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Liban - Justice

Affaire Samaha : la dimension juridique et politique du verdict

La décision définitive de la Cour de cassation militaire sur l'affaire Michel Samaha, le condamnant à treize ans de travaux forcés pour acte terroriste, semble incarner un équilibre entre le juridique et le politique.

D'un point de vue juridique, la Cour de cassation, saisie par le procureur général près le tribunal militaire en janvier dernier, a annulé le jugement de l'instance permanente du tribunal, en date du 13 mai 2015. Elle a aggravé la qualification des actes criminels imputés à M. Samaha et la sentence qui leur est assortie. Le premier jugement avait condamné l'accusé à quatre ans et demi de prison pour « transport d'explosifs et tentative d'appartenir à une organisation armée ». L'inculpation de Michel Samaha s'était ainsi limitée au « fait matériel du transport d'explosifs », qui équivaut, en termes de gravité, au port d'armes sans permis. Pour ce qui est de l'appartenance à une organisation armée ayant pour objectif de perpétrer des actes terroristes, le tribunal avait rejeté l'existence d'une intention criminelle de perpétrer des attentats. « Le tribunal s'était contenté de dégager des faits matériels un début d'idée criminelle qui prenait forme chez M. Samaha, restée dans les limites de la pensée criminelle sans commencement d'exécution », précise une source proche du dossier à L'Orient-Le Jour.

La Cour de cassation a modifié la qualification des faits, ayant dégagé la preuve suffisante du commencement d'exécution, que seul un fait échappant à la volonté de l'auteur est venu interrompre. « Dans son réexamen des faits, la cour a jugé que la résolution de l'accusé à perpétrer des attentats s'est manifestée à travers des actes : les éléments matériel et moral de l'acte terroriste étaient réunis », précise la source. La qualification a donc été celle d'une « tentative de commettre un acte terroriste » : l'acte n'a pu être commis seulement à cause d'un élément extérieur à la volonté de l'auteur. « La tentative de l'acte criminel vaut un acte criminel », explique pour sa part une source juridique. Notons que si le commencement de l'acte avait été interrompu par la volonté de l'auteur, la qualification aurait été celle d'un « acte manqué » et non d'une tentative.
L'élément d'extranéité a été, en l'occurrence, la décision de l'informateur Milad Kfouri d'informer les autorités sécuritaires concernées, et, à travers elles, les autorités judiciaires, de la préparation d'un attentat.

(Lire aussi : Les travaux forcés n’existent plus dans la pratique...)

Commutation de la peine

Dans les motifs de sa décision, la Cour de cassation militaire s'est étalée sur les preuves de l'intention criminelle de Michel Samaha et a rejeté l'argument de la défense selon lequel l'accusé aurait été piégé par l'informateur (voir l'article du samedi 8 avril 2016 – « La cour de Cassation militaire prouve l'intention criminelle de Samaha et aggrave sa peine »). Elle a en outre établi le lien entre les actes dont elle l'inculpe : le transport d'explosifs, la détention d'armes sans permis, la formation d'un groupe armé dans le but de porter atteinte à la sécurité de l'État et la tentative d'assassinat de personnalités politiques et religieuses au moyen d'explosifs. Ces actes sont considérés comme liés par l'intention de perpétrer des « actes terroristes », selon la définition de la loi de 1958.

De ces crimes dont il est inculpé, seul l'assassinat prémédité au moyen d'explosifs (article 549/200) est sanctionné par une peine de mort, que la Cour de cassation a décidé de commuer à une peine d'emprisonnement de treize ans. Selon la loi, en effet, le juge peut changer la peine de mort en prison à perpétuité ou travaux forcés de sept à vingt ans, lorsque « la tentative de commettre un crime a commencé par des actes visant à sa commission, sans être complétée ». La Cour de cassation a donc opté discrétionnairement pour les travaux forcés d'une durée de treize ans. Notons que la peine de travaux forcés à perpétuité, prévue pour les actes terroristes, a elle aussi été réduite à dix ans de prison. Mais selon le principe de non-cumul des peines, c'est la peine maximale qui a été retenue, en l'occurrence la peine des treize ans de travaux forcés.

