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Liban - Déontologie

Quand les médias libanais plongent dans l’indécence

La couverture au Liban des suites de l'attentat d'Istanbul fait l'objet de vives critiques.

Photo Mohammad Yassine .

Un micro collé à la bouche d'une proche des trois victimes libanaises de l'attentat terroriste survenu au réveillon de la Saint-Sylvestre à la boîte de nuit Reina à Istanbul ; un gros plan sur un père affligé ou une sœur éplorée ; plus de vingt minutes de retransmission en direct du transfert des cercueils des victimes de l'aéroport de Beyrouth aux hôpitaux ; des images du corps d'une victime dans son cercueil à découvert avant les funérailles... Certains médias libanais, notamment des chaînes de télévision et des photojournalistes, ont parfois fait preuve d'un terrible manque de professionnalisme, à la limite de l'indécence, dans leur couverture de ce terrible événement.

Une couverture qui n'a pas manqué de susciter l'indignation du ministre de l'Information, Melhem Riachi, qui, lors d'une intervention lundi soir sur une chaîne locale, n'a pas manqué de s'interroger sur les motifs derrière la retransmission en direct pendant de longues minutes de l'arrivée des blessés aux hôpitaux.
« La retransmission en direct d'un événement qui suscite la curiosité n'est pas nécessaire, avait critiqué M. Riachi. Un blessé transporté d'une ambulance vers son lit d'hôpital a le droit de rester à l'abri des regards. (...) Il a le droit au respect. D'ailleurs, la retransmission en direct dans cette situation ne bénéficie pas au blessé, encore moins au citoyen. »

M. Riachi, qui avait, dans un tweet, demandé aux médias de « respecter la vie privée des familles qui ont perdu un proche » lors de l'attentat, a également annoncé au cours de cette émission qu'il s'apprêtait à préparer un texte de loi de déontologie professionnelle, « parce que nous ne manquons pas de libertés, d'objectivité et de professionnalisme, mais il est sûr que nous manquons de garde-fous ».

La couverture médiatique libanaise de l'attentat terroriste d'Istanbul a été vivement critiquée sur certains blogs et dans des médias étrangers. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que le manque d'éthique des médias libanais est remis en cause. À chaque attentat ou catastrophe, des images des victimes sont systématiquement diffusées sur les chaînes locales, sans aucun respect de leur vie privée et de leur dignité. Des professionnels ne manquent pas de rappeler dans ce cadre que les médias français et occidentaux, lors de leur couverture de la tuerie du Bataclan à Paris en novembre 2015, n'ont pas montré une seule goutte de sang sur leurs écrans, ce qui n'a pas pour autant fait baisser d'un seul iota la monstruosité de cet acte terroriste, ni la solidarité de l'opinion publique mondiale avec les familles des victimes.

 

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Responsabilité tripartite
Pourquoi ces dérapages au Liban ? Yazbek Wehbé, journaliste à la LBCI et professeur au département de journalisme et de communication à la faculté des lettres de l'Université Saint-Esprit de Kaslik, explique que l'image est fournie par le photographe. « Certains organes de presse forment leurs photographes sur les règles de la retransmission en direct, précise-t-il à L'Orient-Le Jour. Pour d'autres, l'information sert de matière pour hausser l'audimat. »

Pour Yazbek Wehbé, la responsabilité n'incombe pas uniquement au photographe, mais aussi au journaliste et aux téléspectateurs. « Certains téléspectateurs manquent de culture, observe-t-il. Ils ignorent que tout ce qui défile sur le petit écran n'est pas une vérité et que toute image ne constitue pas un scoop. D'aucuns vont même jusqu'à critiquer les chaînes qui ne diffusent pas ce genre d'images. »

Revenant sur la couverture de l'attentat d'Istanbul, Yazbek Wehbé précise qu'il est inconcevable de braquer la caméra sur une femme éplorée au moment où elle reçoit la nouvelle du décès de son frère ou de lui coller le micro aux lèvres... « Il aurait suffi de prendre une image de la famille de loin, puis la laisser à sa douleur », note-t-il, avant de conclure : « Les propos tenus dans ce cadre par le ministre de l'Information, qui est lui-même du milieu, et par le Premier ministre m'ont fait croire à un sursaut de conscience. Dans l'espoir que viendra le jour où les téléspectateurs libanais, à l'instar de ceux dans les pays occidentaux, s'opposeraient à la diffusion de telles images. »

