Rechercher
Rechercher

Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

« Pile je gagne, face tu perds », un paradoxe qui peut rendre fou

Nous avons vu dans le dernier article comment les recherches de l'École de Palo Alto ont mis en évidence l'importance de la communication dans les familles de schizophrènes, communications caractérisées par le message paradoxal, « double bind » ou « double contrainte ». Ce discours paradoxal n'invite pas à résoudre une contradiction, car face à une contradiction le choix est toujours possible.

Le message paradoxal pousse à un choix impossible. Ce choix impossible pousse à un comportement étrange, bizarre ou violent qui correspond au comportement schizophrénique. Gregory Bateson et ses collaborateurs dont, entre autres, Jay Haley, Paul Watzlawick, Donald Jackson (fondateur en 1960 du MRI, Mental Research Institute), finissent par considérer la maladie mentale comme un mode d'adaptation à une structure pathologique des relations familiales elles-mêmes. Auteurs de plusieurs ouvrages dont Une logique de la communication (Paris, Seuil, 1972), P. Watzlawick, J. Beavin et D. Jackson poussent leurs recherches très loin, recherches qui finissent par ouvrir sur des perspectives d'utilisation des paradoxes dans un but thérapeutique.

Dans « Pile je gagne, face tu perds », on a une idée du type de discours paradoxal adressé par les parents des schizophrènes à leurs enfants. Comme nous l'apprend PC Racamier (1924-1996), membre de la SPP et grand spécialiste de la psychose, le paradoxe est une « stratégie pour ne pas prendre conscience de l'ambivalence ». Comme c'est le cas du schizophrène avec sa mère. L'enfant n'arrive pas à comprendre pourquoi sa mère le traite comme ça, mais il sent qu'elle fait face à un sentiment douloureux. Il finit par accepter son statut de schizophrène pour donner à sa mère l'opportunité d'avoir raison de s'inquiéter de sa schizophrénie. Comme si on disait « schizophrénie de l'enfant, angoisse de la maman » en paraphrasant le vieil adage pédiatrique : « Otite de l'enfant, angoisse de la maman ».

Pour les chercheurs de l'École de Palo Alto, l'humour et le rire peuvent être des réponses naturelles à une situation paradoxale et donc impossible : « Le rire semble signifier l'acceptation (de la situation impossible), il a ainsi un effet homéostatique, stabilisateur. » C'est comme cela qu'ils analysent la communication paradoxale entre Georges et Martha dans Qui a peur de Virginia Woolf. Pour eux, « l'escalade symétrique » que René Girard appelle « la montée aux extrêmes » montre bien comment aucun d'eux n'accepte de se laisser dépasser. Le contenu peut être différent, mais « la structure du discours reste la même et ils parviennent à une stabilité momentanée en riant ensemble ».
Ainsi, dans l'une des scènes, typique du couple, Martha dit à Georges :
– Martha : « Tu sais ce que je fais, Georges ? »
– Georges : « Non... Qu'est-ce que tu fais, Martha ? »
– Martha : « Je m'amuse... et je m'occupe de l'un de nos invités. Je suis pendue à son cou. »
– Georges : (ne répond rien...)
– Martha : « Je te dis que je suis pendue au cou de notre invité. »
– Georges : « Très bien... très bien... Continue. »
– Martha : « Très bien ?... »
– Georges : « Mais oui... c'est bien... tu as raison. »
Au bout d'un moment :
– Martha : « Je me dégoûte... je passe mon temps en coucheries sinistres, sans intérêt... si on peut appeler ça coucher. Sauter la patronne ? Ah là, là... Y aurait de quoi rire... »

Ainsi, Martha finit par rire d'elle-même : « Sauter la patronne ? Ah là, là... Y aurait de quoi rire. » Les réponses paradoxales de Georges ont fini par la désarçonner. L'inverse se produit tout aussi fréquemment. Le but du jeu n'est pas de détruire l'autre comme on pourrait le penser si on n'écoutait que le contenu du discours. Comme l'appellent les auteurs de Une logique de la communication, c'est une « coopération conflictuelle » ou un « conflit coopératif » qui nécessite une complicité de la part de l'autre (comme le font les États belliqueux qui n'ont que la force, la violence et la haine de l'autre pour affirmer et confirmer leur identité).

En ce qui concerne Georges et Martha, une « limite supérieure » freine leur escalade, sinon on peut en arriver au meurtre, au sens propre du terme. Cette limite supérieure est régie par des règles : les coups qu'ils échangent doivent porter, soit faire mal à l'autre, mais pas seulement : « Ils doivent faire preuve d'esprit et d'audace. » Ainsi « l'escalade symétrique » se termine par un surcroît d'estime à l'égard de l'autre. Qui va relancer la prochaine escalade. Et le couple invité par Martha au début de la pièce pour provoquer Georges et susciter sa jalousie n'a plus aucun intérêt.

 

Dans la même rubrique

Le message paradoxal (double bind) et la schizophrénie (suite)

Le discours collectif autour de la schizophrénie aboutit à la ségrégation du fou (suite)

La schizophrénie n'est ni une fatalité ni une malédiction

La schizophrénie, un discours subversif, celui de l'inconscient (suite)

La schizophrénie et la pseudo-« dangerosité » des fous (suite)

Nous avons vu dans le dernier article comment les recherches de l'École de Palo Alto ont mis en évidence l'importance de la communication dans les familles de schizophrènes, communications caractérisées par le message paradoxal, « double bind » ou « double contrainte ». Ce discours paradoxal n'invite pas à résoudre une contradiction, car face à une contradiction le...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut