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Liban - Éclairage

Affaire Samaha : le débat juridique bat son plein

Après la contestation de la décision dans certains milieux politiques, les juristes se prononcent.

Michel Samaha. Photo d'archives.

La bande vidéo montrant Michel Samaha conversant avec Milad Kfoury, « la taupe » qui a piégé l'ancien ministre, tourne en boucle depuis plusieurs semaines sur les chaînes de télévision. La chaîne du Futur l'a même recyclée dans le cadre d'une campagne dénonçant la récente décision de relaxe de M. Samaha prise par le tribunal militaire. La chaîne entend ainsi relayer les revendications du courant du Futur notamment, qui ne cesse de réclamer à cor et à cri la suppression pure et simple de l'instance militaire et le transfert de ce dossier sensible devant la Cour de justice, une autre instance d'exception, mais compétente en matière de crimes contre la sécurité de l'État.

Équipé d'une caméra cachée et évoquant avec l'ancien ministre dans les moindres détails le plan des attentats qu'ils planifiaient au Liban-nord, Milad Kfoury devait être, selon le scénario prévu, « l'exécutant » et la personne à laquelle étaient destinés les explosifs. C'est d'ailleurs sur le concept du « guet-apens qui lui a été tendu par la taupe » que M. Samaha a principalement fondé sa défense devant la Cour avant d'être libéré sous caution alors que son procès se poursuit.
La relaxe de M. Samaha, qui venait de purger à peine trois ans et demi pour « transports d'explosifs », a choqué une large partie de l'opinion publique libanaise et non seulement le camp du 14 Mars, dont certaines composantes devaient d'ailleurs être la cible des attentats terroristes planifiés, sur « proposition » du même Milad Kfoury, qui avait « suggéré » les noms de cibles humaines.

Certains juristes se demandent d'ailleurs pourquoi ce dernier a disparu de la circulation pour « des raisons sécuritaires », sachant que son témoignage, réclamé au départ par la Cour, est primordial dans cette affaire. De même que celui du responsable des services de renseignements syriens, Ali Mamlouk, dont le cas a été dissocié du dossier alors qu'il est soupçonné d'être le commanditaire des attentats.
Les tenants de cette thèse rappellent que pour protection de Kfoury, les autorités auraient pu s'inspirer des mesures appliquées par le Tribunal spécial pour le Liban, dont les techniques de témoignage par vidéoconférence dans l'anonymat le plus total où qu'il soit.
Dans les hautes sphères judiciaires, on préfère éviter de commenter la pertinence de cette décision pour ne pas, dit-on, empiéter sur le processus et influencer le cours de la justice.

 

(Pour mémoire : Accusé de terrorisme, Michel Samaha libéré sous caution par le tribunal militaire)


Dans ces milieux, on rappelle toutefois qu'il est important de garder à l'esprit le fait que le tribunal militaire n'a fait qu'appliquer la loi à la lettre, à savoir l'article 75 du code militaire qui prévoit que le principe général est la poursuite du procès devant la Cour de cassation militaire sans que l'accusé ne soit en état de détention, le contraire étant l'exception.
« Par conséquent, s'il y a à redire, c'est au législateur qu'il faut s'adresser en réclamant l'amendement de ce texte et non aux juges, à qui l'on fait assumer aujourd'hui la responsabilité d'appliquer cette clause à la lettre », précise un magistrat.
C'est également l'avis d'un haut magistrat, qui tout en se prononçant en faveur d'une « réforme de fond en comble du tribunal militaire » du fait de « ses dysfonctionnements multiples », exprime le souci de « séparer les genres » et de ne pas dénoncer en vrac tout ce qui a trait à cette affaire, en jetant l'enfant avec l'eau du bain. Le magistrat tient à rappeler d'ailleurs que c'est le même tribunal qui a cassé la décision d'innocenter (en juin 2015) l'accusé en première instance et qu'il faut laisser la justice prendre son cours, sachant que le verdict final n'a pas encore été prononcé.

En bref, il s'agit de dépassionner le débat et de le sortir de l'ornière de la polarisation politique pour analyser à tête froide ses tenants et aboutissants, exercice d'autant plus difficile dans une affaire sécuritaire éminemment politique.
De l'avis d'un avocat qui suit de près les travaux de la commission de la modernisation des lois, la faille réside dans l'article 75, mais pas uniquement. Le problème, précise ce dernier, est à rechercher dans l'acte d'accusation sur la base duquel le procès a été fondé et qui était en lui-même « extrêmement clément, voire illogique », à savoir que l'on a imputé à M. Samaha le seul crime « du transport d'explosifs », en occultant l'intention criminelle qui était derrière cette opération.

