« Ce soulèvement est un cadeau de Dieu », a lancé le président Recep Tayyip Erdogan, vendredi soir, à ses partisans alors qu'il devenait évident que le putsch lancé par une partie de l'armée avait échoué.
Ce putsch aurait pu l'être, un « cadeau de Dieu », un cadeau tout court, à la Turquie, si M. Erdogan avait saisi l'opportunité de se transformer en président de tout son pays au lieu de se laisser aller à ses penchants autocrates. Et Recep Tayyip Erdogan avait toutes les cartes en main pour cette transformation.
Pendant ce putsch éclair, mené avec un amateurisme effarant à l'aune de l'histoire des coups d'État militaires en Turquie, le président a rapidement bénéficié du soutien de la plupart des partis d'opposition : l'opposition kémaliste et le HDP, de gauche et prokurde, tous deux pourtant très critiques de la conduite des affaires par M. Erdogan, se sont vite prononcés contre son renversement. Autre atout, une armée, une fois n'est pas coutume, divisée. Et le soutien, quoique quelque peu tardif, de la communauté internationale au gouvernement turc « démocratiquement élu ».
Avec toutes ces cartes en main, Recep Tayyip Erdogan aurait pu décider d'œuvrer à combler les dangereux fossés qui se creusent au sein de la société turque. Il aurait pu décider de tenter la voie du consensus politique, dans une Turquie qui fait face à de lourds défis : un conflit sanglant à ses frontières ; une guerre interminable, en son sein, contre les Kurdes ; les attentats jihadistes qui portent atteinte notamment à son secteur touristique central pour l'économie du pays.
Aurait-il fait tout cela, aurait-il décidé de se poser en président de tous les Turcs qu'il en aurait fort probablement vu son pouvoir renforcé.
Mais entre pouvoir et hyperpuissance, le président semble avoir fait son choix.
« Ce soulèvement est un cadeau de Dieu parce qu'il va nous donner une raison de nettoyer l'armée », a déclaré vendredi soir le président à ses partisans.
Le nettoyage de l'armée est en marche. Depuis le putsch raté, quelque 6 000 militaires ont été placés en garde à vue. Mais la purge ne se limite pas à l'institution militaire. Près de 9 000 fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, en majorité des policiers et des gendarmes, ont été limogés. Un gouverneur de province et 29 gouverneurs de municipalité mis à pied.
Une purge dont la célérité laisse à penser, comme l'a notamment observé hier le commissaire européen à l'Élargissement, Johannes Hahn, qu'elle avait été préparée. « Je pense que le fait que les listes soient déjà disponibles juste après l'événement montre qu'elles ont été préparées pour être utilisées à un certain moment », a-t-il déclaré. Et qui laisse à penser que ladite purge semble largement dépasser la cible, légitime, des putschistes.
Cibles, également, du grand nettoyage, 3 000 juges et procureurs, contre lesquels ont été délivrés des mandats d'arrêt. Parmi eux figure Alparsan Altan, un juge de la Cour constitutionnelle, placé en détention provisoire pour des raisons qui n'ont pas été précisées. La Cour constitutionnelle étant l'une des rares institutions turques à encore échapper au contrôle de M. Erdogan...
À trop vouloir l'hyperprésidence, Recep Tayyip Erdogan pourrait néanmoins faire une grosse erreur de calcul. Si son pouvoir semble consolidé aujourd'hui, ce renforcement pourrait tenir davantage du symbole que d'une nouvelle réalité. Son rêve d'hyperprésidence passe en effet toujours par une réforme de la Constitution, qui requiert le vote des deux tiers du Parlement. Il y a fort à parier que si les partis d'opposition ont appuyé M. Erdogan au plus fort de la crise vendredi soir, ils ne soutiendront pas un président qui surferait sur le putsch pour mutiler, un peu plus encore, les libertés publiques et neutraliser le processus politique.
En Turquie, une opportunité ratée
OLJ / Par Émilie SUEUR, le 19 juillet 2016 à 00h00
Visiblement ce coup d'état contre erdo l'allié de l'otan, est entrain de faire craquer pas mal de monde , autour .
16 h 20, le 19 juillet 2016