Rechercher
Rechercher

Culture - Salon du livre

Lionel Duroy : En fait, je suis un voyou...

Toute l'œuvre de cet écrivain est habitée par la figure de la mère. Tyrannique, hystérique, non aimante... Son dernier livre « L'Absente » (Juliard) n'y déroge pas. Entrevue, au Salon du livre, avec cet auteur pour qui « écrire est nécessaire pour survivre aux blessures de la vie ».

Conférence et séance de signature pour Lionel Duroy au Salon du livre francophone de Beyrouth. Photo Michel Sayegh

Nulle Absente n'aura été aussi présente dans la vie et l'œuvre de son fils que la mère de Lionel Duroy. Cette mère non aimante et non aimée hante les livres de cet écrivain de manière quasi obsessionnelle. Depuis son premier roman, Priez pour nous, publié au tout début des années 90, dans lequel il revenait sur son enfance calamiteuse au sein d'une famille noble et désargentée, expulsée du jour au lendemain de l'appartement de Neuilly et relogée dans une HLM de banlieue. Un événement particulièrement traumatique pour la mère, grande bourgeoise obnubilée par les apparences et le statut social et qui, dès lors, se transformera en furie hystérico-dépressive faisant vivre un calvaire quotidien à son mari et ses dix enfants.

On n'échappe jamais à son enfance
De roman en roman, Lionel Duroy n'aura cessé de puiser dans son histoire personnelle pour nourrir son écriture. Pour mettre en mots ces ambivalences des sentiments, ces incohérences incompréhensibles, ces secrets douloureux que recèlent les familles... Et surtout ces chagrins d'enfance qui construisent souvent les êtres et forgent leurs destins.

« Je crois qu'on n'échappe pas à son enfance », avance-t-il d'ailleurs, pour justifier le fait que l'ensemble de son travail tourne autour de l'enfance et de l'effondrement familial. « C'est un sujet qui concerne tout le monde. Une fois que l'enfance est finie, les dès sont jetés. Vous ne pouvez plus jamais revenir sur ce que vous n'avez pas reçu. Alors, si comme moi vous n'avez reçu durant cette période que des images négatives, il y a tout à reconstruire. Ce n'est pas par hasard que je suis devenu écrivain, mais parce qu'il fallait poser des mots sur ce chaos dans lequel j'ai grandi », confie cet homme, fou de vélo, qui ne cesse de revenir par l'écriture sur les pistes de son passé.

 

(Pour mémoire : Prix Renaudot des lycéens à Lionel Duroy pour « L’hiver des hommes »)

 

« À partir de ce jour-là je ne l'ai plus jamais regardée... »
Après quelques années de journalisme à Libération, Lionel Duroy est donc devenu romancier (biographe de stars aussi, comme Depardieu, Renaud, Sylvie Vartan ou encore Mireille Darc...). Et s'il a fait de ses proches et des membres de sa famille – à leur détriment – des personnages de romans (Échapper, Le Chagrin), la mère y occupe de manière quasi récurrente le rôle central. « Elle a toujours été pour moi un objet d'effroi », dit-il, sans fausse pudeur. « Le jour de l'expulsion, elle s'est effondrée. Cela a été très violent, et son attitude a déterminé toute ma vie. Elle avait 38 ans, moi 9, et à partir de là, je ne l'ai plus jamais regardée. Mes neuf frères et sœurs aussi. Elle nous faisait peur, alors on la fuyait. Elle est devenue absente pour nous tous. » D'où le titre de ce dernier roman, L'absente, qui lui est cette fois totalement consacré. « Au départ, j'envisageais ce texte comme un road-trip un peu fou d'un type qui avait perdu sa maison à la suite de son divorce – ce qui a failli m'arriver effectivement lors de mon divorce et m'a terrorisé durant quelques mois », révèle l'auteur. « Il devait s'intituler Y a-t-il quelqu'un dans le monde sur lequel on puisse compter ?

Et ce récit dont j'avais commencé l'écriture à une période très difficile de ma vie m'a fait revenir, presque malgré moi, sur ce moment où ma mère, en perdant sa maison, est devenue folle. Jusqu'à présent, cela ne me touchait pas. Elle avait été tellement insupportable ! Mais en écrivant ce roman, j'ai réalisé combien cette situation devait être terrible pour elle. J'ai alors essayé de reconstituer, un peu comme dans une enquête, qui elle avait été dans son enfance, sa jeunesse avant qu'elle ne passe à côté de sa vie après son mariage avec notre père, qui était un aristocrate sans le sou, représentant en aspirateurs, mythomane et qui l'a entraînée dans un déclassement vertigineux. Avant qu'elle ne devienne cette mère qui n'était plus du tout aimante et que ses enfants fuyaient. » Au fil de l'écriture, soutenue par ces photos de famille que Lionel Duroy examine longuement à la loupe pour essayer d'en débusquer le moindre détail révélateur, son regard sur cette femme, qu'il a enterrée sans une larme, va se modifier, s'infléchir, dans une ultime tentative de rapprochement. « En fait, ce roman m'aura permis de comprendre et de montrer qu'une partie d'elle-même était aussi digne d'être aimée », assure cet auteur qui, du terreau de ses malheurs, arrive à tirer des histoires attachantes et
émouvantes.

Mon père, cet escroc...
Des récits d'une franchise sans concessions. Sans pathos. Et, étonnamment, sans reproches envers le père, Théophile, surnommé Toto, pour lequel l'auteur avoue une profonde affection. « Il était une espèce d'escroc, toujours endetté, constamment en train de signer des chèques sans provisions. Il n'y avait que des huissiers qui venaient à la maison. Et en dépit de cela, il arrivait à dormir. Ils nous a transmis une espèce de tranquillité dans l'illégalité. Être plus fort que les lois, cela vous donne, notamment quand vous êtes écrivain, une espèce de sûreté en vous. Moi, j'ai toujours pensé que j'écrirais, que je ne ferais que ce que je voulais dans la vie. Et voilà... En fait, même si je ne vole personne, je suis un voyou. J'en suis conscient ! » lance-t-il en conclusion.

 

 

Lire aussi

Tomber croyant comme on tombe amoureux

L’hommage à Mounir Chamoun, « l’universitaire accompli »

Plaidoyer pour l’amour

Et si l’homme n’était pas un loup, mais un homme pour l’homme...

L’art, question de (sur)vie ou de mort ?

Nathalie Azoulai :  J’aime mettre une loupe sur les relations humaines

Nulle Absente n'aura été aussi présente dans la vie et l'œuvre de son fils que la mère de Lionel Duroy. Cette mère non aimante et non aimée hante les livres de cet écrivain de manière quasi obsessionnelle. Depuis son premier roman, Priez pour nous, publié au tout début des années 90, dans lequel il revenait sur son enfance calamiteuse au sein d'une famille noble et désargentée,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut