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Lifestyle - Dans la peau d’une femme

Wadad Halawani, symbole de la cause des disparus de la guerre

Photos Sami AYAD

Elle était jeune mariée, mère de deux enfants en bas âge, lorsqu'elle a commencé à militer pour le retour de son mari enlevé en plein jour le 24 septembre 1982. Presque 33 ans plus tard, elle est aujourd'hui grand-mère et Adnan Halawani n'est toujours pas rentré chez lui. Mais le dossier des disparus et des personnes enlevées pendant la guerre est devenu une cause nationale, gravée dans la conscience collective. Comme une blessure qui se transmet de génération en génération pour le devoir de mémoire. Wadad Halawani se souvient encore de chaque détail de l'enlèvement de son mari : la famille qui venait de se retrouver à son domicile à Ras el-Nabeh après les affres de l'invasion israélienne et le blocus de Beyrouth-Ouest ; elle qui préparait de la kebbé nayé dans sa cuisine lorsque deux inconnus armés, mais munis de cartes officielles (à l'époque, les milices avaient des prolongements au sein de l'appareil de l'État) veulent emmener son mari « pour enquêter sur un accident de voiture » ; les mains pleines de viande et de bourghol, ce « petit bout de femme » (1,50 m) s'insurge, mais les inconnus la rassurent. C'est une affaire de quelques minutes, disent-ils... Les minutes s'étirent encore.

La jeune enseignante du secondaire veut bien les croire. Elle vit dans l'espoir, s'accrochant à la moindre illusion et entretenant le mythe du retour du père auprès de ses enfants en inventant des mensonges que, plus tard, ils lui reprocheront. Elle n'était pas préparée à cet événement qui a bouleversé sa vie et celle des siens. Le soir, dans sa chambre, elle pleure l'absence d'un homme, compagnon et complice, qui avait l'habitude de tout prendre en charge. Le jour, elle poursuit son quotidien d'enseignante, de mère enferrée dans des mensonges de plus en plus gros et cible de personnes qui cherchent à exploiter sa solitude en lui faisant miroiter des informations sur le sort du disparu. Le soir, dans sa chambre, elle se dispute avec lui, lui clame sa colère, sa douleur et pleure son impuissance. Puis, le lendemain, elle retrouve la force de réagir. Son mari étant un cadre intellectuel de l'OACL, elle cherche à mobiliser les parties politiques censées réclamer son retour. Elle fonctionne d'instinct sans rien planifier, hurle sa colère aux responsables et crée autour d'elle un vaste élan. Elle découvre ainsi que d'autres familles partagent la même tragédie. Elle cherche alors à former une délégation de cinq ou six femmes pour faire le tour des dirigeants et se retrouve à la tête d'une manifestation civile composée de mères, d'épouses, de sœurs et d'enfants à la recherche, comme elle, d'un disparu. Face à une telle explosion de douleur, de frustration et de colère, les soldats mobilisés pour stopper la manifestation restent impuissants. À la tête de la délégation de femmes, elle se rend chez le Premier ministre de l'époque, Chafic Wazzan, qui compatit... sans agir.
Cette manifestation, rare au Liban, a marqué un tournant dans l'action de Wadad Halawani qui a compris qu'elle n'avait plus le droit d'improviser. Depuis ce jour, cette femme déterminée, entourée de son groupe qui entre-temps a pris un statut officiel, n'a cessé de faire le tour des responsables qui se sont succédé et même des chefs des délégations du CICR, en vain. Il y a eu des efforts, des commissions, mais une seule conclusion : la reconnaissance de l'existence de fosses communes dans différentes régions, dans un compromis à la libanaise...

Entre-temps, les familles des disparus des « régions est » se sont jointes au groupe. Cette femme qui recherchait son mari, s'est retrouvée en train de chercher les quelque 17 000 disparus de la guerre, selon un rapport officiel, ou les 2 312 dont les familles ont rempli les formulaires de l'État. Les familles comptaient tellement sur elle qu'elle n'a plus eu le temps de pleurer... ou de s'occuper de sa vie. Cette cause est devenue son troisième enfant qu'elle ne peut plus abandonner. Elle en est d'ailleurs devenue le symbole. Certes, les disparus n'ont pas été retrouvés, mais « le comité des parents des personnes enlevées ou disparues au Liban » est devenu une institution, évitant les pièges de la confessionnalisation et de la politisation. Il a même obtenu une reconnaissance par la justice libanaise (le Conseil d'État et le juge Joseph Ghamroun) du droit de savoir pour les familles, face à un État et à des dirigeants manquant souvent de courage.
Wadad Halawani ne se demande plus si Adnan reviendra un jour. Il est toujours présent dans sa vie, par la force d'un amour qui a survécu à la douleur de l'absence. Elle continue de lutter pour lui et pour les autres, mais aussi pour le principe. Autant de raisons qui lui donnent l'énergie de poursuivre le combat.

 

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Elle était jeune mariée, mère de deux enfants en bas âge, lorsqu'elle a commencé à militer pour le retour de son mari enlevé en plein jour le 24 septembre 1982. Presque 33 ans plus tard, elle est aujourd'hui grand-mère et Adnan Halawani n'est toujours pas rentré chez lui. Mais le dossier des disparus et des personnes enlevées pendant la guerre est devenu une cause nationale, gravée...

commentaires (1)

En espérant que tous les disparus soient retrouvés, même morts, leurs familles pourraient faire leur deuil décemment.

El Asmar Claudia

16 h 14, le 04 août 2015

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Commentaires (1)

  • En espérant que tous les disparus soient retrouvés, même morts, leurs familles pourraient faire leur deuil décemment.

    El Asmar Claudia

    16 h 14, le 04 août 2015

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