C'est main dans la main que l'ordre des avocats et la société civile poursuivront désormais le chantier de la réforme judiciaire enclenchée depuis un certain temps. Dans une intervention d'un rare courage et d'une détermination à toute épreuve, le bâtonnier de Beyrouth, Antonio el-Hachem, a dit hier tout haut ce que nombre de Libanais pensaient déjà tout bas.
« La justice souffre de lacunes énormes en termes d'indépendance. Elle fait actuellement face à une crise réelle de confiance parmi les Libanais. » Cette phrase lapidaire, prononcée hier lors d'une conférence organisée par l'Agenda légal, en collaboration avec l'ordre des avocats, devait donner le ton d'une rencontre qui se voulait, avant tout, une plate-forme de dénonciation des multiples lacunes du système judiciaire pour mieux repenser les réformes.
S'adressant directement aux magistrats, le bâtonnier les a appelés à « sortir de leur mutisme » pour pointer du doigt la corruption, les déviations et les pressions auxquelles ils sont soumis. En somme, il s'agit d'avoir le courage de diagnostiquer le mal pour mieux l'extirper.
« Nous sommes à vos côtés, car il n'est plus permis au XXIe siècle de voir les magistrats privés de la liberté d'expression et de la contribution à la formation de l'opinion publique », a ajouté M. Hachem avant de pointer du doigt tour à tour la mainmise des politiques sur le processus de désignation des magistrats, et leur reconnaissance aux « parrains » qui les poursuit durant leur carrière.
Également dénoncés, les tribunaux d'exception, dont le tribunal militaire, « une instance qui date du siècle passé », a-t-il dit avant de réclamer l'amendement de la Constitution et des lois régissant le pouvoir judiciaire.
(Lire aussi : Entre les médias et la magistrature, des tiraillements coûteux pour le citoyen)
C'était également l'occasion pour l'Agenda légal de partager avec un public de juristes avertis la vision de l'association et la réflexion effectuée au sein de « l'Observatoire civil pour l'indépendance et la transparence de la justice », un organisme mis en place en 2014. Objectif : suivi des procédures judiciaires, collecte de données et critiques fondées des failles et violations de toutes sortes, depuis l'arrestation du suspect jusqu'au prononcé du jugement, en passant par les prestations des juges, avocats et tout autre acteur susceptible de corrompre le processus.
« Il est temps de sortir des discours pompeux sur l'indépendance et la transparence de la justice, des concepts qui ont fini par être vidés de leur substance », a indiqué le président de l'Agenda légal, Samer Ghamroun.
L'idée de l'observatoire est de mettre la main sur des données précises concernant le fonctionnement de la justice dans tous ses rouages, pour agir de manière efficace et précise, à savoir la formulation de propositions et de réformes.
Partant de l'idée de l'urgence de restituer à la justice ses galons d'honneur pour qu'elle puisse redevenir une référence pour le citoyen, et, plus précisément, pour les groupes les plus vulnérables, l'observatoire n'entend pas se confiner dans un travail de suivi technique.
Ses objectifs de réforme s'inscrivent dans une culture plus globale qui table sur la démocratie et la séparation des pouvoirs, la citoyenneté étant au cœur du processus.
« Les procès, les plus difficiles, ont été gagnés parce qu'ils sont devenus une cause commune, celle de l'ensemble de la société », a commenté le directeur exécutif de l'Agenda légal, Nizar Saghiyeh, qui a tenu à souligner au passage le lien intrinsèque entre la « justice légale » et la « justice sociale ».
« Il s'agit de changer la culture ambiante et l'environnement professionnel pour sortir de l'équation erronée qui consiste à se demander comment les politiques vont régir, pour lui substituer le souci de savoir comment l'opinion publique va plutôt réagir », conclut l'avocat.
Affaire Samaha : le débat juridique bat son plein
Lancement d'un programme pour renforcer l'indépendance de la justice au Liban