 

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Info-récréation
Rouba Hélou, journaliste, chargée de cours de médias à la faculté d'information de l'Université Notre-Dame (NDU) et chercheuse en médias, estime de son côté qu'il n'y avait aucune « impartialité » dans la couverture de l'attentat. « Le journaliste a pour mission de sensibiliser l'opinion publique, de donner une information, de former à une pensée critique, note-t-elle. Ce qui n'a pas été le cas. »
« Au Liban, les médias ne présentent plus une information, mais une info-récréation pour jouer sur la fibre sentimentale, poursuit Rouba Hélou. Les médias exploitent les victimes pour avoir de l'audience. Ils font la course aux images sanglantes. Certes, l'image a un plus grand pouvoir que les mots, mais dans ces cas, la vérité qu'elle reflète est surréelle et tronquée. »

 

(Lire aussi : « Je me souviendrai surtout de son sourire et de sa tendresse », affirme l'oncle de Haïkal Moussallem)

 

Pour Mme Hélou, il faut revisiter tous les médias. « Il faut définir les critères des retransmissions en direct, martèle-t-elle. Le décès de trois jeunes gens dans un attentat terroriste est certes dramatique, mais ils n'étaient pas les seuls. Cela ne méritait pas toute cette couverture en direct. La mort n'est pas un sujet de téléréalité. Or on est dans la téléréalité à tous les niveaux. L'information a un objectif, mais dans la manière dont l'attentat a été couvert elle n'avait aucune valeur ajoutée. Les journalistes ont oublié leur rôle principal. Ils sont supposés être un baromètre et un reflet de la société, or c'est la société et les gains matériels qui dictent leurs actions. »

Pour changer cette image, Rouba Hélou estime qu'il faudrait, d'une part, éduquer l'opinion publique et, d'autre part, appliquer les lois qui existent déjà. Il faudrait aussi, selon elle, introduire dans les programmes scolaires une matière relative à l'initiation aux médias. « On ne peut plus changer les journalistes actuels, il faut miser sur les jeunes », conclut-elle.

 

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commentaires (4)

La télé diffusion au Liban est un scandale et ne cesse de me choquer. Ce qu'il faut c'est un organisme selon le modèle canadien et son CRTC qui réglemente par le biais de politiques publiques et code d'éthique journalistique les médias et les Télécoms . Au Liban il n'existe pas de politiques publiques c'est le chaos qui règne dans une société ou le sensationalisme règne et l'ignorance .

Sherine G

18 h 33, le 04 janvier 2017

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Commentaires (4)

  • La télé diffusion au Liban est un scandale et ne cesse de me choquer. Ce qu'il faut c'est un organisme selon le modèle canadien et son CRTC qui réglemente par le biais de politiques publiques et code d'éthique journalistique les médias et les Télécoms . Au Liban il n'existe pas de politiques publiques c'est le chaos qui règne dans une société ou le sensationalisme règne et l'ignorance .

    Sherine G

    18 h 33, le 04 janvier 2017

  • “La presse est une bouche forcée d’être toujours ouverte et de parler toujours. De là vient qu’elle dit mille fois plus qu’elle n’a à dire, et qu’elle divague souvent.” Malcom X

    Jack Gardner

    14 h 46, le 04 janvier 2017

  • Non, ce n'est pas la première fois, et les médias continuent... Visiblement, il y a preneur... Pourquoi les médias ne sont-ils pas sanctionnés par le ministère de l'Information ou de la Justice? Une amende en bonne et due forme leur servirait sans doute de leçon...

    NAUFAL SORAYA

    13 h 24, le 04 janvier 2017

  • Effectivement j'ai souvent été choqué par les images diffusées par les médias Libanais, ils n'ont pas la même conception et la même retenue que les médias Européens et je pense que c'est assez grave de banaliser à ce point la violence des images ou des propos.Habituer la jeunesse a de telles violences ne fait que banaliser la violence

    yves kerlidou

    13 h 13, le 04 janvier 2017

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