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Liban - Août 2001

Quand résistance politique, réconciliation et purification de la mémoire fusionnent

La réconciliation de la Montagne d'août 2001 a été le premier acte politique d'union transcommunautaire, accompli sous la tutelle syrienne. Inclusif, apte à rallier progressivement les autres composantes du pays, cet acte fut l'embryon de la dynamique nationale indépendantiste de l'après-guerre, qui connaîtra son apogée le 14 mars 2005 au coeur de la capitale, Beyrouth. L'acte fondateur en sera donc l'alliance entre Bkerké et Moukhtara.

D'un côté, le patriarcat maronite, seul support officiel, sur le territoire libanais, à la résistance contre la tutelle syrienne – notamment depuis l'appel des évêques en 2000 à l'application des accords de Taëf et de la résolution 520 (c'est-à-dire au retrait intégral des troupes syriennes du territoire libanais). De l'autre, le leadership druze, porteur du stigmate de l'assassinat de Kamal Joumblatt – et de son legs souverainiste, qui est aussi celui de la Montagne.

Sensible aux mutations de la politique américaine à l'égard du régime syrien – que la décision unilatérale israélienne de retrait du Liban en 2000 laissera d'ailleurs dans un premier temps perplexe – et averti aussi, sans doute, de la bataille politique qui commençait à se profiler entre l'aile alaouite et l'aile sunnite du régime syrien, Walid Joumblatt commençait à emboîter le pas au patriarche Nasrallah Sfeir : il appuiera la déclaration des évêques lors du débat parlementaire sur la confiance à accorder au cabinet Hariri, suscitant la rétorque, sous forme de mise en garde à peine voilée, du député baassiste Assem Kanso.

Prudent, sans que sa détermination n'en soit ébranlée, Walid Joumblatt plaidera pour le redéploiement des troupes syriennes jusqu'à la Békaa, remettant en cause le dogme assadien de la présence « nécessaire, légale et temporaire » des forces syriennes.

L'ancien député Samir Frangié, point de liaison entre Bkerké et Moukhtara, a saisi la complémentarité des deux hommes. « Le patriarche Sfeir est de ces grands hommes qui n'ont pas l'ambition d'être grands, souligne Samir Frangié. Son obsession première était de sortir les chrétiens, et le pays dans son ensemble, de quinze années de guerre. Une démarche qui, à ses yeux, devait préluder à tout autre acte politique. » Tout aussi pressant était le souhait de Walid Joumblatt de sceller la réconciliation, celle-ci étant un enjeu vital pour une Montagne menacée par les réminiscences de la guerre.

Mais la réconciliation devait aussi répondre à l'opportunité politique entrevue par M. Joumblatt de briser pour la première fois l'interdit sacro-saint du régime syrien à tout rapprochement islamo-chrétien libanais. Un interdit que Samir Frangié formule en ces termes : « Chacun était libre de dire ce qu'il voulait, tant qu'il le disait seul. »

 

(Lire aussi : La reconstruction de l'église Saint-Élie de Brih, fruit du mariage entre tradition et modernité)

 

S'affranchir de la peur
La réconciliation de la Montagne sera ce premier acte de rapprochement, la première transfiguration politique structurelle, de la dynamique civile plurielle amorcée dès 1993 par le Congrès permanent du dialogue libanais, fondé à l'époque par Samir Frangié, Hani Fahs, Saoud el-Maoula et Farès Souhaid, parmi d'autres.

Et cet acte de rapprochement avait cela de crucial qu'il s'était édifié sur le terrain complexe de la mémoire de la guerre civile. En effet, cette expression, dans un premier temps bilatérale, de dépassement de la guerre a porté implicitement un manifeste contre la lecture sélective et politique de la guerre dictée par le régime syrien – qui s'articulait notamment sur la diabolisation des milices chrétiennes et sur des méthodes machiavéliques visant à fomenter des dissensions entre les communautés et leurs chefs respectifs pour mieux aider ensuite à les résoudre – le « pompier-pyromane ». La seule relation de partenariat national possible pour les communautés était, en fait, impossible, dans la mesure où il s'agissait d'une relation triangulaire passant de manière incontournable par l'arbitre-Léviathan : Damas.

Mais pour effectuer la réconciliation, il fallait aussi affranchir les Libanais de leurs peurs inhérentes, enracinées dans leur propre vécu de la guerre, indépendamment de la présence syrienne ou de tout autre paramètre. L'ancien député Farès Souhaid retient ainsi des débats engagés dans le cadre du Congrès permanent, la relative aisance des participants à s'entendre sur la nécessité de faire face à la tutelle syrienne, qui contrastait avec leur difficulté à évoquer les tiraillements interconfessionnels, leurs peurs mutuelles engendrées par quinze années de guerre et les moyens de les dépasser.

