Cher général Aoun
Le quinzième anniversaire de la réconciliation de la Montagne, réalisée au début du mois d'août 2001, est une occasion d'initier une réflexion sur le comportement politique du leadership chrétien à l'époque de la tutelle syrienne, certes, mais également dans le contexte présent. Cette réconciliation druzo-chrétienne avait alors reflété la première ouverture publique et largement médiatisée du patriarche maronite Nasrallah Sfeir en direction de l'islam politique libanais. La démarche historique du cardinal Sfeir avait revêtu un caractère particulièrement audacieux qui manque malencontreusement à certains leaders chrétiens actuels.
La ligne de conduite responsable (au plan national) du patriarche Sfeir avait déjà été mise en évidence lorsqu'il avait souligné que « les chrétiens sont les serviteurs du Liban, mais le Liban ne peut pas être au service des chrétiens seulement ». Telle était l'idée sage du cardinal Sfeir, présentée comme le fer de lance face aux tentatives des prosyriens, qui proposaient à l'époque à notre « Panoramix » local une loi électorale qui « favoriserait » la présence chrétienne, à travers par exemple la remise en liberté du leader des Forces libanaises, Samir Geagea, ou encore la réouverture de la MTV... avec, en retour, une seule exigence : celle de ne plus hausser le ton face à la présence de 40 000 soldats syriens présents sur le sol libanais.
Le troc consistait, cher général, à céder sur le terrain de la souveraineté pour obtenir des « intérêts » chrétiens !
Ce troc avait été bel et bien refusé par l'Église maronite, qui sut ainsi éroder, par la patience, la persévérance et la clarté du choix politique, rien moins qu'une montagne.
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Depuis, cher général, vous avez instauré une nouvelle approche.
Vous avez considéré que la souveraineté du pays n'est pas remise en cause par les armes du Hezbollah, que les troupes syriennes se trouvaient d'ores et déjà en dehors du pays en 2005, et que le moment était venu de remettre les pendules à l'heure concernant le partage du pouvoir avec l'islam au plan local, perçu comme naguère « bénéficiaire » de la mainmise syrienne, et pourtant toujours doté d'un appétit démesuré malgré le retrait des troupes assadiennes !
Cet islam était bien entendu un islam sunnite que l'on retrouve dans le secteur bancaire, ainsi que dans le monde des affaires, par exemple... en ville, plus précisément dans la Cité, en d'autres termes.
« L'autre » islam, selon vous, l'islam chiite, serait notre allié potentiel pour soustraire les fameux « droits » prétendument spoliés par les sunnites aux chrétiens et les rendre à ces derniers.
Pour vous, cher général Aoun, les accords de Taëf, perçus comme une pure « invention sunnite saoudienne », avaient fait des chrétiens libanais des « citoyens déclassés », au profit de « sunnites surclassés ».
À partir de ce nouvel axiome, vous n'avez eu de cesse, cher général, d'inviter les chrétiens à mener, 11 ans durant, une pseudo-croisade politique contre les sunnites, représentés principalement par le camp Hariri, et inlassablement montrés du doigt comme coupables, dans le but de recouvrer les droits « spoliés ».
Pour améliorer les conditions de votre bataille, vous n'avez pas, cher général, hésité à vous allier avec le Hezbollah, devenu le bouclier qui « défend les intérêts des chrétiens » et leur assure même « une garantie sécuritaire » face à un islam sunnite perçu comme l'incarnation même de Satan sur terre.
C'est dans cette perspective que vous tentez aujourd'hui, cher général, d'imposer votre candidature à la présidence de la République.
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Cette candidature n'est d'ailleurs pas présentée comme émanant d'un intérêt personnel de votre part. Si le général Aoun se présente en effet à la présidentielle, c'est pour « l'intérêt des chrétiens », ni plus ni moins, martelez-vous !
Et, partant, si le général Aoun n'est pas élu, cet échec constituera une perte pour l'ensemble des chrétiens, due au refus des « mauvais musulmans » (sunnites) et en dépit des efforts des « bons musulmans » représentés par le Hezbollah...
Cher général Aoun, il est temps que cela vous soit dit noir sur blanc et sans détour : votre approche diamétralement opposée à celle du patriarche Sfeir est celle qui est responsable du vide présidentiel et, partant, du blocage institutionnel général. Votre position a été utilisée par le Hezbollah pour annuler dans un premier temps toute possibilité d'élire un président de la République et pousser le pays, dans un deuxième temps, vers un remodelage des accords de Taëf et une nouvelle assemblée constituante.
Cher général, vos performances n'ont pas aidé le Liban, et encore moins les chrétiens – ni en 1989 ni aujourd'hui.
En vous transmettant mes salutations les plus cordiales, je vous invite, cher général, à réévaluer votre expérience. Il n'est jamais trop tard. Si l'histoire n'aime pas les retardataires, elle reste néanmoins plus clémente avec eux qu'avec ceux qui ratent toutes les occasions.
Gardez surtout à l'esprit que ceux qui ont considéré les armes palestiniennes et syriennes comme illégales, ne sauraient à présent percevoir les armes iraniennes différemment, pour le simple plaisir de satisfaire votre ambition personnelle.
Veuillez recevoir, cher général, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Farès SOUHAID
Coordinateur général du 14 Mars
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C,EST DIT... ET TRES BIEN DIT !
12 h 58, le 08 août 2016