La journée d'hier n'a marqué aucune avancée visible relative à la formation du gouvernement. L'entretien à Baabda entre le président de la République, Michel Aoun, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri – le troisième depuis la désignation de ce dernier –, ne permet de faire aucune projection concrète des démarches envisagées pour lever les entraves persistantes.
« Nous tentons de les dissiper au plus vite », s'est contenté d'affirmer M. Hariri à l'issue de la rencontre, insistant sur « le souci du président de la République de revitaliser l'économie et de maintenir l'élan positif » stimulé par son élection. L'on retiendra néanmoins de sa brève déclaration, sa prise de position à l'adresse du président de la Chambre, Nabih Berry : « Nous sommes avec le président Berry, qu'il agisse injustement ou qu'il subisse une injustice, et nous poursuivons nos démarches pour former le cabinet en concertation avec le président Aoun. » M. Hariri a répondu ainsi aux accusations que lui a adressées le jour-même M. Berry dans les médias, de manquer de sincérité à son égard.
Le grief du président de la Chambre, qui s'exprime au nom du tandem chiite et de ses alliés, d'être « marginalisé » au niveau des négociations en cours n'est pas nouveau. Il avait pris forme au moment de l'émergence du compromis Aoun autour de la présidentielle, soupçonné d'être l'objet d'un accord bilatéral sunnito-chrétien.
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Ce grief s'est transposé au niveau de la genèse du cabinet et véhicule désormais l'objectif du tandem chiite d'être partie prenante à la formation du gouvernement, au même titre que le président de la République et le Premier ministre, c'est-à-dire au même titre que les deux autorités ayant seule compétence à émettre le décret de formation du nouveau cabinet. Pour une source du courant du Futur, la volonté du tandem chiite d'extirper par la contrainte une compétence extraconstitutionnelle à l'endroit même de la formation du cabinet révélerait une démarche nouvelle, plus pernicieuse, de consacrer la répartition par tiers.
Les premiers instruments mis au point à cette fin avaient été le tiers de blocage numérique exigé dans la composition du cabinet, et plus récemment l'allégation que le portefeuille des Finances reviendrait de droit à la communauté chiite en ce qu'il lui accorde un contreseing obligatoire sur les décrets, aux côtés des signatures du président de la République et du Premier ministre. Il y a, dans la rhétorique du tandem chiite, un retour à certaines pratiques ayant prévalu dès 1992 (comme la fameuse troïka sous la tutelle syrienne), des pratiques que le camp opposé juge irrecevables, étant le fruit d'une « dénaturation de Taëf par le régime syrien ».
Outre la problématique du partenariat que remue le tandem chiite, celui-ci aurait également l'intention de ramener sur le tapis la question du package deal, comme étape préalable à la formation du cabinet. Ainsi, des sources de Baabda, de Meerab et de la Maison du Centre, citées par l'agence al-Markaziya, affirment partager des craintes d'intentions chiites tacites de forcer une entente préalable autour de la loi électorale et de la déclaration ministérielle, en concomitance avec une entente sur un taux de proportionnalité entre la quote-part ministérielle et la taille de la représentation parlementaire. Rien n'est pour l'heure évoqué explicitement sur la loi électorale, ni sur la déclaration ministérielle, assure cependant à L'Orient-Le Jour un cadre du courant du Futur.
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Néanmoins, la proportionnalité entre ministères et blocs parlementaires est constamment soulevée par le président de la Chambre devant ses visiteurs, dans le but de circonscrire les ambitions des FL dans le cadre d'un cabinet de 24 ministres, sinon d'obtenir éventuellement une formule élargie d'un cabinet de trente, qui inclurait le Parti syrien national social (PSNS) et d'autres factions prosyriennes ou sunnites indépendantes. Hier encore, M. Berry a « souhaité que les règles de formation du cabinet soient adoptées sur la base de critères unifiés », comme l'a rapporté le ministre Sejaan Azzi.
Particulièrement réticent à l'inclusion du PSNS au sein du cabinet, Saad Hariri s'attacherait à la formule restreinte de 24, qui reste d'ailleurs la seule formule envisagée, jusqu'à nouvel ordre, par le président de la République, apprend-on de sources concordantes.
Mais comment M. Hariri pourra-t-il assurer la naissance de ce cabinet de 24, tout en ménageant « les critères » de Nabih Berry, mais sans que cela ne l'amène à cautionner de facto une nouvelle troïka présidentielle ?
Un équilibre d'autant plus difficile pour lui qu'il semble être seul dans le collimateur du président de la Chambre, ce dernier exprimant désormais à ses visiteurs son « souci profond d'avoir une bonne relation avec le chef de l'État ».
La dernière initiative menée par Saad Hariri pour contourner les entraves directes à la formation du gouvernement a été de proposer aux Marada l'un des trois portefeuilles de la Santé, des Affaires sociales ou de l'Éducation, selon une source du courant du Futur, qui rapporte à L'OLJ le refus de l'offre par les Marada. Ce parti tiendrait toujours à l'un des trois portefeuilles de service « importants », à savoir l'Énergie, les Télécommunications ou les Travaux publics. Notons que les portefeuilles de service qualifiés d'« importants » par les parties sont les portefeuilles (de plus en plus rares) dont les ressources n'ont pas été encore entièrement épuisées, que ce soit financièrement, ou au niveau des postes ouverts à même d'être l'objet de nominations clientélistes par le ministre en question, comme l'explique une source parlementaire à L'OLJ.
Dans ce contexte, le chef du courant du Futur pourrait bien tenter de contourner le nœud des Travaux publics et renoncer aux Télécommunications en faveur des Marada. Cette importante concession aux yeux de son camp pourrait être une ultime tentative de déblocage. Elle reste toutefois pour l'instant hypothétique.
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Un cabinet de technocrates specialise chacun dans son portefeuille A la porte tous les autres pour un vrai changement
LA VERITE
13 h 33, le 29 novembre 2016