Particulièrement sensible aux méandres du travail de mémoire, Samir Frangié rapporte qu'il n'était « pas facile pour des personnes sortant de la guerre de comprendre que sans le travail de mémoire, il ne leur serait pas possible de s'affranchir de la tutelle syrienne ».
Il s'opérait ainsi une double résistance : la résistance individuelle à l'oubli et la résistance à l'occupant.
Une corrélation que les services de renseignements chercheront à briser. Leurs tentatives préalables de mettre en échec la réconciliation vont dans ce sens. Ils tenteront dans un premier temps d'en réduire la symbolique en laissant entendre qu'une tournée de réconciliation dans la Montagne sans un passage au domicile du député Talal Arslane resterait parcellaire.

Que le patriarche ait décidé d'occulter cette étape aurait ouvert la voie à une campagne désavouant la réconciliation en soi ; qu'il ait au contraire décidé de se rendre au domicile du député aurait marqué l'acte du sceau syrien, ce qui lui aurait ôté sa portée politique. La décision du patriarche Sfeir sera, au final, de se rendre chez le député en question... en veillant toutefois à ne pas franchir le perron de Khaldé. Mais les pressions syriennes s'accentuaient au rythme des trois jours de la tournée du patriarche. Jusqu'à la dernière minute, il n'était pas sûr que sa visite à Moukhtara aurait lieu. Sur la terrasse du siège de l'évêché de Saïda, à Beiteddine, au matin du fameux samedi 4 août, Samir Frangié lui demandera si « tout est sur les rails ». Ce à quoi rétorquera le patriarche Sfeir par un sourire.

 

(Lire aussi : Lettre ouverte au général Michel Aoun)

 

L'ombre de Hariri
Le député Marwan Hamadé, l'un des principaux chevaliers de la réconciliation, décrit lui aussi le suspense de la dernière minute et l'effet des deux discours acteurs de la réconciliation, le 4 août, à Moukhtara, dépassant toutes les attentes. Walid Joumblatt avait carrément annoncé ce jour-là « le besoin pour le Liban d'une unité nationale globale ».

Une unité qui prenait forme discrètement. Dans les rangs de l'audience, durant l'événement, était assis feu le journaliste Nassir el-Assaad, et à travers sa présence, pointait celle, encore silencieuse, discrète, mais bienveillante, de Rafic Hariri. Marwan Hamadé relate dans ce cadre le soutien financier et moral de Hariri au travail d'indemnisation des victimes entrepris par le ministère des Déplacés. Un soutien qui a permis de dénouer en coulisses les cas les plus difficiles.

Cette ébauche d'unité nationale provoquera immédiatement l'ire du régime sécuritaire, qui ira à l'assaut des étudiants des partis chrétiens de l'opposition, raflant dès la fin de la tournée du patriarche maronite, le 7 août, tous les cadres supérieurs des Forces libanaises et du courant aouniste, avant de réprimer violemment, le 9 août, les opposants qui manifestaient pour la libération de leurs camarades devant le Palais de justice.
Le printemps de Beyrouth éclora dans les années qui suivront, avant que la machine à tuer ainsi que les vieux réflexes identitaires et l'incapacité à poursuivre sérieusement le processus de purification de la mémoire n'en brisent le souffle.

 

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La réconciliation de la Montagne d'août 2001 a été le premier acte politique d'union transcommunautaire, accompli sous la tutelle syrienne. Inclusif, apte à rallier progressivement les autres composantes du pays, cet acte fut l'embryon de la dynamique nationale indépendantiste de l'après-guerre, qui connaîtra son apogée le 14 mars 2005 au coeur de la capitale, Beyrouth. L'acte fondateur...
commentaires (1)

L histoire a connu des evenements semblables puisqu on dit qu elle se repete . Guerre ,expulsion puis reconciliation et hop re guerre re expulsion et re reconciliatiion.. Avec un peu d optimisme les chretiens de la " montagne " esperent etre consideres ( ad vitam aeternam ) comme des citoyens authentiques aussi bien ancrés dans leur terre que leurs voisins druzes .

Hitti arlette

11 h 20, le 06 août 2016

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Commentaires (1)

  • L histoire a connu des evenements semblables puisqu on dit qu elle se repete . Guerre ,expulsion puis reconciliation et hop re guerre re expulsion et re reconciliatiion.. Avec un peu d optimisme les chretiens de la " montagne " esperent etre consideres ( ad vitam aeternam ) comme des citoyens authentiques aussi bien ancrés dans leur terre que leurs voisins druzes .

    Hitti arlette

    11 h 20, le 06 août 2016

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