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Liban - Entretien

Joumblatt à « L’OLJ » : « Le patriarche Sfeir ? Un homme près duquel il faisait bon se trouver »

« Le passé m'apaise, l'avenir m'inquiète. » C'est dans les replis de cette expression fétiche de May Joumblatt que prend forme la lecture dualiste faite par le député Walid Joumblatt sur l'actualité locale et régionale : le passé révolu de la lutte prodigieuse contre la tutelle syrienne au Liban et la « triste » réalité d'un pays aujourd'hui inhibé ; le passé d'une région où « le repère était le rêve du nationalisme arabe » et l'insoutenable retournement régional, au rythme de révolutions « interdites » et dénaturées par le religieux, dont la Syrie est aujourd'hui le symptôme.

La cérémonie d'inauguration, aujourd'hui, de l'église des Khazen à Moukhtara, construite par l'arrière-grand père de Walid Joumblatt en 1820, et récemment restaurée (elle n'a jamais été détruite, seulement endommagée), marquera le quinzième anniversaire de la réconciliation de la Montagne d'août 2001. La cérémonie permettra de raviver la symbolique d'une union nationale, même si sa portée strictement politique ne serait plus d'actualité.

« Ce grand jour (la réconciliation de la Montagne), accompli sur incitation du patriarche maronite Nasrallah Sfeir, a été un grand sursaut national, initiant le mouvement de l'indépendance ; il a été un début, le début de quelque chose... dont les Syriens se vengeront en assassinant successivement tous ses acteurs », souligne Walid Joumblatt. La phase de 2001 à 2005 est, à ses yeux, une période révolue.

 

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Plus personne...
« Il ne reste rien de cette mouvance indépendantiste, et je n'y vois pas de substitut », dit-il. Les raisons ? « Il ne reste plus aucun acteur qui soit à la hauteur de la tâche... Même pas moi », ajoute-t-il en réponse à une question, même s'il fut un temps où « le général Michel Aoun lui-même comptait parmi les acteurs-clés de la lutte souverainiste », et cela jusqu'aux législatives de 2005, « jusqu'à ce que l'alliance quadripartite fasse tout basculer », dit-il, mimant de la main un pic puis une chute, avec une pointe de sarcasme.

L'ambition locale se limite désormais à relancer les institutions. La dernière tentative de déblocage dans ce sens aura été la « manœuvre » autour de la candidature du député Michel Aoun. Voyant que ce dernier est « le candidat numéro un de l'axe syro-iranien, et qu'il a de surcroît consolidé ses assises par le biais de la réconciliation de Meerab », il a paru logique qu'un ralliement des autres parties en sa faveur aboutisse à débloquer la présidentielle. « Le député Sleiman Frangié m'a mal compris : ma manœuvre ne le visait pas personnellement », confie-t-il.

S'il confirme l'échec de l'option Aoun, Walid Joumblatt se retient d'en imputer nommément la responsabilité à des parties libanaises. Il infirme le fait que le chef du courant du Futur Saad Hariri ait une part de responsabilité, tout comme il dément que la présidentielle soit assortie à un package deal. « Il n'y a rien de tel. Une fois un président élu, c'est à lui de former le gouvernement », dit-il. C'est une conjoncture « régionale et, j'insiste, internationale » qui explique l'impasse actuelle au Liban, ajoute-t-il, reprenant la teneur de son intervention laconique à la table de dialogue.

Le bilan qu'il dresse, en somme, de ces séances est « déplorable » : l'option Aoun est enterrée, et les velléités de réformes subsidiaires, comme par exemple la décentralisation administrative, « sont inutiles ». « Nous nous dirigeons vers la tenue de législatives sur la base de la loi de 1960 : il en résultera un vide très dangereux. »

 

(Lire aussi : Lettre ouverte au général Michel Aoun)

 

« Un homme beau »
Son pessimisme ne le retient pas de perpétuer le souvenir de la période antérieure à 2005, d'en entretenir l'effet cathartique.
« Il faut toujours se rappeler, ne pas oublier, toujours en parler », ne cesse-t-il de répéter au fil de l'entrevue.

En dépit du fait que « les réminiscences se prêtent à une idéalisation du passé », les événements ayant conduit le pays à la grande réconciliation nationale du 14 Mars restent un moyen de purger les violences actuelles.

Le souvenir que Walid Joumblatt retient de la réconciliation de la Montagne en est évocateur. C'est un souvenir centré sur le patriarche Nasrallah Sfeir : « Mon souvenir de cette journée est le souvenir d'un homme près de qui il faisait bon se trouver. Un mystique. Rassurant et confiant de ses choix. Un homme serein et qui inspire la sérénité. Un homme beau », dit-il. Il évite toute comparaison directe entre le prélat qui fut le catalyseur de l'action souverainiste et les acteurs actuels. Il se focalise plus sur la dimension mémorielle que strictement politique de la réconciliation. C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'il fait une « analogie entre la réconciliation de la Montagne et la réconciliation de Meerab ». « Ces deux actes ont tourné la page de la guerre de 1983 et de la guerre d'élimination, deux épisodes qui pesaient sur les chrétiens », dit-il.

