Quoi qu'on en pense, les élections municipales auront servi de révélateur aux courants profonds et contradictoires qui travaillent la société libanaise. Courant radical qui le dispute à un courant modéré, courant civil cherchant à barrer la voix ou à réduire l'influence des partis confessionnels : ces quatre courants tiraillent en ce moment la scène politique, à l'ombre d'une crise de système, qui, par certains de ses aspects, notamment économique, est suicidaire, comme l'ont rappelé encore une fois hier le patriarche maronite et le mufti de la République.
Cela dit, l'actualité est toujours dominée par le grand pavé dans la mare jeté jeudi dernier par le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk. Si la franchise a choqué ceux de son camp au point qu'un journal saoudien l'a qualifié hier de « ministre du Hezbollah dans le gouvernement de Tammam Salam », ce pavé a eu le mérite de faire bouger les choses, de procéder à une sorte de redistribution des cartes. Avec de plus en plus d'évidence, les lignes de fracture dépassent désormais les clivages qui ont dominé la scène politique interne depuis 2005, celle du 8 et du 14 Mars.
Ainsi, au sein même du 14 Mars, sont apparus une certaine confusion au sommet, un nouveau clivage entre modérés et aile dure, entre Achraf Rifi et Nouhad Machnouk, qui sont bien plus près de la rivalité que de l'alliance. Par ailleurs, jadis rivaux, le CPL et les FL se sont radicalisés en épousant de plus en plus étroitement la défense des « intérêts chrétiens », par-delà les 8 et 14 Mars.
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« L'impulsivité » de Nasrallah
Le chef du PSP, Walid Joumblatt, s'est employé hier soir sur la LBCI à défendre la ligne de la modération, hors de laquelle le Liban, selon lui, est ingouvernable. Ainsi, il a encouragé Saad Hariri à résister à la tentation de la radicalisation, fût-elle tactique, face au phénomène Achraf Rifi. Pour le leader druze, « la rivalité des deux camps à Tripoli a été directement responsable de l'éviction des alaouites et des chrétiens ».
M. Joumblatt s'est par ailleurs prononcé en faveur de la candidature de Michel Aoun à la présidence « si elle est dans l'intérêt du Liban ». Et de justifier ce revirement par la nouvelle donnée politique intervenue après le rapprochement entre le CPL et les Forces libanaises.
Au sujet de la loi électorale, M. Joumblatt a affirmé que « c'est plus par le compromis que par le nombre de députés que le Liban est gouverné ». Et de critiquer « l'impulsivité » à laquelle se laisse aller parfois le secrétaire général du Hezbollah, notamment en tirant à boulets rouges sur la dynastie saoudienne. « Le Liban n'est pas fonctionnel si nous cherchons à en évincer le facteur saoudien », a analysé le chef du PSP, qui s'est dit en possession, par ailleurs, de données inquiétantes au sujet de la possibilité d'un passage à l'action de Daech ou du Front al-Nosra.
Parallèlement, le courant de la société civile a pris conscience de lui-même et de ses capacités, face aux forces confessionnelles. Les activistes de l'association « Nous réclamons des comptes » ont offert hier une tribune à l'ancien président de la Chambre, Hussein Husseini, pour dénoncer « les partis confessionnels » qui, selon lui, « menacent désormais l'existence du Liban ».
« Ce sont ces forces qui empêchent désormais le renouvellement des élites et la reconstitution des institutions, sans compter les résonances internes que ces forces apportent aux clivages et conflits extérieurs », a ainsi assuré M. Husseini. « Les forces de la société civile ont deux armes pour combatte ces partis, la résistance civile et la représentation proportionnelle », a-t-il conclu.
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Janné, encore...
Les Libanais verront ces courants à l'œuvre cette semaine lors des deux réunions que tiendront mardi et jeudi les commissions conjointes qui planchent sur l'élaboration d'une nouvelle loi électorale, ainsi que lors du prochain Conseil des ministres, où des questions de fond se poseront. Dans les milieux ministériels, on affirmait hier que la controverse sur le barrage de Janné est dépassée, dans la mesure où ce n'est pas après avoir dépensé 100 millions de dollars (dixit Gebran Bassil) qu'on vient s'interroger sur la faisabilité d'un projet.
Ce projet a été approuvé par le Conseil des ministres, a rappelé Simon Abiramia. Seule et grande ombre au tableau : la réputation de corruption de la société brésilienne qui en exécute les travaux et qui lui a valu des ennuis dans son pays.
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Paroles et rien que des paroles pour tuer le temps .
17 h 46, le 06 juin 2016