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Culture - En galerie cette semaine

Sortir à Beyrouth : des histoires d’âne, d’enfance en exil et le portrait de la capitale

Parce que l’âne n’est peut-être pas celui que l’on croit. Parce qu’on vient tous du pays de l’enfance. Et parce que la capitale libanaise, même fracassée, reste une muse, une icône, inlassable inspiratrice des artistes… « L’Orient-Le Jour » recommande chaudement la visite de ces trois expositions.

Sortir à Beyrouth : des histoires d’âne, d’enfance en exil et le portrait de la capitale

« April in Beirut », acrylique sur toile de Hala Ezzeddine (160 x 200 cm ; 2022). Photo DR

Hala Ezzeddine, portraitiste de l’âme de Beyrouth

C’est une Beyrouth de fer et de feu. Une ville brisée et embrasée. Une capitale fracassée, déchue, blessée mais iconique malgré tout, comme le serait une ex-gloire qui a sombré dans le chaos, que « portraiture » Hala Ezzeddine à coups de pinceau intenses et d’une vigoureuse et poétique expressivité. Et cette Beyrouth-là, qui hante les cimaises de la galerie Saleh Barakat à Clemenceau, vous prend au cœur et aux tripes, vous enveloppe de son sortilège… aux couleurs fauves.

Une vue de l’exposition « Portrait of Beirut » de Hala Ezzeddine à la galerie Saleh Barakat. Photo DR

Difficile de deviner, quand on la rencontre, la puissance et le feu qui couvent en cette frêle jeune femme au regard doux et profond. Et pourtant, il y a quelque chose d’ardent, d’incandescent, toujours, dans les toiles à l’acrylique de cette artiste trentenaire. Qu’il s’agisse de portraits d’humains, ces frimousses d’enfants venant de milieux défavorisés qu’elle a commencé à immortaliser à ses débuts, il y a une dizaine d’années, ou de « Portraits de Beyrouth » (pour reprendre le titre de son exposition) dont les premières représentations ont jailli spontanément sous son pinceau au lendemain de l’explosion du 4 août 2020. C’est comme si la tragédie qui a marqué cette ville l’avait humanisée aux yeux de la jeune femme originaire de la Békaa. Comme si la douleur et les ravages qu’elle a subis lui avaient donné une dimension mythique, un peu surréelle et troublante… Une densité nouvelle qui va au-delà de la représentation de ses rues chaotiques, de ses arrogantes tours accolées à ses bâtisses anciennes, de ses rares allées ombragées, de son ciel parfois si bleu, d’autres fois si mauve et noir, qui jaillit sous les abondantes touches contrastées au regard du spectateur, à la manière d’un tableau d’illusionniste.

« Surrounding Holiday Inn » de Hala Ezzeddine (200 x 200 cm ; 2023). Photo DR

Fallait-il que cette artiste douée, titulaire d’une maîtrise en beaux-arts de l’Université libanaise en 2014, Premier Prix de la Fondation Boghossian en peinture en 2015 et lauréate de la toute première édition en 2016 de Génération Orient (l’opération de repérage de jeunes talents menée par L’Orient-Le Jour), donne des preuves supplémentaires de son talent ? Toujours est-il qu’elle présente aussi, parallèlement aux acryliques sur toile capturant une ville tout en ombres et lumières, une série de crayon mine sur carton de grandes dimensions. Des dessins exécutés en 2021, en fougueux enchevêtrements de lignes et de tracés, représentant différents quartiers terrassés par l’explosion, de Mar Mikhaël à Zaytuna Bay. Et qui impriment eux aussi sur la rétine du visiteur de l'exposition l’image sensible d’une Beyrouth à l’âme tourmentée.

Un « Portrait of Beirut » de Hala Ezzeddine sans doute des plus vrais. À découvrir jusqu’au 25 mai.

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Un âne… à la galerie Tanit

C’est un âne dans tous ses états que donne à voir la galerie Tanit de Beyrouth, avec l’exposition « Charcoal, Ink and a Donkey » (Fusain, encre et âne) de Sadik Kwaish Alfraji. Un âne noir sorti tout droit des réminiscences de l’enfance bagdadienne de l’artiste irakien qui réside aujourd’hui aux Pays-Bas. Mais aussi de l’imaginaire de George Orwell, le fameux auteur de La ferme des animaux, cette fable mettant en scène la révolte des animaux contre leurs maîtres et dans laquelle l’âne prend – contrairement à sa réputation – la figure du sage, du lucide, un brin pessimiste et cynique.

Un coin de l’exposition « Charcoal, Ink and a Donkey » à la galerie Tanit de Beyrouth. Photo DR

Et c’est cet âne-là qui semble avoir pris d’assaut le vaste espace de Naïla Kettaneh-Kunigk (à Mar Mikhael) à travers un ensemble d’« encre et fusain » sur très grandes toiles (dépassant pour certaines les 3 x 3 mètres) le représentant toujours en solitaire, mais dans différentes poses : de face, de profil, ruant dans les brancards ou au contraire étendu au repos, souvent chargé et parfois déchargé de toute servitude…

Un âne aux attitudes et regards expressifs, « humanisé » en somme, que l’on découvre aussi figurant aux côtés de l’artiste lui-même dans une troublante peinture façon « selfie »… Ou encore trottant inlassablement dans le vide, bruit de sabots à l’appui, dans une courte vidéo d’animation en stop motion.

