Rechercher
Rechercher

Culture - Théâtre libanais

Alain Plisson ira jouer les Polissons au paradis

Le comédien et metteur en scène, l’une des figures emblématiques du théâtre francophone libanais, s’est éteint ce vendredi 10 mai, à l’âge de 94 ans.

Alain Plisson ira jouer les Polissons au paradis

Alain Plisson dans les locaux de "L'Orient-Le Jour" dans les années 1980. Photo archives L'OLJ

Ceux qui l’ont connu garderont de lui l’image d’un homme frêle et bouillonnant, à la démarche sautillante, au regard pétillant et à l’inusable joie de vivre et de jouer…

Journaliste, critique de cinéma, professeur de théâtre, animateur radio et de programmes télé, responsable d’un ciné-club et conférencier, Alain Plisson aura surtout été un acteur et metteur en scène passionné qui a marqué de son empreinte éminemment « francophone » la vie culturelle au Liban. Outre le nombre incalculable de pièces qu’il a présentées sur les planches beyrouthines, il aura largement contribué à former des générations de comédiens professionnels et amateurs auxquels il a transmis sa passion du jeu et de la comédie surtout.

Il était resté jusqu’au bout un éternel enfant, témoignent ses amis, dont beaucoup étaient d’anciens élèves devenus, au fil des ans, sa véritable famille. Jusqu’au bout, même usé par le poids des ans et les déconvenues de la vie, « il suffisait de lui parler de théâtre », pour qu’Alain Plisson s’anime, confie Zalfa Chelhot, l’une des membres de ce clan de fidèles qui s’occupaient de lui ces dernières années et le visitaient régulièrement dans la maison de retraite où il a fini ses jours.

Alain Plisson, une perruche à la main dans « Les requins ou presque » de Gabriel Boustani, en 1966. Photo Harry Koundakjian/Archives L’OLJ

Un ex-enfant de chœur

Né à Alep en 1929 de père français et de mère libanaise, Alain Plisson débarque au Liban avec ses parents à l’âge de 7 ans. C’est à Beyrouth, qu’ il découvrira très tôt – emmené par sa mère et sa tante toutes deux férues d’arts – le cinéma, la scène et la musique. Cinéphile passionné, doté d’une belle voix qui le faisait monter sur les planches dans les spectacles scolaires, le garçon sage qu’il était n’envisageait pas pour autant de faire une carrière artistique.

Très croyant – « Dieu existe, l’enfer existe ! » assurait cet ancien enfant de chœur, qui a fait toute sa scolarité dans un collège religieux – Alain Plisson n’était pas le polisson que son patronyme ou encore la fougue et l’énergie qu’il déployait sur les planches pouvaient laisser imaginer.

Sa scolarité terminée, il s’inscrit selon le souhait de sa famille, en faculté de droit. C’est là que viendra le chercher le destin, par la personne d’une amie qui le sollicite pour jouer dans une pièce que sa mère préparait au bénéfice d’une œuvre de bienfaisance. À peine monté sur les planches, Alain décide d’abandonner ses études juridiques.

Du journalisme et des billets sur son concierge

Sa carrière théâtrale n’est pas lancée pour autant. Et Plisson se retrouve propulsé, par un autre concours de circonstances, dans l’univers du journalisme et de la critique cinématographique qu’il va intégrer à l’orée des années 1950. Il commence par tenir à L’Orient « la rubrique des chiens écrasés », s’amusait-il à raconter. Après un passage de quelques années en tant que chroniqueur dans la revue de cinéma Écran d’Orient, dont il devient en 1958 copropriétaire, il est chargé d’animer une émission consacrée au cinéma pour Télé-Liban de 1962 à 1972. Il fonde également avec d’autres cinéphiles le premier ciné-club de Beyrouth qui officiera de 1955 à 1975. Et, en parallèle, il prend en charge (en alternance avec Samir Nasri) la rubrique cinéma dans L’Orient-Le Jour. Après 1975, on lui confiera également celle de la télévision, à laquelle il donnera une saveur particulière en y adjoignant un billet hebdomadaire dans lequel il s’amusait à raconter, avec humour, ses déboires avec son concierge, ainsi que sa « bête noire », les séries mexicaines qu'il nommait « les mexicâneries »… Certains d’entre vous s’en souviendront !

Alors qu’il continuait en parallèle à jouer dans de petites pièces « les amoureux transis et les fiancés évincés », revoilà que son destin théâtral le rattrape. D’abord il se voit confier des rôles dans des pièces plus intéressantes par les étudiants de l’École des lettres comme Il ne faut jurer de rien de Musset et Arlequin, serviteur de deux maîtres de Carlo Goldoni. Puis lorsque de jeunes dramaturges et metteurs en scène, parmi lesquels figurent Roger Assaf et Gabriel Boustany, prennent en charge le Théâtre de Beyrouth, ils le feront jouer dans leurs pièces libanaises francophones, dont la fameuse Aladin in memoriam qui sera le dernier spectacle avant que la guerre n’éclate.

