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Liban - Réforme

Guide pratique pour une saine justice

La « corruption légalisée » parmi les avocats dénoncée à cor et à cri.

Les travaux de l’Observatoire civil pour l’indépendance et la transparence de la justice.

« Charité bien ordonnée commence par soi-même. » C'est l'adage que tente de concrétiser la Legal Agenda avec son pendant, l'Observatoire civil pour l'indépendance et la transparence de la justice, dans le cadre du mouvement de réforme enclenché par l'association depuis quelques années.
Une mission qui se veut fondatrice d'un nouvel édifice judiciaire assaini et débarrassé de la culture de l'interventionnisme politique, passage obligé pour parvenir à un véritable État de droit. Désormais soutenue par l'ordre des avocats qui a ouvert grandes ses portes pour accueillir ce chantier de réforme, les membres du Legal Agenda – des avocats et chercheurs d'une grande notoriété – ont fait, mercredi et jeudi derniers, le bilan de plusieurs années de recherches, d'observation et d'analyse du fonctionnement de l'appareil judiciaire libanais.
Accueillis à la Maison de l'avocat, juristes et magistrats ont fait, deux jours durant, le bilan d'un secteur-clé de la vie publique que le confessionnalisme, le communautarisme et les ingérences politiques ont fini par corrompre. Le parrainage de ce mouvement de réforme par le bâtonnier de Beyrouth, Antonio el-Hachem, qui a dénoncé sans ambages les lacunes du système et sa subordination forcée au pouvoir politique, était d'une forte symbolique et annonciateur d'une nouvelle dynamique qui se veut désormais quasi révolutionnaire.

Dans un climat de franchise inhabituelle à ce milieu, les langues se sont déliées et les histoires de « corruption légalisée », parmi les avocats notamment, et des dysfonctionnements au sein de l'appareil judiciaire ont été relayées. On entendra notamment une avocate dénoncer les pratiques d'un collègue qui, après cinq plaintes adressées à « un ancien bâtonnier », avait reçu pour seule réponse de la part de ce dernier: « Je ne peux rien faire. C'est un ami avec qui je dîne régulièrement. »
Tout aussi saisissant, le témoignage d'un autre juriste qui raconte comment un jour, des juges au tribunal pénal du Mont-Liban s'étaient « vantés » d'avoir, en une heure de temps, évacué 162 dossiers en émettant des jugements express, « à la manière des professeurs qui corrigent des copies du baccalauréat ».


(Lire aussi: La justice libanaise face à ses vices, ou l’art de réformer lorsque la volonté y est)

Sortir du mutisme et dénoncer
Plusieurs avocats présents au séminaire, plus de 400, dont des avocats stagiaires qui ont été contraints par l'ordre à faire acte de présence, ont également partagé leurs expériences. Ils ont évoqué la torture encore et toujours largement pratiquée aux postes de gendarmerie, les réseaux de corruption parmi leurs pairs rendus intouchables du fait de leurs liens politiques et autres dysfonctionnements rencontrés aux quotidiens.
C'est précisément ce type de déviations que les juristes présents ont été invités à dénoncer en bloc, « même s'ils devaient aller à contre-courant, même s'ils devaient perdre leur procès, pour gagner en respect et en admiration après avoir brisé la chaîne et l'ordre établi », a soutenu le directeur exécutif du Legal Agenda, Nizar Saghiyé. Une invitation qui sera également soutenue par le bâtonnier lui-même qui a appelé les magistrats à élever la voix pour exprimer leur opinion, que ce soit sur les textes de lois, les pratiques judiciaires en cours, les pressions subies ou la corruption.
M. Hachem a tenu au passage à rassurer « ceux parmi les magistrats qui refusent de compromettre leur dignité », en leur assurant qu'ils peuvent désormais bénéficier d'une protection et d'un soutien certains. « Nous ne pouvons demander aux juges de se poser en héros si nous ne leur assurons pas un filet de protection », a estimé M. Saghiyé.

 

(Lire aussi : Entre les médias et la magistrature, des tiraillements coûteux pour le citoyen)

 

Surveiller les tribunaux
C'est d'ailleurs l'un des objectifs que s'est fixé le Legal Agenda, par le biais de l'Observatoire civil pour l'indépendance et la transparence de la justice, chargé de « mettre sous surveillance » le fonctionnement des organismes judiciaires dans son ensemble, en suivant de près le travail des tribunaux, les jugements rendus, les prestations des avocats, « bref, tout ce qui pose problème dans ce secteur ». « La campagne ne réussira que si elle est rejointe par un nombre d'avocats et de juges. Plus la collecte d'informations s'élargit, plus on se dirige vers la transparence qui va contribuer de manière inéluctable à changer l'environnement professionnel et la culture ambiante, même si entre-temps les lois n'ont pas été modifiées. »

La rencontre a d'ailleurs été l'occasion de distribuer aux participants l'un des fruits du travail de fourmi effectué, deux ans durant, par l'Observatoire : un recueil de 420 pages portant notamment sur les activités des différents organismes judiciaires et les problématiques en jeu, les décisions judiciaires contestées, les dysfonctionnements en présence, mais aussi les réalisations. Autre objectif visé par l'Observatoire : la nécessité d'accorder la priorité aux dossiers à portée éminemment sociale et sensibiliser la nouvelle génération d'avocats et de magistrats à leur rôle d'avant-garde au sein de la société. Se fondant sur leurs expériences dans leurs pays respectifs, d'éminents magistrats tunisiens et marocains sont venus partager à cette occasion leur parcours et l'historique d'un combat en faveur de réformes judiciaires à finalité sociale, et forcément politique, notamment en Tunisie où le corps des magistrats frondeurs a fini par devenir le symbole même de la révolution.

Également au menu des échanges, les procès dits « emblématiques », mettant en avant l'exemple de procès ayant bouleversé la praxis par des magistrats et des avocats téméraires, notamment dans les cas des dossiers relatifs à l'homosexualité, aux droits des handicapés, des familles des disparus ou encore des réfugiés. Autant de procès pouvant désormais servir de référence à l'avenir en termes de moyens logistiques, éthiques et légaux à mettre en place, toujours dans la logique d'une justice à but social autant que légal.
L'accent sera également mis sur la nécessité d'extirper les dossiers du confessionnalisme, et du communautarisme à visage politique. En dénonçant le scandale de la torture des détenus islamistes à Roumieh par exemple, le Legal Agenda avait eu droit à une réaction à caractère confessionnelle. D'où l'insistance sur l'importance de faire valoir les « discussions légales », et non politiques, autour d'une affaire. Car c'est, en définitive, l'espace public et les droits citoyens qui sont défendus et non des agendas politiques, « une règle à retenir si l'on veut gagner la bataille », conclut M. Saghiyé.

 

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