Forcing politique

Certains jugent cette peine trop sévère. Une source judiciaire explique à L'OLJ que le tribunal militaire avait l'habitude de prononcer des verdicts de quatre ans et demi d'emprisonnement, pour des cas similaires de projets d'attentats. Chadi Mawlawi avait fait l'objet d'un verdict similaire, lors de sa première comparution devant le tribunal. Sa seconde inculpation par contumace en septembre 2015, et sa condamnation à la prison à perpétuité, s'expliquerait par le fait qu'il s'agit d'un cas de récidive et surtout par l'absence de l'inculpé, selon la source.

(Repère : Travaux forcés : En quoi consiste cette peine au Liban ?)

L'avis prévalent reste toutefois celui de l'insuffisance de la peine prononcée contre M. Samaha. L'ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, indique à L'OLJ que « même si cette décision a sauvé la face à la justice militaire, au leadership politique et au ministre de la Justice, le tribunal militaire aurait pu prononcer une sentence beaucoup plus sévère, comme cela aurait certainement été le cas dans un autre pays ». Il trouve « choquant » que le système libanais adopte une computation de l'année judiciaire en neuf mois. « C'est une hérésie qui n'existe nulle part dans le monde – à l'exception peut-être de la Syrie », dit-il. Il critique enfin « la dissociation scandaleuse des dossiers Samaha et Ali Mamlouk (le responsable des renseignements syriens qui lui avait remis les explosifs) » dès l'ouverture de l'affaire. Un cadre du courant du Futur estime que « si nous bénéficiions d'un État souverain », toute cette affaire aurait été soumise au Conseil de sécurité de l'Onu, sur la base de tentatives d'actes terroristes planifiés par le régime syrien sur le sol libanais, surtout que Michel Samaha ne se cache pas d'être d'abord le conseiller de Bachar el-Assad.
Il reste que les divergences autour du verdict final révèlent que ce verdict et la commutation de la peine contre Michel Samaha font l'objet d'un compromis politique.
Selon un responsable au sein du courant du Futur, il s'agit d'un « compromis entre la pression populaire et les pressions émanant du statut de l'accusé ».

(Pour mémoire : « Le tribunal militaire menace la sécurité publique »)

 

Retour officieux de Rifi

La pression populaire avait été relayée loin des feux de la rampe par le chef du courant du Futur, Saad Hariri. Après le premier jugement du tribunal militaire et la remise en liberté de Michel Samaha, il était revenu sur sa décision de soumettre à l'examen du Conseil des ministres un projet relatif au transfert du dossier Samaha devant la Cour de justice – et préparé par le ministre de la Justice Achraf Rifi, qui a conséquemment démissionné. Le chef du courant du Futur avait, semble-t-il, obtenu discrètement des garanties sur un verdict plus sévère contre M. Samaha au niveau de la Cour de cassation. Les nominations de quatre nouveaux officiers délégués à la cour, peu après la demande du procureur général de rouvrir le procès, s'inscrivaient dans ce cadre.

Régissant à la décision sur son compte Twitter, M. Hariri avait estimé vendredi que celle-ci « corrige le précédent jugement auquel nous nous sommes opposés et au sujet duquel nous avons dit que nous ne resterons pas les bras croisés ». Et d'ajouter : « Ce jugement contre le terroriste Michel Samaha prouve que l'action judiciaire et la transparence envers l'opinion publique sont la voie à suivre pour que justice soit faite, loin de toute surenchère et imprudence politique. »

 

(Lire aussi : Guide pratique pour une saine justice)



Cette dernière remarque a été interprétée par certains comme une pointe adressée au ministre démissionnaire Achraf Rifi. Le verdict final du tribunal militaire a-t-il donné raison finalement à la méthode de containment, moins agressive, mais efficace, du leadership du courant du Futur ?

En réalité, estime une source du courant du Futur, il serait naïf d'établir une comparaison entre le leadership du courant du Futur et l'un des ministres qui relèvent de lui. Qui plus est, la démission de M. Rifi n'a fait que favoriser le camp relevant du Hezbollah au sein du cabinet, « en lui accordant le tiers de blocage ». Les milieux du ministre démissionnaire s'abstiennent d'évoquer l'éventualité de son retour au ministère et affirment que sa démission « n'était pas seulement liée au dossier Samaha ». Pourtant, apprend-on de source autorisée, Achraf Rifi a recommencé à se rendre au bureau de son ministère...


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