« Tous les animaux sont égaux. Mais certains animaux sont plus égaux que d’autres », écrivait George Orwell dans une claire allusion à l’injustice d’un monde dominé par les dictatures et les oppresseurs. En intégrant cette phrase dans un grand « portrait en pied » de l’animal, Sadik Kwaish Alfraji réclame la réhabilitation de ce vieux compagnon de route de l’homme, considéré à tort comme stupide et têtu et relégué au rang de bête de somme.

Une œuvre au fusain et à l’encre sur toile signée Sadik Kwaish Alfraji chez Tanit. Photo DR

Un animal dont l’artiste a fait son alter ego, lui qui est né dans cette région du Moyen-Orient où les populations méprisées par leurs dirigeants servent uniquement les ambitions de ces derniers… Et qui en s’en échappant, en s'installant sous d'autres lattitudes, a trouvé sa place et la reconnaissance de sa juste valeur de plasticien aux œuvres aujourd’hui intégrées dans certaines collections muséales. 

Bref, il y a comme une ironique dimension politique à cet ensemble d’œuvres qui, sous leur apparente sobriété, dégagent quelque chose de captivant… A voir. Jusqu’au 16 mai.

Et les souvenirs d’enfance de Sara Badr Schmidt chez Agial

Elle est née à Stockholm, de père libanais et de mère suédoise, et a grandi partiellement dans un pays en guerre. De son enfance et son adolescence quelque peu ballottées au gré des allers-retours entre le Liban, la Suède (durant les vacances d’été) et la France (où sa famille trouvait refuge durant les phases de trop grandes tensions de la guerre), Sara Badr Schmidt n’avait gardé que le meilleur. C’est-à-dire une identité enrichie d’une multiculturalité qui lui ouvrait de vastes horizons… Ancrée à Paris depuis son mariage, cette Libano-Suédoise, grande voyageuse par ailleurs, s’adonnait à une pratique artistique pluridisciplinaire et particulièrement orientée vers l’effacement des limites et des frontières qui cloisonnent les humains dans des territoires identitaires. Jusqu’à la vente, il y a quelques années, et la démolition quasi simultanée des maisons de sa jeunesse, à Beyrouth et dans une île de l’archipel de Stockholm…

Un coin tapisseries de Sara Badr Schmidt à la galerie Agial. Photo DR

Un triste doublé qui réveillera sa mémoire et ses émotions d’enfant. Rattrapée par la nostalgie, Sara Badr Schmidt ressent le besoin de retrouver ses racines. Et se met à croquer ces lieux de son enfance et les scènes qu’elle y a vécues. Elle en fera des peintures, des dessins, des photomontages, de petites sculptures en bronze et de lumineuses tapisseries faites main (en fil de soie, cachemire et laine), aux personnages et tracé naïfs et enchanteurs… Un ensemble d’œuvres réunies à la galerie Agial (Hamra, rue Abdel Aziz) en une installation narrative qui interroge le sentiment d’appartenance et son lien intrinsèque avec les maisons où l’on a grandi. Intitulée « We Left Home… But What Is Home », voilà une exposition qui vous entraînera dans un récit de vie fait d’allers-retours dans les replis de l’enfance en temps de guerre et de paix… Une histoire d’arrachement et d’adaptation, d’attachement, de perte et de retrouvailles qui trouvera écho chez beaucoup de Libanais ayant grandi entre deux, voire trois pays et maisons. Jusqu’au 18 mai.

Hala Ezzeddine, portraitiste de l’âme de Beyrouth C’est une Beyrouth de fer et de feu. Une ville brisée et embrasée. Une capitale fracassée, déchue, blessée mais iconique malgré tout, comme le serait une ex-gloire qui a sombré dans le chaos, que « portraiture » Hala Ezzeddine à coups de pinceau intenses et d’une vigoureuse et poétique expressivité. Et cette Beyrouth-là, qui...
commentaires (2)

C'est très poétique tout ça. La réalité est autre: les (vrais) anes : on les voit á la télé et dans leurs voitures aux vitres fumées dans la journée. La réalité c'est les crimes et délits au quotidien et les (pseudos) sdf á tous les coins de rue. C'est aussi les embouteillages en continu parceque durant 30 ans les corrompus n'ont pas trouvé un intérêt commun á doubler les voies côtières et á créer une modeste voie férée littorale.

Moi

18 h 43, le 30 avril 2024

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Commentaires (2)

  • C'est très poétique tout ça. La réalité est autre: les (vrais) anes : on les voit á la télé et dans leurs voitures aux vitres fumées dans la journée. La réalité c'est les crimes et délits au quotidien et les (pseudos) sdf á tous les coins de rue. C'est aussi les embouteillages en continu parceque durant 30 ans les corrompus n'ont pas trouvé un intérêt commun á doubler les voies côtières et á créer une modeste voie férée littorale.

    Moi

    18 h 43, le 30 avril 2024

  • Ce Liban créatif, ouvert, artistique cosmopolite, sensible, remplit notre cœur de beaume. Celui des barbus nous ramène au moyen âge et nous déprime. Que faire, avec des compatriotes pareils?

    Zampano

    16 h 35, le 30 avril 2024

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