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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le discours collectif autour de la schizophrénie aboutit à la ségrégation du fou (suite)

Comme nous l'avons vu lors des derniers articles sur la schizophrénie, le schizophrène n'est pas plus dangereux que n'importe quel autre citoyen. Mais lorsque l'étiquette lui colle à la peau, il devient difficile de la lui enlever. Avec sa complicité inconsciente. Pourquoi ?

Le schizophrène ressemble à un voyageur qui débarque, sans passeport, dans un pays étranger dont il ne parle pas la langue. Si nous poursuivons cette fiction, tout va dépendre de l'accueil que les autorités du pays vont lui donner. Si le pays est hostile à tout étranger, un peu comme l'indiquaient les pancartes à l'entrée des différentes villes américaines du temps du western, il sera considéré comme un étranger hostile et traité comme tel. Si le pays est plutôt tolérant, il est accepté, même sans passeport et avec une langue incompréhensible. C'est l'attitude que je peux conseiller à toute famille et à tout milieu social où évolue un schizophrène. Par exemple, c'est ainsi que s'est comporté le milieu hippie de San Francisco dans les années 60. Le schizophrène était considéré comme un sage éclairé dont les conseils étaient appréciés. Après tout, il est halluciné et délire sans prendre de LSD ou autre drogue hallucinogène.

Ainsi donc, le schizophrène peut supporter ses hallucinations et son délire s'il est bien accueilli dans son milieu, sans être rejeté ni stigmatisé. Cet accueil favorable est un « traitement » à lui seul. Sinon, s'il est rejeté et stigmatisé, c'est une nouvelle souffrance qui s'ajoute à la première. Et parce qu'il est en mal d'identité, toute étiquette qu'on lui colle dessus, il la prendra à son compte. Il sera pour ainsi dire deux fois schizophrène. En lui même et pour les autres : il préfère être schizophrène plutôt que d'être morcelé, et il préfère être schizophrène plutôt que rien.

Le discours collectif de la famille s'exprime par une opposition du nous au je. Que de fois, en consultation familiale, on entend les parents dire à leur enfant « nous » et « toi ». Terrassé par ce « nous » qui l'exclut à l'intérieur même du cercle familial, ce « nous » où se noient les autres membres de la famille, il cherche en vain à interpeller ses parents un par un. Face à la fuite de chaque parent dans ce « nous », le schizophrène n'a plus que la violence pour se faire entendre. Alors que tout a été fait pour que la parole soit impossible, à ce moment-là, les parents se retournent vers les soignants pour leur dire « Vous voyez, il est impossible de parler avec lui. »

Le schizophrène s'accroche à son délire quitte à être rejeté par la famille car le délire est son langage, « métaphore délirante » dit Lacan, et lui permet d'échapper à l'angoisse de morcellement. Dans l'enfance nous connaissons tous cette angoisse du corps morcelé que l'on dépasse avec « Le stade du miroir ». Chez le schizophrène, l'angoisse de morcellement réapparaît par régression à un en decà du stade du miroir, au moment où se déclenche sa psychose. Cette angoisse, terrifiante, le schizophrène l'échangerait contre n'importe quoi d'autre. Qu'il soit sacrifié comme bouc émissaire au profit de sa famille ou de l'ordre social, qu'il soit stigmatisé puis enfermé dans des asiles loin de la ville afin qu'on ne l'entende plus, il préfère cela à l'angoisse du corps morcelé. Nous assistons ainsi à une sorte de sacrifice du schizophrène à l'autel de la famille. Il fonctionne comme un fusible dont la fonction est de protéger l'installation électrique tout entière. Pour maintenir la cohésion de sa famille, il préfère occuper et rester à la place du fou. On assiste même, au moment où il va mieux et où il est prêt à assumer une certaine indépendance, à une réaction thérapeutique négative. Il rechute sans raison apparente et se retrouve ainsi, dans sa folie, maintenir la cohésion familiale.

Si, dans la névrose, la crise d'identité est surtout une crise d'identité sexuelle, dans la psychose, la crise d'identité touche à l'être même du schizophrène, elle est de loin plus ravageuse et plus destructrice. Lorsque la psychose se déclenche, inlassablement le schizophrène cherche à se faire entendre, à se faire reconnaître par les membres de sa famille. Il ne demande pas tant à être compris qu'à être entendu. Si les parents pouvaient l'écouter sans chercher à le comprendre et sans avoir peur de ne pas le comprendre, le schizophrène pourrait passer toute une vie sans problème majeur, avec l'aide des médicaments d'aujourd'hui.

 

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