Solution « du moindre mal »
C'est l'avis que développent en profondeur les juristes de l'ONG L'Agenda légal, qui ont planché sur le dossier en le décortiquant dans ses moindres détails. Ces derniers relèvent les failles, à plusieurs niveaux, qui ont entaché le processus judiciaire dès le départ. Tout d'abord, lorsque M. Samaha a été complètement innocenté de « la tentative de meurtre, la tentative de la planification de crime contre les biens et les personnes (335 CP) ayant été notamment retenue contre lui, ce qui est une absurdité, puisque le transport d'armes et d'explosifs ne peut qu'être corollaire d'une intention criminelle dans ce cas précis », souligne l'avocat Nizar Saghiyé.
L'association a d'ailleurs publié sur son site toute l'argumentation juridique contredisant la décision du tribunal militaire sous le titre de « Dossier Samaha : les étapes en direction d'une innocence impossible ».


(Lire aussi : Les « erreurs » en série qui ont préludé à la mise en liberté de Michel Samaha)


M. Saghiyé note en outre que les inconsistances des décisions prises dans le cadre de cette affaire s'étendent même à la décision ultérieure prise en deuxième instance par la Cour de cassation, qui s'est fondée sur l'article 75 du code militaire. « C'est uniquement dans le cas de figure d'un accusé qui a été complètement innocenté que cette clause s'applique, et non dans le cas de M. Samaha, qui a été innocenté uniquement de la tentative de meurtre, mais non des autres chefs d'accusation, dont la tentative d'acte terroriste et possession de matières explosives. »
Par conséquent, enchaîne l'avocat, la décision de la libération sous caution de Michel Samaha « a été bien plus généreuse que ne le réclamaient les avocats de défense, qui avaient uniquement tablé sur le fait que leur client a déjà purgé la durée de la peine du crime qui lui a été imputé ».

Quoi qu'il en soit, le débat risque de se prolonger mettant face à face non seulement des avis juridiques divergents, mais également des prises de position politiques qui s'affrontent, les officiels s'étant conviés dans la polémique en réussissant à l'exacerber au plus haut point. Face aux accusations lancées par le Hezbollah au ministre de la Justice, Achraf Rifi, qui réclame le transfert du dossier devant la Cour de justice et l'abolition du tribunal militaire, ce dernier jure à qui veut l'entendre que la récente décision prise dans l'affaire Samaha ne passera pas.
Tout en approuvant à son tour la nécessité d'une sérieuse réforme du tribunal d'exception, un haut magistrat se dit aujourd'hui en faveur de la solution « du moindre mal », consistant à transférer le dossier devant la Cour de justice pour rectifier le tir, sans oublier de mentionner au passage que cette instance est un tribunal « doublement » d'exception, puisque ses verdicts sont sans appel.

Et un dernier juriste de conclure enfin : « Je me demande simplement pourquoi on a attendu d'arriver à ce point-là pour réclamer des réformes au sein du tribunal militaire, ou son abolition pure et simple, sachant que ce débat est au menu des réformes depuis des années déjà », dit-il, avant de rappeler que depuis 2011 déjà, la majorité des députés au sein de la commission de la modernisation des lois, 14 et 8 Mars confondus, s'étaient à cette époque opposés à la remise en cause de ce tribunal.

 

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commentaires (6)

Au Liban, le meurtre sert de justice

FAKHOURI

20 h 16, le 11 février 2016

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Commentaires (6)

  • Au Liban, le meurtre sert de justice

    FAKHOURI

    20 h 16, le 11 février 2016

  • si monsieur Samaha avait transporté ses explosifs pour le compte d’Israël et pour les mêmes objectifs (brûler le Liban) il y a longtemps qu'il aurait été condamné a mort. mais évidemment comme c'est pour le compte de la Syrie, bientôt il va finir décoré pour acte de bravoure.

    rayelie

    16 h 09, le 11 février 2016

  • Force sera donnée à la loi.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 35, le 11 février 2016

  • samaha devrait etre candidat a la prrsidentielle...il a le profil parfait pour diriger le liban......

    HABIBI FRANCAIS

    09 h 55, le 11 février 2016

  • ET LE TERRORISME OU EST-IL DANS TOUTE CETTE HISTOIRE ? POURQUOI L,OUBLIE-T-ON ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 41, le 11 février 2016

  • "Et un dernier juriste de conclure enfin : Je me demande simplement pourquoi on a attendu d'arriver à ce point-là pour réclamer des réformes au sein du tribunal militaire, ou son abolition pure et simple." ! Pourquoi ? Parce-que c'est une "Justice" indigène ou borgne, ou aux yeux Per(s)cés ou bandés d'une société d'un pays encore arriéré.... Tout simplement.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    05 h 37, le 11 février 2016

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