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Culture - Rencontre

Et si l’homme n’était pas un loup, mais un homme pour l’homme...

Pour son 36e ouvrage, Sylvie Germain invite à savourer un conte merveilleux, « À la table des hommes », paru aux éditions Albin Michel. Une fable résolument contemporaine.

Sylvie Germain dissèque les relations entre l’homme et l’animal. Photo Michel Sayegh

Dans le cadre du Salon du livre de Beyrouth, Sylvie Germain, venue présenter son dernier ouvrage, dévoile sa sensibilité et sa compassion face à la maltraitance des animaux, dans la lignée des penseurs Élisabeth de Fonteney et Jacques Derrida, qui se sont penchés sur la condition animale à travers une réflexion philosophique. L'auteure dissèque les relations entre l'homme et l'animal, au cours d'un entretien emprunt d'une grande émotion.

Suite à un bombardement, un porcelet égaré est le seul rescapé d'un incendie brutal et dévastateur. Il tente de survivre dans un environnement hostile, erre parmi les bois à la recherche de nourriture, mais aussi de chaleur. Il trouvera le réconfort auprès d'une femme qui lui donnera son lait, puis d'un ruminant, une daine, qui le protégera avant d'être abattue par le pire des prédateurs, l'homme.

Dans cette première partie du roman, intrigante et fascinante, Sylvie Germain se met à hauteur d'animal, capte l'atmosphère de la nature et plonge le lecteur dans un univers à dimension intemporelle à travers une écriture charnelle et très visuelle qui traverse non seulement son regard, mais trouble son odorat et bouscule ses sens. Les mots de Sylvie Germain tantôt beuglent, bêlent, caquettent et vagissent, et tantôt ils embaument les pages de délicieux parfums de cannelle et de jus de citron. Le lecteur traverse la forêt, renifle, vagabonde, gambade, se terre et s'abandonne à bout d'un souffle qu'il partage avec le porcelet.

L'histoire devient conte lorsque cet animal, par un prodige inexpliqué et au contact d'un jeune homme agonisant, devient à son tour un jeune homme innocent... Est-ce le porcelet qui s'est nourri de la vitalité du jeune garçon ou l'inverse ?

 

Le pouvoir du langage
Le jeune homme au teint rose et laiteux est recueilli par des villageois en pleine guerre civile, quand une vieille femme le prend sous son aile et le prénomme Babel. « Babel, parce que les enfants babillent, bégaient et gazouillent », avoue Sylvie Germain. C'est bien plus tard qu'une révélation la prendra de court quand elle réalisera que dans Babel se cache Abel. Abel, cette innocence maltraitée dans la légende biblique, se présentera à elle comme une évidence, comme un acte de circoncision.

Ne se souvenant plus de son passé et dépourvu de sa sensibilité extrême – le flair –, le porcelet devenu jeune homme va devoir acquérir peu à peu le langage et découvrir le pouvoir et la magie des mots, pour flairer les non-dits et assimiler cet univers étrange. « Au sein de la société, sans le langage, on part déjà vaincus », assène l'auteure.

Babel va au fil de ses rencontres, des jumeaux asociaux, la fille d'un ex-clown qui s'est perdu, un libraire et un droguiste, attirer la compassion et le désir de protection des hommes, mais se heurter aussi à la cruauté des autres enfants. Il s'approprie le pouvoir des mots, dits puis lus, afin de se protéger de la méchanceté et de la violence...

Sylvie Germain revisite le mythe de l'enfant sauvage, mais aussi la difficulté à appréhender le langage et exprimer sa pensée. Elle confie n'avoir pas prévu, dès le départ, d'orienter son histoire de telle manière, mais que « les éléments se sont cristallisés au fur et à mesure du temps ». Elle improvise au fil de l'écriture, qui a d'ailleurs connu des périodes successives étalées sur un an et demi. Pour l'auteure, le porc, sur le plan physiologique, reste l'animal le plus proche de l'homme, par ses sens, par son intelligence, par sa capacité d'assurer sa survie, mais aussi par ses organes qu'il peut transmettre à l'homme.

 

Le pouvoir de l'amour
Quand Abel se retire dans sa ménagerie après avoir assisté au massacre des hommes par les hommes, c'est un être accompli, qui ne sombre pas dans la haine, dans le ressentiment ou dans le rejet de l'humanité. Sa fidèle amie, la corneille, l'accompagnera d'un bout à l'autre de l'histoire et restera seule à l'avoir côtoyé dans sa double nature, animale et humaine, seule à avoir partagé son ambiguïté. Elle est sa mémoire, son ange gardien, son trait d'union. Après sa disparition, Abel, dans un rituel chamanique, brassera le vent, mais aussi ses souvenirs auprès des hommes. D'eux, il conservera la joie d'avoir été aimé et d'avoir aimé.

La partie plus moraliste de la fable arrive lorsque celle-ci devient contemporaine. Sylvie Germain dénonce les problèmes politiques et religieux qui agitent notre monde et la mémoire courte des hommes, qui perpétuent les crimes et les génocides, tout en faisant référence à la guerre des Balkans. Elle termine son conte philosophique par un clin d'œil qui n'est pas sans rappeler l'attentat meurtrier du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo, comme un hommage à la parole assassinée.

Sylvie Germain transporte et enchante le lecteur par un style propre à elle, poétique et empreint de réalisme, dans un univers singulier qui laissera ses empreintes sur notre nature humaine longtemps après avoir refermé ce roman initiatique à portée universelle.

 

 

Pour mémoire

Le livre de la vie de Sylvie Germain

Dans le cadre du Salon du livre de Beyrouth, Sylvie Germain, venue présenter son dernier ouvrage, dévoile sa sensibilité et sa compassion face à la maltraitance des animaux, dans la lignée des penseurs Élisabeth de Fonteney et Jacques Derrida, qui se sont penchés sur la condition animale à travers une réflexion philosophique. L'auteure dissèque les relations entre l'homme et...

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