Human Rights Watch n'est pas allée de main-morte hier pour dénoncer les mesures restrictives prises par les autorités libanaises en vue de limiter le flux migratoire en provenance de Syrie. Beyrouth a rejeté les critiques de l'ONG, s'employant à justifier la politique suivie.
HRW a organisé une conférence de presse à l'hôtel Riviera pour présenter un rapport de 35 pages intitulé « Je voulais juste être traité comme un être humain : comment la règlementation du droit de séjour au Liban facilite les abus à l'encontre des réfugiés syriens ». Le rapport exhorte les autorités libanaises à revenir sur les restrictions qu'elles ont adoptées dans le cadre d'un durcissement de leur politique concernant l'accueil des réfugiés syriens.
Prenant la parole, Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW, a mentionné les conditions exigées par le gouvernement pour le renouvellement d'un permis de résidence : le paiement de frais de 200 dollars et le soutien d'un sponsor en l'absence d'enregistrement auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. M. Houry a affirmé que « ces conditions ont entraîné la perte du statut juridique pour la plupart des réfugiés, ce qui les rend vulnérables, les pousse à la clandestinité et les expose à une série de violations, dont l'exploitation au travail et les abus sexuels, sans possibilité d'avoir recours aux autorités pour demander une protection ».
Citant des exemples de ces violations, M. Houry a rapporté le témoignage de réfugiés enregistrés auprès du HCR à qui des fonctionnaires ont quand même demandé de trouver un sponsor, alors que cela n'est pas exigé par les règlements, ou qui, lors du processus du renouvellement, ont été forcés de se soumettre à un interrogatoire sur des questions sécuritaires.
Le responsable de HRW a en outre affirmé que « la nécessité de trouver un sponsor expose les réfugiés syriens à un risque accru de subir diverses formes de harcèlement et favorise la corruption », évoquant le cas d'un réfugié vivant dans la banlieue de Beyrouth qui a été victime d'un sponsor « ayant vendu son parrainage à 1 000 dollars ». Il a cité l'exemple d'un autre réfugié syrien vivant dans la banlieue de Saïda, que le sponsor et employeur « a enfermé dans un cycle sans fin d'abus et d'exploitation », lui demandant de travailler plus de 12 heures par jour sous peine de retirer son parrainage.
(Lire aussi : Les réfugiés syriens au Liban s'endettent de plus en plus )
Le rapport de HRW déplore également d'autres répercussions négatives de la nouvelle règlementation, notamment la peur des adultes de se déplacer librement, et par conséquent, l'obligation pour eux d'envoyer leurs enfants travailler, sachant que ceux-ci ont moins de chance d'être arrêtés aux postes de contrôle. Selon le rapport, des réfugiés ont par ailleurs déclaré que certains directeurs d'école ont refusé de scolariser des enfants ne possédant pas un permis de résidence valide, même si un tel document n'est pas requis pour s'inscrire dans une école.
En conclusion, M. Houry a estimé que « les politiques à courte vue du Liban risquent d'engendrer une situation potentiellement explosive », préconisant l'adoption de mesures qui « permettent aux réfugiés syriens de garder leur statut juridique dans le pays et d'y vivre avec dignité, car la régularisation de leur présence contribuerait à promouvoir la stabilité à l'intérieur du pays ».
( Pour mémoire : HRW : Les attaques contre les réfugiés syriens se multiplient, les agresseurs rarement poursuivis )
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Derbas furieux
Le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, a tiré à boulets rouges sur le rapport de HRW, le qualifiant de non professionnel. Contacté par L'Orient-Le Jour, il en a sévèrement critiqué les auteurs qui « se sont contentés de baser leur étude sur 60 réfugiés syriens, alors que le Liban en héberge près de deux millions ». M. Derbas s'est demandé « comment accorder du sérieux et de la crédibilité à une étude sociale qui ne comporte pas l'avis du ministre des Affaires sociales ». « Aucun de ces individus n'est venu me consulter », a-t-il lancé, en allusion aux auteurs du rapport, à qui il a reproché d'« avoir porté atteinte à la réputation du Liban et des Libanais ».
M. Derbas s'est notamment attardé sur la question du sponsor pour l'obtention d'un permis de travail, soulignant que « cette mesure fait partie de la législation » dans ce domaine.
Le ministre a par ailleurs affirmé que la décision de stopper le flux migratoire est politique et (qu') elle a été prise à la suite de nombreuses concertations avec le HCR avant d'être totalement approuvée par le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. Se montrant ainsi intransigeant quant à l'application de la nouvelle politique du gouvernement, M. Derbas a fait état d'« une situation économique incomparable » que vit le Liban à cause de l'afflux des réfugiés, et a relevé que « la densité démographique dans le pays est de 574 habitants/km2, ce qui constitue une densité parmi les plus élevées du monde ».
En conclusion, il n'a pas manqué de comparer la vie des réfugiés au Liban « qui jouissent de liberté de circulation sur tout le territoire », avec celle des réfugiés en Jordanie « qui sont cantonnés dans des camps dont ils ne peuvent entrer et sortir qu'avec une autorisation ».
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Le ministère de l'Intérieur fait l'éloge de la politique d'accueil
Contacté par L'Orient-Le Jour et prié d'exprimer la réaction du ministère de l'Intérieur à l'égard du rapport de HRW, Khalil Gebara, responsable du dossier des réfugiés syriens au ministère et conseiller du ministre, Nouhad Machnouk, pour les affaires internationales, n'a pas voulu répondre directement aux points évoqués par le rapport, mettant plutôt en relief la politique d'accueil adoptée par le Liban, dont il a fait l'éloge.
« Notre pays est le seul au monde à avoir ouvert ses bras, en l'espace de quatre ans, à un nombre de personnes équivalent à 30 % de sa population », a souligné M. Gebara. Il a évoqué les efforts fournis par « une administration débordée face à une infrastructure incapable de satisfaire les besoins de près de deux millions de personnes venues s'ajouter aux quatre millions de Libanais » et a relevé qu'en dépit du fait que le Liban n'est pas signataire de conventions internationales relatives au statut des réfugiés, « le gouvernement actuel veille à concilier les engagements internationaux humanitaires et l'application des lois libanaises qui, depuis un an, visent à arrêter le flux des réfugiés syriens, d'une part à travers l'interdiction d'entrée sans accord du ministère des Affaires sociales et d'autre part via l'exigence d'un renouvellement annuel du titre de séjour ».
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commentaires (9)
C'est comme si les "Libanais"(h) n'avaient jamais été, ni des immigrés ni des réfugiés ! Des puînés Vrais, really.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
14 h 34, le 13 janvier 2016