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Moyen Orient et Monde - Conséquences pour l’opposition

Après Alep, la nature de la guerre contre le régime pourrait changer

La rébellion est désormais face à de multiples choix : plus de coordination, radicalisation, guérilla urbaine, etc. Mais quelle que soit l'option, les rebelles ne peuvent s'appuyer que sur eux-mêmes.

George Ourfalian/AFP

Un coup dur pour les rebelles syriens. La chute de leur bastion à Alep-Est a anéanti l'espoir des opposants de Bachar el-Assad de chasser le président syrien du pouvoir, ou même d'entamer, en position de force, des négociations sérieuses en vue d'une transition politique.

Avec cette victoire décisive du régime syrien et de ses alliés, personne ne prédit toutefois la fin de la guerre en Syrie. Le conflit est devenu tellement alambiqué qu'une solution militaire est quasi impossible pour résoudre le conflit qui dure depuis presque six ans.

Comme son père jadis, Bachar el-Assad a encore une fois réussi à complètement occulter le peuple syrien, plaçant son régime au centre d'enjeux régionaux et internationaux. Ainsi, la rébellion a pâti de cette stratégie machiavélique, payant largement les frais des rivalités et des divergences d'intérêts des soutiens arabes et occidentaux aux opposants au maître de Damas. Ce dernier a également réussi à imposer ses règles du jeu : lui ou le chaos, mais aussi sa vision manichéenne du conflit : défenseur des minorités contre les jihadistes radicaux. Une propagande réussie qui a permis l'émergence d'une méfiance et d'une crainte grandissante des Occidentaux (notamment de l'opinion de droite) vis-à-vis de l'opposition syrienne, qui n'est pas parvenue à légitimer son action, à s'unifier ou à s'imposer comme un interlocuteur valable.

 

(Lire aussi : Alep 2011-2016 : requiem pour une ville)

 

Les rebelles toujours présents
Les rebelles sont néanmoins loin d'être anéantis. Il est vrai qu'ils ne disposent plus d'une assise géographique importante pour affirmer leur présence sur le terrain. Avec la perte d'Alep-Est, ils ont ainsi perdu la dernière grande ville syrienne, et les zones contrôlées par l'opposition syrienne se réduisent comme peau de chagrin.
Il reste d'abord et principalement la région d'Idleb. Une multitude de groupes et de groupuscules à forte influence jihadiste contrôle cette zone du nord de la Syrie, à l'instar de Fateh al-Cham et Ahrar al-Cham.
Il y a ensuite des rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL), appuyés par la Turquie, qui mènent actuellement des combats plus au nord d'Alep, contre l'État islamique (EI) et les forces kurdes du YPG. Bien qu'ils soient originellement contre le régime de Bachar el-Assad, ils suivent actuellement l'agenda turc qui vise à créer une zone tampon à la frontière nord afin d'éloigner l'EI et de couper la route aux Kurdes qui rêvent de créer leur Rojava.

Les insurgés restent présents en masse également au sud, dans les régions de Deraa et Quneitra. Appelés Front du Sud, ils sont formés principalement de rebelles de l'ASL. Leur marge de manœuvre reste toutefois très limitée : ils sont à la merci de la Jordanie, qui ouvre ou ferme la frontière selon son propre agenda.
Plusieurs poches de résistance sont par ailleurs disséminées à Hama, Homs, autour de la capitale syrienne et de ses banlieues, mais aussi à la frontière avec le Liban, notamment dans le jurd de Ersal. Ces régions subissent, elles aussi, des sièges implacables et des bombardements féroces de la part des forces loyalistes. Les insurgés qui les contrôlent varient des rebelles dits « modérés » aux plus radicaux.

Il y a enfin les jihadistes de l'EI, qui continuent à défier aussi bien Damas que la coalition internationale dirigée par les États-Unis, sans oublier les troupes turques présentes dans le nord de la Syrie, pour combattre aussi bien Daech que le YPG, considérés comme des groupes terroristes par Ankara.
En tout cas, le paysage actuel de la rébellion sur le terrain n'est pas à envier, même s'il est encore trop tôt pour la déclarer morte et enterrée.

