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Économie - Splendeurs et misères économiques

La spéculation immobilière est un fléau économique

Né à Beyrouth, Michel Santi est un macroéconomiste franco-suisse qui conseille des banques centrales et des fonds souverains. Il est notamment l’auteur de « L’Europe, chroniques d’un fiasco économique et politique » et de « Misère et opulence ».

Ce n'est pas une coïncidence si les prix de l'immobilier – jusque-là relativement stables – subirent une volatilité malsaine à l'orée des années 1990. Ce phénomène fut en effet la conséquence directe de l'intégration du système bancaire et financier. La dérégulation et les innovations (comme la titrisation) autorisèrent à intensifier les flux de capitaux transfrontaliers et transcontinentaux, induisant ainsi une volatilité malsaine de l'immobilier. En réalité, c'est la nature même du marché de la pierre qui subit dès lors un changement structurel dans son interaction avec l'ensemble de l'activité économique, se soldant par une augmentation des chocs immobiliers proportionnelle à l'intégration et à la sophistication du système financier. Ce n'est donc pas un hasard si nos épisodes modernes de booms spéculatifs sont très souvent précédés (ou à tout le moins accompagnés) de périodes d'euphorie immobilière et si, à l'inverse, les épisodes de dépression économique sont très souvent déclenchés par des implosions de bulles immobilières.
De fait, la relation de cause à effet est désormais établie entre prix immobiliers et consommation, laquelle progresse avec les tarifs de l'immobilier, et vice versa. L'effet multiplicateur de l'immobilier sur l'activité et sur la croissance est intuitivement compréhensible grâce à la courroie de transmission du sentiment de richesse du propriétaire. Des études récentes menées par l'Université de Virginie indiquent même que chaque progression des prix immobiliers de 1 % se traduit par une amélioration de 0,25 % au moins de l'économie d'un pays comme les États-Unis. En réalité, la structuration actuelle de nos économies occidentales tellement intégrées suggère un impact encore plus important de l'immobilier sur le reste de l'économie par l'entremise de toute une série d'effets collatéraux qui font que les chutes des prix de l'immobilier déroulent sur l'économie des conséquences encore plus sévères qu'une déroute des marchés boursiers. Voilà pourquoi, après l'implosion des subprimes, les autorités américaines se lancèrent avec détermination dans la quasi-nationalisation de leur marché immobilier en accordant un soutien illimité à Fannie Mae et à Freddie Mac, deux institutions qui garantissaient à elles seules plus de la moitié des hypothèques du pays. En rachetant les dettes toxiques garanties par des actifs immobiliers, la Réserve fédérale tentait évidemment de stopper l'hémorragie de l'ensemble de son économie.
Comme un ménage est en mesure d'augmenter son prêt dans un contexte d'appréciation immobilière, l'établissement financier lui aussi a tendance à intensifier ses crédits quand les actifs en garantie auprès de lui gagnent en valeur. En conséquence, toute hausse du marché immobilier est amplifiée par une série de leviers (agissant exactement comme des dominos dès qu'ils chutent) et qui induisent un cercle vertueux (par la suite vicieux) d'assouplissement des conditions d'octroi de prêts, de progression de la consommation et d'investissements supplémentaires de la part des entreprises qui doivent répondre à l'embellie de la croissance. Néfastes à l'ensemble des acteurs de l'économie, les flambées des prix de l'immobilier s'accompagnent quasiment toujours de diminutions des crédits accordés par les banques aux entreprises qui sont en outre pénalisées par des taux d'intérêt plus élevés, phénomène récurrent lors des progressions immobilières.
Nous nous retrouvons donc souvent dans un cas de figure aberrant où un secteur bien spécifique de l'économie (l'immobilier) enfle une bulle sous le poids des liquidités qui lui sont généreusement prodiguées, et ce tandis que les secteurs productifs de l'économie sont désespérément en quête de capitaux. Des études menées entre 1988 et 2006 aux États-Unis sont parvenues aux conclusions éloquentes selon lesquelles les régions américaines les plus dynamiques étaient aussi celles où le marché immobilier avait le moins progressé ! Les entreprises situées dans un contexte de marché immobilier flamboyant en ont été réduites à emprunter moins – et plus cher –, et ont donc investi sensiblement moins que leurs consœurs localisées dans des zones où l'immobilier s'était comporté de manière plus neutre et qui avaient donc pu bénéficier en plus grandes quantités et à de meilleurs tarifs des largesses du système bancaire. Comme on le constate, les politiques publiques de soutien actif au marché immobilier se pratiquent toujours et systématiquement au détriment du reste de l'appareil productif. À terme, les banques réduisent ainsi mécaniquement leurs crédits aux entreprises afin de mieux se consacrer à leurs prêts immobiliers.

Ce n'est pas une coïncidence si les prix de l'immobilier – jusque-là relativement stables – subirent une volatilité malsaine à l'orée des années 1990. Ce phénomène fut en effet la conséquence directe de l'intégration du système bancaire et financier. La dérégulation et les innovations (comme la titrisation) autorisèrent à intensifier les flux de capitaux transfrontaliers et...
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