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À La Une - Syrie

Les derniers jours de l'enclave rebelle d'Alep

"Les morts devaient être enterrés. Il n'y avait personne pour le faire".

Deux combattants pro-Assad se tenant sur la carcasse d'un tank détruit à Alep, le 13 décembre 2016. Photo REUTERS/Omar Sanadiki

Pour les milliers d'habitants encore présents dans l'ex-bastion rebelle d'Alep-Est, l'attente d'une évacuation se prolonge dans le froid, la faim et l'incertitude de pouvoir en réchapper.

Après trois jours de blocages, les opérations ont repris lundi tandis qu'à New York, le Conseil de sécurité des Nations unies adoptait à l'unanimité une résolution prévoyant le déploiement d'observateurs de l'Onu et d'autres organisations pour superviser cette évacuation et garantir la sécurité des civils.

La bataille d'Alep, commencée en 2012, un an après le début de l'insurrection contre le président Bachar el-Assad, a culminé à partir de l'été, avec l'encerclement des quartiers insurgés par les forces du régime, doublé de frappes aériennes russes.

Le 24 novembre, une percée majeure des forces pro-gouvernementales depuis le nord-est a enclenché le recul graduel et inexorable des rebelles jusqu'à la conclusion d'un accord de cessez-le-feu avec la Russie, alliée militaire clé du régime de Damas, avec l'aide de la Turquie.

Malgré l'évacuation de plusieurs milliers de personnes - 17.000 selon le Comité international de la Croix-Rouge -, de nombreux habitants restent prisonniers de la ville et leur sort dépend de négociations complexes entre groupes armés de chaque bord.

Ces derniers jours, les images des dernières enclaves rebelles montraient des habitants rassemblés autour de feux de camp, tentant tant bien que mal de se réchauffer par des températures proches de zéro et de trouver refuge dans des amas de gravats et de métal tordu.

 

Des enfants syriens mangeant du pain en attendant d'être évacués d'Alep-Est, le 16 décembre 2016.
Photo REUTERS/Abdalrhman Ismail

 

(Lire aussi : Les derniers rebelles appelés à quitter Alep)

 

Personne pour les enterrer

"Tous les habitants s'étaient massés dans trois ou quatre quartiers. Les gens étaient dans la rue, de sorte que n'importe quel tir de mortier provoquait un massacre. Les morts devaient être enterrés. Il n'y avait personne pour le faire", raconte un homme âgé d'une quarantaine d'années qui a été évacué de la ville. Comme d'autres témoins interrogés par Reuters, il a demandé à rester anonyme par crainte de représailles.

Mercredi dernier, au lendemain de l'accord de cessez-le-feu, Alep-Est a été de nouveau la cible d'un pilonnage intensif par l'artillerie et l'aviation gouvernementales.

"Les obus tombaient autour de nous au rythme où je respirais", déclare Modar Shekho, un infirmer syrien qui a perdu son père et son frère dans les bombardements de deux dernières semaines. Il a depuis rejoint le reste de sa famille dans une zone tenue par les rebelles à l'extérieur de la ville.

Sur des photographies envoyées à Reuters par un membre du personnel médical, on voit un homme marcher dans le couloir d'un hôpital de campagne aux murs maculés de sang, parmi des corps recouverts de couvertures.

 

Un homme évacuant un enfant dans une main, et tenant une perfusion intraveineuse dans l'autre, le 12 décembre 2016 à Alep.
Photo REUTERS/Abdalrhman Ismail/

 

(Lire aussi : Les enjeux d'une possible fusion des groupes rebelles syriens)

 

Des familles séparées

Les possessions de nombre des habitants d'Alep se réduisent désormais à un ou deux sacs. "Tout le monde à Alep a déménagé près de dix fois. Il n'y avait plus aucun endroit. Chaque fois que je me déplaçais dans une maison, elle était bombardée", raconte Adnan Abed al-Raouf, un ancien fonctionnaire.

Dans le chaos de la retraite des rebelles, des familles ont été séparées. Wadah Qadour, un ancien contremaître, se souvient d'une scène parmi d'autres: un homme porte sa femme blessée et cherche de l'aide médicale, il ne se rend pas compte que leur fille a cessé de les suivre. "La fille a été placée dans un orphelinat", dit-il.

L'infirmier Modar Shekho décrit l'attente des habitants: "Il commençait à faire nuit. Les gens se sont installés dans les rues, ils ont commencé à faire des feux pour se tenir chaud. La plupart se sont réfugiés dans des magasins qui étaient ouverts. Des milliers de familles ont dormi dans la rue en attendant que les bus reviennent", ajoute-t-il.

 

Des combattants rebelles et des civils patientent avant d'être évacués d'Alep-Est, le 16 décembre 2016. Photo REUTERS/Abdalrhman Ismail

 

(Lire aussi : "Je vous parle d'Alep" : Des mois durant, ils ont raconté à L'Orient-Le Jour la descente aux enfers)

 

Exécutions sommaires

Des exécutions sommaires ainsi que d'autres abus ont été imputés à l'armée syrienne et à ses alliés dans les zones reprises, sans confirmation officielle.

Cinq personnes ont ainsi raconté à Reuters la même scène. Plusieurs jeunes hommes du quartier de Kallasa, disent-elles, s'étaient réfugiés dans la cave d'une clinique. Plus personne ne les a revus. Leurs anciens voisins sont convaincus qu'ils ont été tués par les forces pro-gouvernementales lors de la reprise du quartier.

Six anciens habitants du quartier de Boustan al-Qasr disent eux avoir appris de personnes restées sur place que neuf membres d'une même famille, les Ajami, avaient été retrouvés morts dans une maison.

Un homme âgé a raconté à Reuters que sa carte d'identité lui avait été confisquée à un poste de contrôle du gouvernement et qu'on lui avait dit de se rendre dans une école pour la récupérer. Une fois sur place, il a été conduit dans une salle avec d'autres hommes plus jeunes. Des soldats ont annoncé qu'ils allaient être tués mais à la dernière minute il a été extrait de la pièce avec d'autres hommes, rapporte-t-il. Puis des coups de feu ont retenti dans la pièce.

Damas et ses alliés du Hezbollah libanais et de la milice chiite irakienne Harakat al-Nujaba ont démenti toute rafle ou exécution sommaire. Reuters n'a pu vérifier ces informations de manière indépendante.

 

(Lire aussi : "J'ai perdu ma jambe et mon bras": le traumatisme des Syriens évacués d'Alep)

 

Dilemme des rebelles

Pour les rebelles, les derniers jours de résistance ont été marqués par des choix cardinaux. Après avoir promis de ne jamais abandonner Alep-Est, des commandants rebelles, face à l'ampleur des bombardements, ont finalement annoncé avoir accepté un accord de cessez-le-feu conclu par Moscou et Washington, qui promettait leur évacuation des zones assiégées.

Mais à peine le principe de l'accord était-il accepté par les rebelles que la Russie en dénonçait le principe.

Les commandants rebelles ont décidé à ce moment que leur seule option était de se battre jusqu'à la mort, rapporte le chef de l'un des groupes armés d'Alep-Est, la Jabha al-Chamiya. "C'étaient des jours très difficiles, car nous étions responsables des civils, des femmes, des enfants, des personnes âgées", poursuit Abou Ali Sakour, joint à Alep-Est.

Le jour-même de cette annonce, le 12 décembre, les forces du régime prenaient le quartier de Cheikh Saïd, réduisant de moitié l'enclave insurgée.

 

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