Pour le président Aoun, le Liban est « le dernier carré multiconfessionnel » dans la région et il sera « le modèle que le monde va adopter ». Photo archives AFP
Dans sa récente interview accordée à la chaîne française LCI, le président de la République, Michel Aoun, estime que c'est la formule pluriconfessionnelle libanaise qui va prévaloir face aux extrémismes et à la violence. Le Liban peut-il réellement servir de point de départ à une stabilité régionale nouvelle, fondée sur le pluralisme confessionnel et le consensualisme ? Trois experts tentent de répondre à cette interrogation, à l'heure où Beyrouth reste l'une des rares capitales arabes à jouir d'une certaine stabilité.
Au Liban, il était de coutume de penser que tout ce qui se produit en Syrie ou en Israël finit par se répercuter à Beyrouth. Or la guerre de Syrie se poursuit et le pays du Cèdre réussit tant bien que mal à préserver sa stabilité interne. Certes, quelques points chauds subsistent – les camps palestiniens, Ersal –, mais de manière globale, on est loin de la violence généralisée qui s'exprime en toute impunité par-delà la frontière orientale.
À quoi donc imputer cette stabilité actuelle ? À la chance ? À une conjoncture régionale enfin favorable ? À une armée forte et qui, jour après jour, prouve sa capacité à maintenir la sécurité du territoire ? À ce territoire qui, par sa surface exiguë, est facile à contrôler ?
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Pour le général à la retraite Élias Farhat, que le territoire soit « aussi grand que le Mali ou aussi petit que le Liban, la superficie n'est pas le critère à retenir pour une surveillance efficace du terrain ». Par contre, il tient à souligner que le climat politique nouveau, généré par l'élection du président Michel Aoun et la nomination de Saad Hariri à la tête du gouvernement, a créé « un indéniable climat positif dans le milieu des forces de sécurité. La confiance dans les relations entre les forces armées et le pouvoir exécutif est palpable. C'est celle-ci qui a permis, ces derniers temps, l'arrestation de plusieurs terroristes présumés ».
Mais le général Farhat ne s'arrête pas aux prouesses des militaires. Il met certes en avant l'efficacité des groupes jihadistes. « Tous sont très bien entraînés, bien préparés au combat et bien armés. Ils bénéficient également d'une liberté de mouvement certaine, malgré tout ce qu'on entend dire à propos de la restriction de leurs mouvements dans différents pays de la région. Ils circulent quasi librement », explique-t-il. Mais en dépit de cela, Élias Farhat exclut d'entrée de jeu la possibilité de l'émergence d'un « califat » au Liban-Nord car pour lui, le terreau sunnite dans la région n'y est pas foncièrement favorable. « La plupart (des sunnites de cette région) sont partisans du 14 Mars et se voient évoluer dans le cadre d'un Liban uni. Or ces mouvements subversifs n'ont qu'un objectif : renverser le régime à Damas. »
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Une stabilité ponctuelle et de court terme ?
Additionnés, tous ces éléments pourraient laisser penser que le Liban s'est trouvé une nouvelle force interne, puisée dans une cohésion nationale, retrouvée in extremis après plus de deux années de dissensions stériles qui ont mené à un blocage provoqué autant par la structure confessionnelle et consensuelle du pouvoir que par le suivisme régional des factions politiques locales.
Mais il n'en est rien. Si le pays est relativement épargné par la violence régionale, c'est bien parce que l'intérêt des grandes puissances mondiales et arabes s'est déplacé ailleurs. En l'occurrence en Syrie et au Yémen. Il serait utopique de croire – même si la majorité silencieuse des Libanais le souhaite ardemment – que les responsables locaux ont su tirer profit de l'état de la région afin d'entamer la reconstruction d'un État en pleine déliquescence.
Pour le professeur en sciences politiques à l'Université libano-américaine (LAU) Bassel Salloukh, il n'y a pas de miracles. Le calme relatif qui prévaut actuellement est tout simplement à mettre sur le compte d'un « glissement de priorités » sur le plan régional. Il rappelle également que le Liban « a toujours été un pays où s'entremêlent intérêts locaux et géopolitique régionale. Les élites locales se sont toujours alignées avec des acteurs régionaux pour renforcer leur position interne ». Et c'est là que le bât blesse, car partant de ce constat, la politique du tout-sécuritaire suivie par le gouvernement est vouée à l'échec puisqu'elle est intimement liée à une conjoncture régionale précise.
De plus, se concentrer sur la cure et non sur la prévention ne peut être que contre-productif, puisque celle-ci ne traite pas les causes mais uniquement les conséquences.
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Sahar Atrache, analyste senior de l'International Crisis Group (ICG) pour le Liban, note à cet égard que le gouvernement au Liban n'agit que lorsqu'il est question de « contenir » une crise. Cette attitude conduit « à l'exacerbation de la situation », non à sa résolution.
Elle rappelle dans ce contexte les retombées « positives » que le conflit syrien avait un temps eues au Liban. Celui-ci avait enfin été mis à l'écart des guerres par intérim que se livrent traditionnellement l'Arabie saoudite et l'Iran sur son territoire. Mais pour autant, le rapprochement entre les factions politiques rivales ne s'est pas fait, puisque l'ingérence militaire du Hezbollah en Syrie, officiellement destinée à endiguer l'extrémisme sunnite, n'a eu pour seul effet que de l'alimenter au Liban.
Le Liban ne serait-il donc qu'un simple réceptacle de la situation régionale ? Est-il incapable de produire autre chose que de la violence et la mauvaise gouvernance ?
Pour le président Aoun, le pays n'est pas en situation d'échec. Il est « le dernier carré multiconfessionnel » dans la région et il sera « le modèle que le monde va adopter ». « C'est le pluriconfessionnalisme partout dans le monde qui va vaincre », a-t-il d'ailleurs déclaré dans son entretien à LCI.
À l'heure qu'il est, les Libanais ne demandent qu'à le croire.
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Dans sa récente interview accordée à la chaîne française LCI, le président de la République, Michel Aoun, estime que c'est la formule pluriconfessionnelle libanaise qui va prévaloir face aux extrémismes et à la violence. Le Liban peut-il réellement servir de point de départ à une stabilité régionale nouvelle, fondée sur le pluralisme confessionnel et le consensualisme ? Trois...
commentaires (4)
C'est à mourir dre rire.... Le Liban, "pivot!" d'une stabilité régionale !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
19 h 15, le 01 février 2017