elle.

« Le devenir de nos enfants est inconnu, il est tributaire d'un permis de séjour lui-même rattaché à un passeport ou une carte d'identité. Qui va aller en Syrie pour leur renouveler leurs cartes d'identité quand ils seront vieux ? se demande Ghada. Tant que je serai en vie, je ne laisserai pas tomber le combat. Mon cèdre, c'est ma vie, et il y aura des manifestations bientôt dans le cadre de ce dossier. Ma famille me dit de laisser tomber, mais je réfléchis pour l'avenir », conclut-elle.

 

 

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MAIS LE DROIT DES MERES LIBANAISES A OBTENIR LA NATIONALITE POUR LEURS ENFANTS DOIT ETRE SACRE !

LA LIBRE EXPRESSION

21 h 38, le 18 février 2017

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Commentaires (2)

  • MAIS LE DROIT DES MERES LIBANAISES A OBTENIR LA NATIONALITE POUR LEURS ENFANTS DOIT ETRE SACRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 38, le 18 février 2017

  • LES CARTES D,IDENTITE SE FONT A DAMAS... OU FURENT LES BOMBES RUSSES ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 59, le 18 février 2017

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