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Liban - Droits de l’homme

« Fus’hat amal », une plateforme numérique pour garder vivante la mémoire des disparus

L'ONG Act for the Disappeared a lancé hier un site Web interactif où seront recueillies des histoires sur des milliers de personnes disparues durant la guerre, dans le but de « restaurer leur identité et de leur restituer leur juste place dans la société ». L'histoire de plus de quatre-vingts personnes est déjà en ligne.

Capture d’écran du site Web « Fus'hat amal », une plateforme numérique et interactive où seront recueillies les histoires de milliers de personnes disparues.

« Mon fils dormait lorsqu'on l'a tiré de son lit. Nous ignorons où il a été conduit. Nous avons essayé d'avoir de ses nouvelles. En vain. Nous ignorons qui l'a enlevé. Il a disparu il y a trente ans et jusqu'à présent nous n'avons pas de ses nouvelles. Sans lui, la maison est vide. Tout l'argent du monde ne peut compenser son absence. »

« Quatre ans après la disparition de mon père, mon frère est décédé à l'âge de 20 ans. La douleur était certes grande, mais nous savions que mon frère était mort et qu'il n'allait plus revenir. Ce n'est pas le cas lorsqu'il s'agit d'une personne disparue. Nous vivons toujours dans l'espoir de la voir revenir, d'autant que nous ne sommes pas fixés sur son sort... »
« Je considère que je suis née le jour où mon père a été kidnappé. Je ne me rappelle pas de la période qui a précédé ce jour. L'an dernier, j'ai pris part à une pièce de théâtre, qui a constitué une thérapie pour moi. Sur scène, j'ai pu parler à mon père et je lui ai dit que j'espérais le voir un jour sonner à la porte de la maison. Même si mon père est mort, sa cause ne l'est pas. Mon père est victime à l'instar de toutes ces personnes kidnappées... »

Pour que l'histoire de Khaled, Hamad, Joseph et de plusieurs milliers de personnes kidnappées, disparues ou détenues dans les prisons syriennes ne soit pas oubliée, l'ONG Act for the Disappeared (Agir pour les personnes disparues) a lancé hier « Fus'hat amal », ou « Espace d'espoir », une plateforme numérique qui rassemble les histoires des milliers de personnes disparues durant la guerre au Liban, dans l'objectif « de restaurer leur identité et de leur restituer leur juste place dans la société ». Le coup d'envoi de cette plateforme (www.fushatamal.org) et de la campagne « Ne laissez pas mon histoire s'interrompre à ce stade » qui l'accompagne a été donné hier au cours d'une conférence organisée au café Mezyan, à Hamra.
Cette initiative est d'autant plus importante que le gouvernement n'a pris à ce jour aucune mesure susceptible de faire avancer le dossier, sachant que le temps presse, puisque les proches de ces personnes disparues vieillissent et certains ne sont plus de ce monde.


( Lire le 1er témoignage : « J'ai disparu lors de l'une de mes escapades chez mes grands-parents » )

 

Base de données publiques
Le projet a été mis sur les rails il y a deux ans, en collaboration avec Solide (Soutien aux Libanais en détention et en exil) et le Comité des familles des personnes kidnappées et disparues au Liban. Depuis, seize autres ONG l'ont rejoint : March, Alef, International Center for Transitional Justice, Permanent Peace Movement, Fighters for Peace, Lebanon Support, Abaad, Centre Khiam, Umam, Wahdatouna Khalassouna, al-Jana, Sustainable Democracy Center, Artichoke Studio, Ajem, Forum ZFD et Palestinian Human Right Organization.

« Ce projet est une preuve du soutien que porte la société civile au dossier des disparus au Liban et à leurs familles pour pousser les autorités concernées à prendre les mesures nécessaires pour faire la vérité sur le sort de ces personnes », affirme Lynn Maalouf, de l'ONG Act for the Disappeared.
Cette plateforme permettra ainsi de développer une base de données publique sur les disparus. « Fus'hat amal » est un site Web interactif, dans le sens où tout un chacun peut y partager l'histoire d'une personne disparue. « Les informations sont vérifiées et validées par les familles concernées, avant d'être mises en ligne », explique de son côté Reem el-Soussi, responsable du projet.

Les histoires recueillies serviront à créer un espace dédié à la personne disparue et accessible à tous où figurent des informations biographiques, des informations sur sa disparition, des photos et des vidéos, ainsi que les témoignages de ses proches. Parallèlement, Act for the Disappeared a formé quelque quarante jeunes volontaires pour interviewer les proches des disparus et les aider à créer cet espace. Plus de quatre-vingts histoires sont déjà disponibles sur le site en langues anglaise et arabe.


(Pour mémoire : Disparus libanais en Syrie : la tente est vide, mais le combat continue)

 

Espoir et droit
Tout au long de ces décennies de calvaire insoutenable, les familles des disparus et des kidnappés se sont armées d'espoir et de leur droit à connaître la vérité, « qui a d'ailleurs été consacré dans tous les pactes et conventions internationaux », comme le souligne Wadad Halouani, présidente du Comité des familles des personnes disparues et kidnappées au Liban.
Elle affirme que la lutte menée inlassablement tout au long de ces années a permis à ces familles de marquer plusieurs points pour faire avancer le dossier, le dernier en date étant la décision émise en mars 2014 par le Conseil d'État pour remettre aux familles le rapport de la commission officielle d'investigation sur le sort des personnes enlevées et disparues au Liban, nommée en 2000 par Salim Hoss, alors Premier ministre, et présidée par le général Salim Abou Ismaïl.
Wadad Halouani revient à la charge et affirme que cette décision reste incomplète si des mesures susceptibles de résoudre le dossier ne sont pas prises. Il s'agit, estime-t-elle, de créer une banque d'ADN pour pouvoir identifier les victimes de disparition forcée. Sur le plan législatif, il faudrait promulguer la loi autorisant la formation de la commission nationale indépendante pour les victimes de disparitions forcées.

 

(Lire aussi : Wadad Halawani, symbole de la cause des disparus de la guerre)


Carina Svenfelt, déléguée du projet sur les personnes disparus au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), met à son tour l'accent sur le droit des familles à connaître la vérité. Elle souligne que depuis quatre ans, le CICR œuvre à rassembler des données sur les personnes disparues qui pourraient aider à les identifier et à faire la lumière sur leur sort. « À ce jour, plus de 2 100 entrevues ont été menées dans ce cadre », note-t-elle, soulignant que le CICR attend l'approbation de l'État pour la création de la banque d'ADN.
Elle note enfin que depuis un an, le CICR assure un soutien psychologique aux familles des disparus dans le caza de Saïda, une initiative qui devrait s'étendre prochainement au caza de Baabda. « Tous ces efforts restent insuffisants si le gouvernement libanais n'assume pas son rôle dans ce cadre, conformément aux dispositifs du code international des droits humains », conclut-elle.

 

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« Quatre ans après la disparition de mon...

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