 

(Lire aussi : La Syrie d’Assad, nouvelle Corée du Nord ?)

 

Guerre de libération ?
« La perte d'Alep est un coup très dur pour le courant dominant de la rébellion qui a misé sur le soutien de pays comme la Turquie, les États-Unis et l'Arabie saoudite, mais qui peut maintenant voir ses sponsors perdre foi dans le projet. Cela dit, la rébellion en tant que telle ne disparaîtra pas, et la guerre ne sera pas terminée bientôt, mais sa nature et son intensité peuvent commencer à changer », explique ainsi Aron Lund, chercheur associé à la Century Foundation.

« Je pense que nous allons bientôt passer à une nouvelle configuration », renchérit le politologue Ziad Majed, spécialiste de la Syrie. Selon lui, « les Russes et les Iraniens exigent, à chaque fois qu'une zone (après un long siège) tombe dans les mains du régime, le départ de tous les combattants et des civils pour éviter qu'un mouvement de guérilla ait lieu. Mais la tactique des attaques éclair, des embuscades, des voitures piégées, voire des attentats-suicide pourrait être adoptée par certains groupes. D'autant plus que pour la majorité des Syriens, leur pays est aujourd'hui occupé par les Russes, les Iraniens et par les milices chiites de la région. Et pour eux, c'est cette occupation qui maintient Assad au pouvoir. Donc une forme de guerre de libération pourrait être la nouvelle étape dans ce conflit ».

Toutefois, pour Aron Lund, l'option d'une guérilla urbaine n'est pas pratique. « Le gouvernement syrien a clairement une tolérance élevée pour la violence dans la société et ne se soucie pas de perdre des civils ou des partisans ici et là. Il y a peu de cibles potentielles, sauf peut-être le président lui-même et quelques autres commandants très haut placés qui pourraient menacer la survie ou la cohésion du régime, compte tenu de tout ce qu'il a traversé ces dernières années », précise-t-il. M. Lund met également en garde l'opposition contre la tentation de libérer des violences intercommunautaires comme des massacres sectaires urbains, afin de polariser la société encore plus et de créer une spirale de violence, à l'instar d'el-Qaëda ou de l'EI en Irak après l'invasion américaine. « Dans une situation où le gouvernement a le dessus militairement, cela pourrait être une ligne de conduite autodestructrice. Et bien sûr, il n'y a aucune perspective d'un soutien de l'étranger pour une telle stratégie », ajoute-t-il.

 

(Lire aussi : Pour Alep martyrisée, une promesse de mobilisation, quelques mots... et le silence)

 

La radicalisation
La radicalisation est ainsi le danger principal qui menace la rébellion actuellement. Entre désillusion, frustrations, manque de moyens et de soutiens, l'option jihadiste est devenue de plus en plus tentante pour certains rebelles.

« Les seuls groupes qui ont réussi à mener une insurrection souterraine sont l'État islamique d'Irak, qui est devenu plus tard l'EI, et, dans une moindre mesure, le mouvement Naqshbandi, qui était un front pour le parti Baas de Ezzat Ibrahim al-Douri. Les mouvements rebelles les plus modérés, pragmatiques, sunnites ont simplement disparu ou ont été dépassés par les radicaux », déplore ainsi Aron Lund.

Ce scénario ne fera que renforcer la propagande du régime syrien et de ses alliés pour frapper impitoyablement l'opposition syrienne. Rappelons que la présence des miliciens de Fateh al-Cham (anciennement Front al-Nosra) a été la justification principale des Russes lors de leur offensive à Alep-Est, alors que ce mouvement radical ne représentait qu'une poignée de combattants par rapport aux autres rebelles sur place. D'où la crainte d'une prochaine offensive sur la province d'Idleb.

