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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La schizophrénie n’est ni une fatalité ni une malédiction

La schizophrénie n'est ni une fatalité ni une malédiction, mais le discours collectif autour du symptôme, c'est-à-dire que le discours social qui a peur et qui pousse à la discrimination du schizophrène peut produire ce point de vue.

Nous avons vu dans les deux derniers articles que, d'une part, le schizophrène n'est pas plus dangereux que n'importe qui d'autre, et de l'autre, que son discours, livre ouvert sur l'inconscient, peut faire peur. Cette peur, angoisse inexplicable, provient de notre propre inconscient. Comme le schizophrène ne peut pas s'appuyer sur le refoulement qui permet à une personne névrosée d'oublier et de maintenir dans l'oubli les idées les plus bizarres parce que idées taboues, le discours social peut intervenir comme un discours tiers, là où le père du schizophrène n'a pas pu intervenir pour le séparer de sa mère. Un exemple clinique va nous permettre d'illustrer cela.

En 1976, médecin-chef d'une équipe médico-psychologique à Créteil dans le Val-de-Marne, je reçois un signalement de la Direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS), dépendante de la préfecture. Ce signalement concernait un jeune adolescent, décrit comme rachitique. Tous les jours, ce jeune adolescent d'une maigreur inquiétante faisait ses courses dans les rues de Créteil et rentrait ensuite chez lui. Les services de la DDASS étaient de plus en plus soucieux. Le signalement donnait l'adresse du jeune homme. N'ayant pas obtenu de réponse à nos différentes invitations à venir nous rencontrer au CMP, nous envoyons une lettre à l'adresse indiquée, signalant le jour et l'heure de notre visite.

Lorsque l'infirmière et moi-même frappons à la porte de l'appartement, nous entendons un grognement inquiétant, une sorte d'aboiement, mais plutôt inconnu. Une femme nous ouvre la porte, habillée d'une chemise de nuit. Elle reste un moment dans l'entrebâillement de la porte, nous signifiant que nous n'étions pas les bienvenus. Nous lui expliquons notre démarche liée au signalement reçu par la DDASS à propos d'un jeune homme qui habite ici. Elle nous invite alors à entrer. Nous décrivons le jeune garçon tel que le signalement le notait. Elle reconnaît que son fils habite avec elle, mais elle dénie complètement qu'il soit aussi maigre et qu'il ait besoin de quoi que ce soit. Au fur et à mesure qu'elle parlait, le grognement de l'animal augmentait. Elle nous rassure, c'est son chien. Un molosse d'un mètre de haut, heureusement solidement attaché.

La conversation se poursuit, nous lui demandons si nous pouvons nous entretenir avec son fils. Au moment où elle refuse, un jeune garçon entre dans le salon. La mère nous dit :
« Voilà mon garçon, vous voyez, il est en bonne forme, il n'a besoin de rien. »
Très mal à l'aise, et après un long moment de silence, il dit : « Tu leur as dit que tu me donnais encore le biberon ? »
L'infirmière et moi-même étions frigorifiés, d'autant que le molosse hurlait de plus en plus.
« Pourquoi tu dis ça ? » rétorque la mère.
« Parce que c'est la vérité », répond le jeune garçon.
Nous ne savions pas quoi dire devant une scène unique, jamais vue auparavant et jamais imaginée comme possible.

Je dis à la mère que « si signalement il y a, c'est parce que les assistantes sociales avaient remarqué la maigreur excessive du jeune homme et que le préfet nous a demandé d'intervenir. Nous ne pouvons pas faire autrement que de constater cet état de fait et de signaler qu'à 14 ans, vous continuez à donner le biberon à votre fils ». Notre mission est terminée. Seulement, nous pouvons vous dire que si vous avez besoin de nous pour un suivi psychothérapeutique, tant pour votre fils que pour vous, nous sommes prêts à vous offrir ce suivi au centre médico-psychologique (CMP).
« Nous n'avons besoin de rien, mon fils et moi, et vous avez fait effraction dans notre intimité, et vous n'aviez pas le droit. »
« Non madame, ce n'est nullement une effraction, c'est notre devoir de le faire car la société à un droit de regard sur la famille lorsque la famille ne tient pas ses devoirs envers ses membres. »
Nous prenons congé sous les aboiements toujours aussi violents du molosse.

Quelques jours plus tard, nous apprenons que le jeune homme avait fui la maison et qu'il a été placé dans un centre spécialisé. Après rapide enquête, la mère aussi a été placée dans un service spécialisé.
L'intervention de l'Ordre social, à travers notre visite à la demande du préfet, a eu un effet séparateur entre la mère et le fils, effet habituellement obtenu par la présence du père, relais de l'Ordre social et de sa fonction séparatrice entre la mère et l'enfant. Dans ce cas très grave, la seule présence auprès du couple mère/enfant était celle du molosse, dont la fonction était de protéger cette fusion incestuelle.

 

 

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