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Liban - Liban

Disparus libanais en Syrie : la tente est vide, mais le combat continue

Les familles ont tourné hier la page d'un sit-in permanent qui aura duré plus de dix ans. La tente qu'elles avaient dressée place Riad el-Solh est désormais fermée. Aucune permanence n'y sera plus assurée. Leur combat revêtira une autre forme.

La tente du sit-in des parents des détenus libanais en Syrie restera désormais vide. Photo Nasser Traboulsi

Une ambiance triste régnait hier dans le jardin Gebran Khalil Gebran, place Riad el-Solh, alors que la poignée de femmes qui assuraient jusqu'à ce jour une permanence dans la « tente » s'affairaient à la vider, non sans étouffer un sanglot.


La décision est prise : après plus de dix années de sit-in permanent, les familles des détenus libanais en Syrie, en concertation avec Solide (Soutien aux Libanais en détention et en exil), ont décidé de lever le sit-in. La tente restera. Après tout, elle est le symbole poignant d'une cause et d'une attente qui n'a que trop duré. Cette tente, aux couleurs flétries par le temps, sera désormais vide. Les familles minées par des décennies d'attente et de lutte ne peuvent plus y assurer la permanence. La fatigue et la maladie ont eu raison des femmes qui s'y relayaient pour maintenir la flamme. La mort a emporté plusieurs d'entre elles.
Malgré cela, les femmes tiennent pourtant à assurer qu'elles continueront à se réunir dans cette tente autour d'un taboulé ou d'un café, comme elles l'ont toujours fait au cours des dix dernières années. Mais à une fréquence moins soutenue. « Après tout, c'est notre seconde maison », confie Jeannette Youssef, dont le frère, Milad, a été enlevé le 30 août 1983, à l'âge de 18 ans. Il était soldat, et ce jour-là, « il accomplissait son devoir ».

 

(Lire aussi : Wadad Halawani, symbole de la cause des disparus de la guerre)


« Même si le sit-in permanent est levé, nous continuerons à venir ici, affirme aussi Nahil Chehwane. Ici, nous avons réussi à faire bouger les choses concernant notre dossier. Nous ne pouvons pas y laisser notre cœur et tourner le dos. » Tirant sur sa énième cigarette, le regard dans le vide, cette femme, qui a élevé seule ses quatre enfants après l'enlèvement de son mari, Kozhaya, le 12 juillet 1980 à Selaata, alors qu'il avait 28 ans, insiste : « Notre cause n'est pas morte. Nous n'aurons pas de répit tant que la lumière sur le sort de nos proches n'a pas été faite. Nous ne baisserons pas les bras. Seuls les moyens de lutte changeront. »
C'est ce qu'a d'ailleurs affirmé Ghazi Aad, porte-parole de Solide, au cours de la conférence de presse tenue hier sur les lieux de la tente pour annoncer la suspension des activités. « Nous passons aujourd'hui à une autre phase dans notre quête de vérité sur le sort des disparus, déclare-t-il. Au cours des dix dernières années, les familles des détenus libanais en Syrie ont réussi miraculeusement à tenir le coup malgré la négligence officielle du dossier et les tentatives de le court-circuiter, et malgré la situation politique, sociale et financière du pays et l'état de santé fragile de beaucoup d'entre elles. »
S'adressant aux responsables, Ghazi Aad poursuit : « Les mères ont tant donné pour cette cause. Mais vous, qu'est-ce que vous leur avez offert ? Qu'avez-vous fait pour ces familles, alors que la majorité d'entre vous ignore le lieu du sit-in et n'a même pas fait l'effort tout au long de cette période de rendre visite aux familles et d'écouter leur souffrance ? »

 

Pressions pour la formation de la commission d'enquête nationale
Le sit-in permanent avait débuté le 11 avril 2005, lorsque des dizaines de familles de Libanais détenus dans les prisons syriennes prennent d'assaut le jardin et y dressent la tente. Elles avaient eu peur que leur calvaire qui durait déjà depuis des décennies ne s'éternise, notamment avec la programmation du retrait total des forces et des services de renseignements syriens du Liban, conformément à la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies.

 

(Pour mémoire : HRW demande au Liban une commission d'enquête sur les disparitions forcées)


Les familles ne pensaient toutefois pas que leur sit-in durerait aussi longtemps, d'autant que les premiers mois, un intérêt national et international avait été accordé au dossier. Celui-ci a finalement été reconnu sur le plan politique, sans qu'il ne constitue toutefois une priorité pour les responsables politiques. La cause ? « Parce que tous ceux qui sont aujourd'hui au pouvoir et qui ont été directement ou indirectement responsables de l'enlèvement de Libanais ont mauvaise conscience », explique Ghassan Moukheiber, rapporteur de la commission parlementaire des Droits de l'homme, qui a suivi ce dossier de près. « Ce dossier fait partie des crimes de la guerre perpétrés sur le territoire libanais, poursuit-il. Les parents ont droit de connaître la vérité. Ils ont le droit de retrouver leurs proches vivants ou morts. »


Quelle sera la prochaine étape ? « Nous poursuivrons la pression en faveur de la formation d'une commission d'enquête nationale pour les victimes de disparition forcée et qui est l'instance officielle pour suivre le dossier », martèle Ghazi Aad. Il appelle la société civile à soutenir les familles et Solide dans ce sens, comme il invite « les Nations unies à continuer à soutenir la cause des victimes de disparition forcée, conformément à l'engagement qu'elles avaient pris dans ce sens l'année dernière ».
Ghazi Aad ne manque pas de critiquer l'ordre des avocats de Beyrouth qui, tout au long de la dernière décennie, « n'a pas pris la peine d'adopter une mesure pour porter cette cause devant les instances juridiques concernées ». Il appelle le nouveau bâtonnier à prendre ce dossier en main.

 

 

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