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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La schizophrénie, un discours subversif, celui de l’inconscient (suite)

Nous sommes à notre énième article sur la schizophrénie et les expériences alternatives aux soins psychiatriques classiques. Le lecteur peut penser: pourquoi donner tant d'importance à la schizophrénie? Ce n'est pourtant pas la plus fréquente des affections psychiques. Elle concerne très peu de gens.
C'est vrai qu'elle ne touche que 0,7% de la population mondiale, mais son discours, au-delà de la souffrance et des malheurs, d'où il vient et qu'il entraîne, est, en lui-même, une subversion de l'ordre social. Le discours schizophrénique est un livre ouvert sur l'inconscient, donc ouvert à tous les dangers. Si le discours de la névrose est bâti sur le refoulement, celui de la schizophrénie est bâti sur l'absence de refoulement. C'est donc un livre ouvert sur l'inconscient.
Voilà pourquoi il attire ou il repousse.
Il repousse ceux qui ont peur de la vérité, ceux « qui entendent mais ne comprennent pas, ceux qui regardent mais ne voient pas » (l'Évangile selon saint Matthieu). Et il attire ceux qui veulent savoir et que la vérité n'effraie pas. Au point que si Freud admet qu'«il n'y a pas de transfert psychotique» et que Lacan ajoute «il y a un transfert au psychotique». Le schizophrène suscite donc un transfert, comme le psychanalyste. Comme le psychanalyste, le schizophrène est donc un «sujet supposé savoir». Comme le dit Michel Foucault: «La psychose étale dans une illumination cruelle et donne sur un mode non pas trop lointain, mais justement trop proche, ce vers quoi la psychanalyse doit lentement cheminer.» À savoir vers la connaissance de la vérité.
Cette position de Foucault rejoint celle de Ferenczi et celle de Lacan sur la fin de l'analyse dite didactique, celle qui forme l'analyste à être analyste de profession. Autant Ferenczi que plus tard Lacan témoignent que la fin de l'analyse nous fait traverser un «moment psychotique» qui provient d'une certaine «fraternité» avec la psychose.

Nous sommes tous des «schizophrères»
Cette fraternité avec la psychose pendant la fin de l'analyse indique que la fin de l'analyse nous libère du poids de l'Autre dont on était dépendant. Pour le schizophrène, l'Autre est envahissant dès le début et son parcours, son délire est une tentative permanente pour s'en libérer. Au départ pour le schizophrène et à l'arrivée pour l'analyste, l'Autre est mis en cause: il n'existe pas. Sauf pour ce qu'il en est de Dieu.
Pour l'analyste en fin de parcours, il ne s'agit pas de nier l'Autre et la dette qu'on lui doit, mais de s'autoriser analyste sans attendre son autorisation. Comme le pose le principe lacanien, «l'analyste ne s'autorise que de lui-même». Soit de «s'auteuriser», devenir auteur à son tour. «On rend mal son dû à un maître quand on en reste toujours et seulement l'élève», dit Nietzsche. Contrairement à Freud qui, pour contrer Ferenczi qui a été plus loin que lui dans la théorie de la fin de l'analyse, n'hésite pas à affirmer: «L'homme ne veut pas se soumettre à un substitut du père, il ne veut se sentir obligé à aucune reconnaissance» (Analyse finie, analyse infinie). Confondre soumission et reconnaissance est étrange de la part de Freud. Sauf si c'est une affirmation politique, auquel cas il en fait un legs à l'institution analytique où la soumission est encore de règle, malheureusement.
En effet, cette position de Freud sera reprise dans les cercles de l'Association psychanalytique internationale (IPA) qui fera de la fin de l'analyse une «identification à l'analyste», aberration totale dont nous reparlerons ultérieurement.
Voilà pourquoi, en ce qui concerne la formation psychanalytique de Lacan lui-même, Élisabeth Roudinesco n'hésite pas à affirmer que Lacan a fait son analyse avec Marguerite Anzieu et non pas avec Rudolph Lowenstein, son analyste formateur. Marguerite Anzieu, patiente hospitalisée à Sainte-Anne dans les années 30, est suivie par Lacan, alors jeune interne. La paranoïa, ce dont elle souffrait, Lacan allait en faire son sujet de thèse: De la paranoïa dans ses rapports avec la personnalité (1932).
Le «transfert au psychotique», notion élaborée ultérieurement par Lacan, trouve son origine dans sa relation avec cette patiente. Dans sa thèse, il l'appelle Aimée. Jean Allouch, l'un des élèves de Lacan, n'hésite pas à intituler l'un de ses livres consacré à la thèse de Lacan paru en 1990, Marguerite, ou l'Aimée de Lacan, témoignant par là que Lacan a aimé Aimée, d'un amour transférentiel, soit l'amour pour un «sujet supposé savoir». Faire du psychotique quelqu'un qui peut occuper la même position que celle d'un analyste, voilà quelque chose qui choque les habitués du prêt-à-porter de la pensée. La folie nous interroge donc au plus profond de nous, au lieu de notre vérité refoulée, oubliée, combattue, pour peu qu'on n'ait point peur de l'écouter et de l'entendre.

Nous sommes à notre énième article sur la schizophrénie et les expériences alternatives aux soins psychiatriques classiques. Le lecteur peut penser: pourquoi donner tant d'importance à la schizophrénie? Ce n'est pourtant pas la plus fréquente des affections psychiques. Elle concerne très peu de gens.C'est vrai qu'elle ne touche que 0,7% de la population mondiale, mais son...

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