« Comme Alep le prouve, comme Daraya et les ghoutas le montrent, le régime et ses alliés n'ont pas besoin de trouver une justification pour commettre leurs crimes de guerre et pour assiéger et bombarder », précise Ziad Majed. « Le plan russe était dès le début de permettre au régime épaulé par les milices chiites libanaises, irakiennes, afghanes et par les officiers iraniens de contrôler ou neutraliser toutes les zones où se positionnait l'opposition, pour dire qu'il ne reste que l'Est syrien occupé par Daech, et la région d'Idleb où Fateh el-Cham déploie le gros de ses troupes », ajoute-t-il. Toutefois, M. Majed récuse une attaque imminente sur Idleb. Selon lui, « à Idleb, on parle d'une grande surface, et le régime et ses alliés n'ont pas pour le moment les ressources humaines suffisantes pour progresser ».

Enfin, il sera grand temps pour la rébellion d'apprendre des erreurs passées. Et l'un des problèmes majeurs auxquels a toujours fait face l'opposition syrienne est son incapacité à s'unir, ou au moins à se coordonner entre différentes factions. « L'union n'est pas possible pour des raisons à la fois idéologiques et pragmatiques. Une meilleure coordination pourrait être mise en place », précise M. Majed, qui craint là aussi une prééminence des groupes radicaux, plus organisés et plus efficaces sur le terrain.

Quelle que soit l'option que les rebelles vont choisir pour la suite, il est évident qu'ils ne peuvent s'appuyer désormais que sur eux-mêmes. « Le climat international n'est pas en faveur des Syriens. Que ce soit Donald Trump aux USA, les droites européennes ou l'impuissance arabe », conclut Ziad Majed.

 

 

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commentaires (5)

Il aurait été facile pour les rebelles de rassurer les minorités au début du conflit.Ils ne l.ont pas fait car les frères musulmans en étaient les vrais instigateurs ,comme en Egypte , et c'est à ce moment-là qu.ils ont subi la descente aux enfers.

Sam

03 h 45, le 16 décembre 2016

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Commentaires (5)

  • Il aurait été facile pour les rebelles de rassurer les minorités au début du conflit.Ils ne l.ont pas fait car les frères musulmans en étaient les vrais instigateurs ,comme en Egypte , et c'est à ce moment-là qu.ils ont subi la descente aux enfers.

    Sam

    03 h 45, le 16 décembre 2016

  • Pauvre pays qui n'a presque jamais connu démocratie et éléments de laïcité...sauf La Défense des minorités legitimant en quelque sorte le maintien d'un gouvernement quasi dictatorial L'alternative à cette "dictature" a toujours été non une vraie démocratie, mais un régime domine par "les frères musulmans" seule force capable d'emporter le succès dans des élections democratiques...voir Tunisie, Lybie, Égypte. Le manque de culture democratique laisse le champ a une tentation idéologique "religieuse" ...et qu'elle plus forte idéologie que celle des frères musulmans... Malgre leur échec patent, ils resteront embusqués, sous diverses couvertures "nationalistes" rendant impossible la survie à moyen terme d'une Syrie "libre et democratique et laïque" le reve impossible des "gens de bien"

    Chammas frederico

    22 h 20, le 15 décembre 2016

  • Elles auront tout essayé ces bactéries . Si elles avaient compter que sur elles mêmes, elles n'auraient jamais pu détruire autant ce pays , donc pour elles les carottes sont cuites, d'autres vrais résistants sont déjà passés par là. Ils seront les seuls à pouvoir leur donner LA LEÇON.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 44, le 15 décembre 2016

  • C'est drôle et si ce n'état pas triste , de constater que les journalistes locaux ,écrivent des articles ...comme leurs onologues français en usant du vocabulaire en novlangue AFPiste ,exemple parmi 1000 , ! en une année , les djihadistes criminogènes d'Al Qaïda ...sont devenu Al Nosra ...puis Fatah Al Cham...et autres diverses métastases, Fatah Halab ,Jaïch Al -Moudjahidine etc. , qui changent d'appellation selon les intérêts du moment ... ,et voilà que la presse occidental en a fait " des rebelles" ...! évidement ,c'est beaucoup plus pratique, pour faire de la désinfo style ... "l'on ne fait pas la guerre aux rebelles ,mais aux djihadistes..."

    M.V.

    07 h 42, le 15 décembre 2016

  • DE PAR LA NATURE ET LE FAIT DES CHOSES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 09, le 15 décembre 2016

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