Otage : le rôle le plus intense d’Alain Plisson dirigé par Maroun Bagdadi dans « Petites Guerres ». Photo Jean-Lou Bersuder


Invité en 1982 aux États-Unis par l’ambassade américaine pour un tour organisé à la découverte du théâtre américain, c’est sa rencontre avec Peter Brook, qui montait La conférence de oiseaux à New York, qui en l’encourageant à présenter sa pièce en français au Liban, lui mettra le pied à l’étrier de la mise en scène. Il entamera cette première mise en scène, suivie de L’autre Don Juan, d’Eduardo Manet, présentée au théâtre de Beyrouth. En 1986, on lui demande de prendre en charge la section théâtre du Beirut University Collège (BUC), puis à partir de 1989 jusqu’à 2004, il enseignera le théâtre à l'Institut des études scéniques et audiovisuelles (Iesav). Il partagera avec ses étudiants son amour des répertoires de Sartre, de Genet, d’Ionesco ou encore d’Arthur Miller qu’il avait découverts sur les planches parisiennes et new-yorkaises, mais aussi de la comédie et du vaudeville dans lesquels il pouvait exprimer pleinement sa nature irrémédiablement malicieuse et joueuse.

Du rire pour l’éternité

« Il a beaucoup donné au théâtre et a révélé beaucoup de gens », se souvient l’ex-chef de service de la page Culture de L’Orient-Le Jour, Maria Chakhtoura, avec qui il a longtemps collaboré. Et d’ajouter : « il était généreux dans la vie comme sur les planches. C’était un professionnel du théâtre tout en étant aussi très calé en cinéma, dont il a d’ailleurs animé des émissions à la radio et à la télévision (Radio Liban et Télé-Liban) parallèlement à la rubrique qu’il tenait dans L’Orient-Le Jour. »


Portrait d'Alain Plisson, un homme aux multiples talents datant du 9 novembre 1993. Photo Michel Sayegh/Archives L’OLJ


« Ceux qui comme moi ont eu la chance de travailler avec lui savent qu’il était un homme qui aimait autant jouer que faire jouer », indique pour sa part Josiane Boulos qui avait participé à trois de ses pièces. « C’était un homme exigeant et passionné, doté d’une intelligence scénique exceptionnelle, qui pouvait être colérique parfois (surtout avant les premières) tout en étant foncièrement tolérant et patient. Il avait une capacité à décrypter les caractères et les personnalités », signale aussi la comédienne et directrice du théâtre Monnot.

Idem pour Philippe Fayad qui a joué dans plusieurs de ses pièces dont Les 10 petits nègres (d'Agatha Christie) et Dr Knock (de Jules Romains) : « Il était d’une grande authenticité et n’acceptait pas les compromis. Il se mettait totalement au service du texte. Il m’est arrivé de lui donner la réplique, et j’étais à chaque fois impressionné par son jeu qui se moulait si bien à chaque personnage. C’était un homme exceptionnel par sa simplicité, son franc-parler, sa sensibilité et son humanité. »

Et puis il avait une vitalité incroyable, quelque chose de l’éternelle jeunesse d’esprit, affirment d’une même voix ceux qui l’ont connus et côtoyé. Tous garderont de lui le souvenir de ce rire qu’il s’avait si bien partager et de cette légèreté qu’il savait si bien diffuser tout autour de lui. Jusqu’à la fin…

Ceux qui l’ont connu garderont de lui l’image d’un homme frêle et bouillonnant, à la démarche sautillante, au regard pétillant et à l’inusable joie de vivre et de jouer…Journaliste, critique de cinéma, professeur de théâtre, animateur radio et de programmes télé, responsable d’un ciné-club et conférencier, Alain Plisson aura surtout été un acteur et metteur en scène...
commentaires (3)

Je l'i bien connu , il venait de temps en temps nous voir au Théâtre de Samy Khayath , ainsi qu'au Théãtre de Dix Heures, donnait son avis et rajoutait quelques idées qui étaient touyjours bien reçues . Toujours á l'affût du moindre mot que je disais , il avait cette patience d'écouter les autres et surtout de s'intéresser de toute sa personne aux opinions des autres , avec une attitude complice et fraternelle . Un personnage important parmi ceux qui ont fait notre Beyrouth .

Chucri Abboud

00 h 43, le 11 mai 2024

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Je l'i bien connu , il venait de temps en temps nous voir au Théâtre de Samy Khayath , ainsi qu'au Théãtre de Dix Heures, donnait son avis et rajoutait quelques idées qui étaient touyjours bien reçues . Toujours á l'affût du moindre mot que je disais , il avait cette patience d'écouter les autres et surtout de s'intéresser de toute sa personne aux opinions des autres , avec une attitude complice et fraternelle . Un personnage important parmi ceux qui ont fait notre Beyrouth .

    Chucri Abboud

    00 h 43, le 11 mai 2024

  • Une Belle Âme s’en est allée trouver les étoiles.

    Karaoglan Serge

    21 h 55, le 10 mai 2024

  • RIP M Alain PLISSON

    LE FRANCOPHONE

    18 h 25, le 10 mai 2024

Retour en haut