Rechercher
Rechercher

Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le message paradoxal (double bind) et la schizophrénie (suite)

Parmi les expériences alternatives à la psychiatrie asilaire dans les soins donnés aux schizophrènes et autres psychoses, nous avons vu l'École expérimentale de Bonneuil fondée par Maud Mannoni dans les années 60 et, dans le dernier article, le service de psychiatrie du Professeur André Bourguignon, tous deux fonctionnant selon les principes de la psychothérapie institutionnelle.
Dans les années 60/70, portées par la remise en cause radicale de la société de consommation et par l'esprit de liberté qui anima le mouvement de mai 68, les expériences alternatives à l'asile psychiatrique se sont multipliées à travers l'Europe et les États-Unis. Toutes les voix que l'ordre social faisait taire avaient désormais leur place. Pour donner cette voix aux fous, il fallait abattre Les murs de l'asile, titre du livre de Roger Gentis, psychiatre hospitalier membre du mouvement alternatif à la psychiatrie asilaire. Les expériences alternatives se multipliaient en Europe tandis qu'aux États-Unis, ce sont les recherches alternatives qui étaient à l'avant-garde.
Ainsi, à l'École de Palo Alto (Californie) fondée par Grégory Bateson (1904-1980), pionnier de la pensée antipsychiatrique, on considère la folie comme une réponse à une communication paradoxale tenue par les parents. Cela fut à la base de la thérapie familiale. Anthropologue, influencé par la cybernétique, Bateson est à l'origine du concept de « double bind » ou double contrainte. Cette notion se fonde, entre autres, sur le fait que notre langage se situe à deux niveaux : le langage verbal et le langage infra verbal. Par exemple, une mère rentre chez elle et s'adresse à son enfant assis par terre en train de jouer : « Tu ne viens pas embrasser ta mère ? » L'enfant court vers sa mère pour l'embrasser et la mère fait un mouvement de son corps qui signifie à l'enfant « Ne t'approche pas ». Médusé, l'enfant s'arrête, immobilisé, paralysé. La répétition de ce discours paradoxal peut pousser l'enfant à un comportement « fou », ou violent.
Mais le paradoxe peut se situer au niveau du langage verbal lui-même. Prenons l'exemple d'une mère qui offre à son fils deux cravates, l'une rouge, l'autre noire. Quand le jeune homme porte la cravate rouge, la mère lui dit « Tu n'aimes pas la noire ? ». Quant il met la cravate noire, la mère lui dit « Tu n'aimes pas la rouge ? ».
Au bout du compte, il finit par sortir en public en ayant mis les deux cravates ensemble. Et la réaction ne tardera pas à venir : Il est fou.

« Ignorez ce signe »
L'exemple type du double bind ou du discours paradoxal se trouve dans l'exemple d'un panneau de signalisation. On roule sur une autoroute, un panneau indique : « Ignorez ce signe. » Le fait de regarder le panneau est une transgression quant à ce qu'il indique. C'est l'exemple type du double bind, la double contrainte que l'on retrouve chez les parents de schizophrènes. Utilisé de manière régulière et répétitive par les parents, l'enfant qui deviendra schizophrène est paralysé par ce discours. Ce discours n'invite pas à résoudre une contradiction, car face à une contradiction le choix est possible. L'exemple des deux cravates ne pousse pas le fils à un choix contradictoire. Si le choix était contradictoire, il aurait pu choisir la cravate rouge ou la cravate noire. Mais le discours de la mère le pousse à un choix impossible. Le film de Ken Loach, Family life, met en scène l'histoire d'une jeune schizophrène confrontée au discours paradoxal de ses parents. De même, Catch 22, le film réalisé par Mike Nichols à partir du livre de Joseph Heller, raconte l'histoire d'une base américaine de bombardiers pendant la Seconde Guerre mondiale. Le héros cherche à sauver sa vie en simulant la folie dans un monde qui est lui-même fou. Il n'arrive pas à se faire réformer parce que l'article 22 du règlement stipule que celui qui veut se faire réformer en prétextant la folie ne peut être fou puisqu'il est conscient de sa folie.
Et lorsque le héros demande à consulter l'article 22, on lui répond qu'on ne peut pas consulter l'article 22 parce que l'article 22 contient un alinéa qui stipule qu'on ne peut pas consulter l'article 22. Ce genre de paradoxe conduit également à l'humour, humour qui peut servir parfois à dépasser le paradoxe lui-même. Ainsi, les chercheurs de l'École de Palo Alto utiliseront les « contre-paradoxes » dans un but thérapeutique. Nous verrons cela la prochaine fois.

Parmi les expériences alternatives à la psychiatrie asilaire dans les soins donnés aux schizophrènes et autres psychoses, nous avons vu l'École expérimentale de Bonneuil fondée par Maud Mannoni dans les années 60 et, dans le dernier article, le service de psychiatrie du Professeur André Bourguignon, tous deux fonctionnant selon les principes de la psychothérapie...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut