Les chrétiens se disputent le leadership de la rue chrétienne

On le sait désormais. Le retard mis pour former un gouvernement est principalement dû à un conflit qui oppose les parties politiques autour de la répartition des quotes-parts, mais aussi sur la question des équilibres politiques générés par les nouvelles alliances politiques en présence.

Selon l'avis exprimé dans certains milieux politiques qui suivent de près les tractations en coulisses, l'enjeu pour les différents protagonistes est d'autant plus important que chacun d'entre eux cherche actuellement à améliorer sa position politique en prévision des prochaines législatives, en négociant pour ce faire d'ores et déjà une place au soleil.

L'équation en présence, qui perdure depuis les élections de 2009, devrait ainsi refléter celle qui prévaudra dans le prochain gouvernement et qui serait en quelque sorte calquée, à quelques nuances près, sur celle qui s'était imposée lors de la formation du gouvernement sortant de Tammam Salam.

À ce jour, le tandem chiite n'est toujours pas disposé à faire des concessions qui profiteraient au duo chrétien Forces libanaises-Courant patriotique libre. Les craintes des deux formations chiites, Amal et le Hezbollah, sont notamment exacerbées par l'accord entre le chef des FL, Samir Geagea, et le président Michel Aoun, conclu à la veille de la présidentielle et dont on dit qu'il aurait été fondé sur une transaction secrète. C'est ce qui inquiète au plus haut point le camp chiite, dit-on dans les milieux de Aïn el-Tiné, et ce en dépit des démentis faits par les milieux aounistes sur l'existence d'une transaction. Mais ces assurances n'ont vraisemblablement pas servi à atténuer ces appréhensions.

C'est une autre version que l'on entend toutefois du côté des FL où l'on affirme que le conflit n'est aucunement lié à l'enjeu de la répartition des portefeuilles, mais plutôt à l'inquiétude ressentie par certains de la vision générale qui accompagnera le nouveau mandat ainsi que du projet que le nouveau chef de l'État, Michel Aoun, compte mettre en œuvre. Cette nouvelle phase a commencé avec l'accession à la magistrature suprême du principal représentant chrétien, à l'instar de ce qui se passe d'ailleurs au sein des deux communautés chiite et sunnite avec l'accès de leurs leaders respectifs à la tête du Parlement et du Conseil des ministres.

Par conséquent, assurent les sources proches des FL, les tractations qui ont actuellement lieu autour de certains postes ministériels ne seraient autre qu'un bras de fer camouflé sur le futur leadership de la communauté chrétienne après l'accession de M. Aoun à la présidence.
Certains estiment en effet que ce leadership devrait revenir au candidat malheureux à la présidentielle, le chef des Marada, Sleiman Frangié, qui serait le mieux placé pour « hériter » du leadership détenu par les aounistes. D'autres estiment au contraire que ce sont les FL qui représentent l'héritier légal et naturel de ce leadership du fait qu'elles constituent aujourd'hui la formation chrétienne la plus forte après les aounistes. Cet héritage serait d'autant plus justifié qu'il survient après la réconciliation qui a eu lieu entre les chefs des deux formations qui a permis l'accès de l'un d'entre eux à la présidence grâce à une initiative « courageuse » prise par Samir Geagea qui a à son tour réussi à convaincre le chef du courant du Futur d'avaliser la candidature de M. Aoun.

(Lire aussi : Les relations avec les pays du Golfe « sur la bonne voie », affirme Aoun)

Tout en reconnaissant les bienfaits du rapprochement CPL-FL et son impact positif sur la rue chrétienne dans son ensemble, les formations chrétiennes indépendantes soutiennent que l'alliance entre M. Geagea et M. Aoun ne peut réduire la représentation chrétienne à ces deux figures, de même qu'elle ne peut occulter la présence d'autres représentants. Un exercice qui serait d'autant moins légitime qu'il rappelle, dit-on, les pratiques du président du Parlement, Nabih Berry, en terme de monopole de la représentation chiite, celle du Premier ministre désigné, Saad Hariri en ce qui concerne la représentation des sunnites, et Walid Joumblatt pour les druzes.

Les indépendants chrétiens persistent et signent en soulignant le caractère pluriel et diversifié de la représentation de leur communauté dont les membres n'ont jamais prêté allégeance à un seul et unique leadership, une situation qui a généré une palette de positions et d'avis politiques diversifiés. Dans ces milieux, on refuse catégoriquement le principe de l'unilatéralisme de la représentation communautaire, un phénomène qui vient contredire l'esprit démocratique et écarter la possibilité de concocter des alliances multiples au sein du spectre politique.

Par conséquent, soutiennent encore ces milieux, le monopole par le duo CPL-FL de la part chrétienne au sein du gouvernement est inadmissible surtout lorsque l'on sait que les FL, dont le bloc parlementaire est composé de huit députés uniquement, pourraient rafler trois ministères.
C'est ce qui aurait incité les indépendants chez les chrétiens à se coaliser pour réclamer leurs quotes-parts respectives et leurs droits. Ils sont soutenus par M. Berry qui insiste pour que ces formations soient représentées et fassent partie de son propre camp politique.

Des informations ont fait d'ailleurs état d'une dynamique en cours qui consisterait à former un front regroupant ces formations (Marada, Kataëb et personnalités indépendantes ) pour faire face au duo CPL-FL.

Lire aussi

Stagnation sur le front du gouvernement, mais coups d'éclat militaire et judiciaire

Avec Aoun, nous n'accepterons pas que le mandat soit l'otage de tutelles, assure Geagea