Le Liban est-il à la veille d'une flambée des prix des boissons alcoolisées ? C'est le scénario que semblent redouter de nombreux médias et sites d'informations locaux depuis 48h et qui affirment que le gouvernement serait sur le point d'augmenter de 400 % les taxes sur les alcools importés.
Or cette mesure, qui prévoit de multiplier par cinq les taxes qui grèvent trois catégories d'alcools importés au Liban, fait bien partie des pistes envisagées par le gouvernement pour augmenter les recettes fiscales. Des pistes qui sont notamment inscrites dans les 1 200 pages de l'avant-projet de budget élaboré par le ministère des Finances et que L'Orient-Le Jour a pu consulter.
Bière, vin et spiritueux
Ainsi, dans le cas où cette mesure serait approuvée, la taxe sur le litre de bière passerait de 60 livres (0,04 dollar) à 300 livres (0,2 dollar) ; celle sur le litre de vin ou de champagne, de 200 livres (0,13 dollar) à 1 000 livres (0,6 dollar) et enfin celle sur les spiritueux (whisky, vodka, gin, etc.), de 400 livres (0,27 dollars) à 2 000 livres (1,3 dollars). Cette mesure pourrait dès lors générer, selon un reportage diffusé jeudi soir par la chaîne de télévision locale MTV, plus de 20 millions de dollars de recettes publiques, soit près de la moitié du total des taxes sur les boissons alcoolisées tel qu'anticipé dans l'avant-projet de budget (qui atteint environ 46,8 millions de dollars). Pour rappel, le déficit public en 2015 a atteint quatre milliards de dollars en 2015, (+28,6 % par rapport à 2014, selon le ministère des Finances), avec des dépenses qui avaient atteint 13,5 milliards de dollars sur cet exercice (-3 % en un an) et seulement 9,6 milliards de dollars (-12 %).
La hausse de la taxe sur les alcools importés fait ainsi partie de la vingtaine de mesures fiscales finalisées fin août par le ministère des Finances pour doper les recettes de l'État. Le Conseil des ministres doit les examiner dès mercredi prochain afin de dégager un projet de budget qui devrait ensuite être soumis au vote du Parlement, avec plusieurs mois de retard sur le calendrier fixé par la Constitution.
Le Liban n'a pas réussi à voter de budget depuis 2005 en raison de blocages politiques récurrents. Une situation qui pourrait toutefois rapidement évoluer dans le sillage du consensus qui a mené à l'élection, le 31 octobre, de Michel Aoun à la présidence de la République à l'issue de deux ans de vacance présidentielle. Selon des sources ministérielles anonymes relayées par la correspondante de L'Orient-Le Jour au palais présidentiel de Baabda, Hoda Chedid, le gouvernement souhaite en effet achever les discussions sur cet avant-projet de budget d'ici à « fin février » et a prévu de se réunir à trois reprises, de mercredi à vendredi, pour « accélérer » le processus.
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Si l'existence de cette mesure est bien établie, les responsables politiques et institutionnels ne se bousculent pas pour en revendiquer la paternité. Contacté par L'Orient-Le Jour, le service de presse du ministère des Finances a attribué cette proposition d'augmentation des taxes sur les importations d'alcool aux députés Simon Abiramia (Courant patriotique libre) et Hadi Hobeiche (courant du Futur). « Ni moi ni M. Hobeiche ne sommes à l'origine de cette proposition », s'est défendu pour sa part M. Abiramia, qui reconnaît toutefois avoir « travaillé sur un autre système de taux ». M. Hobeiche n'était pas joignable pour répondre aux questions de L'Orient-Le Jour.
Marges confortables
Il reste que la perspective d'une hausse des taxes sur les importations d'alcool a provoqué une levée de boucliers dans la majorité des secteurs qu'elle va concerner, même s'il est difficile de savoir dans quelle mesure elle pourrait se répercuter sur le consommateur final. « Cette nouvelle taxe va forcer les commerçants à multiplier par cinq les liquidités nécessaires (pour constituer leurs stocks) », affirme à L'Orient-Le Jour le président du syndicat des importateurs de boissons alcoolisées, Michel Abiramia. Il affirme qu'appliquer « la même hausse sur tous les types d'alcools va surtout affecter le pouvoir d'achat des consommateurs les plus pauvres » et propose de taxer les importations de ce type de produits en fonction du degré d'alcool ou du prix hors taxes.
Également opposé à cette mesure, le président du syndicat des propriétaires de restaurants, de boîtes de nuit et de cafés, Tony Ramy, a rappelé dans un communiqué publié hier par l'Agence nationale d'information (ANI) que « la part des ventes d'alcool représentait 90 % du total réalisé par les boîtes de nuit et 30 % par les restaurants ». Interrogé par la MTV (dans un entretien relayé par l'agence al-Markaziya), le président de la Fédération des syndicats touristiques, Jean Beyrouthi, a pour sa part déclaré que « la solution au déficit budgétaire de l'État se trouvait plutôt dans la réduction du gaspillage de l'argent public ».
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Plus partagé, le président de l'Association de protection des consommateurs, Zouhair Berro, estime que « la hausse des taxes sur les produits qui ne sont pas de première nécessité, comme l'alcool, est une mesure appropriée ». Pour lui, les marges des commerçants sur les ventes d'alcools sont suffisamment confortables – il évoque des marges allant jusqu'à 100 % – pour qu'ils ne « répercutent pas cette hausse des taxes sur les consommateurs ». Une analyse contestée par Michel Abiramia, pour qui les marges des commerçants sur ce type de produits ne dépassent pas 15 %.
Enfin l'argument de santé publique, qui pourrait justifier la hausse des taxes sur les importations d'alcools, semble irrecevable. Épidémiologiste et enseignante à l'Université américaine de Beyrouth (AUB), Lilian Ghandour pense en effet que la hausse des taxes ne devrait pas suffire, à elle seule, à impacter la consommation, « notamment chez les jeunes », et souligne la nécessité d'accompagner cette hausse par d'autres mesures, comme « la réduction des publicités pour ce type de boisson ».
NB : Ce texte et son titre ont été revus pour corriger une erreur de calcul : les taux actuels de taxation des différents alcools importés étant bien multipliés par cinq, la hausse des taxes sur ces produits serait de 400 % si cette proposition est adoptée.
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Or cette mesure, qui prévoit de multiplier par cinq les taxes qui grèvent trois catégories...
commentaires (13)
l'actuel niveau de taxation des alcools est ridiculement bas. on peut facilement le quintupler. c'est surtout les cigarettes qu'il faut taxer lourdement. et tant qu'on y'est : 1000% de plus sur les cigares Cohiba, Partagas ou autres saletés qui nous polluent nos soirees
Lebinlon
12 h 17, le 13 février 2017