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Culture - Performance

Perdez vos rêves et vous perdrez peut-être la tête

Dans leur spectacle Uno, Pierre Geagea et Ivana Villada Alday évoluent seuls sur scène, accompagnés par un orchestre de dix personnes. L'atmosphère est animale, trouble, oppressante, car le sujet traité est celui de la condition humaine. Deux êtres, seuls dans leurs silences et dans leurs cris ; incomplets et consumés par leur désir inassouvi de ne former plus qu'un. Les corps à demi-nus des danseurs sont entravés dans une marée de cellophane qui les suffoque. Ils sombrent dans la l'océan de plastique qui les sépare, et dans une dernière convulsion désespérée, ils percent enfin l'onde étirable afin de se réunir. Sans succès. Le drame est là, d'une simplicité sombre et inquiétante : même peau contre peau, les amants ne parviennent pas à se réunir pour ne former plus qu'un et briser leur solitude. Ils évoluent en parallèle, magnétiques, désirés et désirables, et se frôlent sans pouvoir se toucher.

Corps étranger
Les textes de Wajdi Mouawad entrent en parfaite résonance avec le drame des corps qui se joue sous l'œil du spectateur. « Tu me manques, même quand tu es là », répète une voix sourde pendant que les danseurs tourbillonnent. Pour le dramaturge, l'homme est incomplet et sa solitude est irrémédiable ; l'illusion d'une âme sœur capable de traverser le chemin avec lui n'est qu'un rêve décharné. La seule façon de s'aimer est de laisser partir ceux qu'on aime. Le danseur sur scène pousse un cri, violent et doux, qui traduit soudain sa nostalgie pour un corps étranger qu'il n'a jamais possédé. La poésie de Wajdi Mouawad est une religion sans espoir.

« Que jusqu'à deux »
Cette recherche de sens passe également pour les amants solitaires par la recherche de leurs origines. Leurs quêtes sont celles de tous. Déracinés et seuls, les deux danseurs semblent se retourner perpétuellement ; à défaut de savoir où ils vont, ils tentent de saisir d'où ils viennent. De Buenos Aires à Beyrouth, les danseurs ne touchent le sol que lorsque leurs corps se regardent ou s'effleurent. Ils se parlent en français, en espagnol, en anglais, mais ne se comprennent qu'à travers l'alchimie de leurs mouvements spasmodiques. En langue des signes également, dans un dernier élan d'osmose : « On ne peut compter par millions que jusqu'à deux. »

Danser, c'est altérer le vide
En dansant ensemble dans la lumière bleutée, Pierre Geagea et Ivana Villada Alday se fondent dans un incendie sensuel et primitif. Leur poésie est muette, en écho à la surdité du metteur en scène ; leurs mouvements sont saccadés, consumés par une fièvre nocturne et incurable. Leurs portés élancés les élèvent vers un ciel qu'ils n'atteindront jamais. Leurs mouvements sont leur dernier recours afin d'altérer le vide qui les entoure, sur la scène nue et dans leurs cœurs isolés. Ils savent que leur réunion n'est qu'un rêve, qui les a tant embrasés qu'ils ne sont plus ni d'ici ni d'ailleurs. Dans le grand brasier de leurs deux corps solitaires, la seule chose qu'ils parviennent à sauver est leur rêve magnétique d'amants calcinés.

* « Uno », mis en scène et interprété par Pierre Geagea et Ivana Villada Alday, ce soir samedi 18 juin au théâtre Babel, rue du Caire, Hamra.

 

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