Avec une nuance toutefois : la réconciliation de la Montagne « n'était pas une réconciliation communautaire, druzo-maronite, pas plus d'ailleurs que ne l'a été la guerre de la Montagne : certes, elle avait opposé des milices chrétiennes et druzes, dont les druzes et les chrétiens ont payé le prix, mais le conflit réel était de nature stratégique, entre les intérêts du camp syrien, d'une part, et ceux du camp israélo-américain, d'autre part ». Pour lui, le retour à la convivialité naturelle de la Montagne s'est opéré. Le mutisme observé dans la Montagne sur le passé de la guerre serait, selon lui, « un bon signe, la preuve d'une volonté de vivre-ensemble ». Il ne voit en outre « aucune raison pour que les chrétiens appréhendent le retour ».

 

(Lire aussi : Quand résistance politique, réconciliation et purification de la mémoire fusionnent)

 

Repères en perdition...
Le problème est désormais ailleurs : « Nous atteignons la phase du conflit sunnito-chiite, un conflit ancestral qui connaît son paroxysme. » C'est toute la complexité de la réconciliation sunnito-chiite qui se posera, dit-il.
Même s'il estime – là encore – que la nature réelle de ce conflit « n'est pas confessionnelle, mais stratégique », il rappelle que l'homme « a tendance à vêtir d'idéologie ses actes, lorsque ceux-ci sont violents ».
« L'incroyable » violence actuelle qui sévit dans la région et dans le monde devrait donc se placer sous le signe du « choc des civilisations », prédit par Samuel Huntington, et du culturalisme de Bernard Lewis, estime M. Joumblatt. Dans la foulée, certains démons ressurgissent, comme « les sensibilités historiques germano-britanniques, sous-jacentes au Brexit ». Dans la région, les repères se perdent, à l'exception du référent religieux.

Il dit avoir « la nostalgie de l'Empire ottoman », à l'heure où « le délire d'Erdogan risque de mettre fin à l'expérience démocratique en Turquie où kémalisme et islam pouvaient coexister ».
En Égypte, le règne actuel est presque « bouffonesque » si on le compare à Nasser, idéalisé par Walid Joumblatt. D'autant qu'au nationalisme, aucun repère n'a succédé, pas même quelque aspiration à des démocraties arabes.

En Syrie, « le peuple n'a jamais pu accomplir sa révolution ». « Celle-ci a certes eu lieu, mais d'aucuns y ont mis tous leurs moyens pour l'avorter, dénonce-t-il. Elle a été remplacée par les groupes radicaux arborant l'emblème religieux. Ces groupes ont remplacé la révolution. » Il déplore dans ce cadre, à plusieurs reprises, « l'ironie du sort » de l'inamovibilité du régime syrien. « Quelle ironie du sort qu'il (Bachar el-Assad) soit toujours au pouvoir », répète l'homme qui avait connu de près, dès 2001, les débuts de divisions à l'intérieur même du régime, son isolement à l'échelle internationale en 2005, et aujourd'hui « ses massacres perpétrés contre le peuple syrien ». Qui plus est lorsque les « amis de la Syrie » au sein de la communauté internationale n'ont jamais vraiment aidé les rebelles dans l'approvisionnement en armes – et que cet approvisionnement via la frontière nord est en passe d'être interrompu.

Il n'empêche toutefois que « la volonté du peuple syrien existe toujours, mue par la dignité et la liberté », insiste-t-il. Et Walid Joumblatt d'évoquer le courage et la bravoure des enfants d'Alep qui ont bravé tous les dangers pour brûler des pneux afin d'entraver les bombardements de l'aviation russe.
Du reste, Bachar el-Assad attendrait l'issue de la présidentielle américaine. « Gagner du temps, toujours. Cela avait été le jeu de son père, et il l'a bien compris », dit-il.

L'heure actuelle serait au maintien de l'équilibre des forces, « notamment au Nord de la Syrie ». Entre-temps, certains problèmes promettent de se complexifier, comme la question kurde, « dont Erdogan ne mesure pas l'ampleur ». Parce que, il ne fait pas de doute, « les convulsions régionales résultent des failles de Sykes-Picot, aggravées par le règne des dictatures arabes. N'étaient ces dictatures, le nationalisme aurait pu l'emporter ». Pour l'instant, « nous vivons toujours sous la malédiction de Sykes-Picot », et ses effets sur la région, ainsi que sur le Liban, restent difficilement cernables.

 

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commentaires (4)

Q'EST CE QUE CA VAUT LES PAROLES DU CAMELEON JOUMBLATT ? RIEN

Gebran Eid

15 h 01, le 06 août 2016

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Commentaires (4)

  • Q'EST CE QUE CA VAUT LES PAROLES DU CAMELEON JOUMBLATT ? RIEN

    Gebran Eid

    15 h 01, le 06 août 2016

  • Jumblatt concernant la réconciliation il faut le prendre au sérieux

    Bery tus

    14 h 19, le 06 août 2016

  • Il ne disait pas ça hier il dit le contraire aujourd'hui il dira le contraire du contraire demain. Bien bête sera celui qui commentera son avis de ce jour .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 56, le 06 août 2016

  • Le Patriarche Sfeir,un homme pres de quiil faisait bon se trouver,un mystique rassurant et confiant de ses choix...un grand homme un saint notre patriarche...

    Soeur Yvette

    09 h 46, le 06 août 2016

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