La douche froide de Rabieh ne semble pas avoir coupé son élan au candidat présidentiel Sleiman Frangié, qui continue sur sa lancée et poursuit sa campagne en faveur d'un compromis historique, et un peu contre nature, passé avec Saad Hariri. C'est un peu le mariage de l'eau et du feu, ce qui explique les ambigüités d'une solution à laquelle tout le monde veut croire, mais qui appelle en même temps à la plus grande prudence, voire à une hauteur inhabituelle de vues.
En effet, tout indique que les garanties exigées de part et d'autre pour avancer dans le compromis sont limitées et que, quelque part, le facteur confiance devra en être le ciment, sachant qu'il existe un passif des méfiances et de positions contradictoires qui, examinées à froid, alimentent tous les scepticismes sur les possibilités de succès à long terme du compromis prévu.
À long terme, c'est-à-dire sur les six ans que devra durer le mandat de M. Frangié, s'il est élu, sachant que les bouleversements régionaux, les dangers internes et les mutations sociales qui peuvent – ou non – se produire empêchent toute prévision sérieuse.
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Pourtant, les milieux diplomatiques continuent d'être enthousiasmés par le compromis Frangié-Hariri, et de s'en faire les avocats auprès des uns et des autres. Qu'on en juge. Le chargé d'affaires américain chez Amine Gemayel et Samir Geagea. L'ambassadeur russe à Rabieh. L'ambassadeur saoudien à Aïn el-Tiné pour remettre au président de la Chambre une invitation à visiter l'Arabie saoudite. De toute évidence, dans les milieux diplomatiques, on préfère les risques du compromis aux risques de l'immobilisme, et le leitmotiv est qu'il ne faut pas laisser perdre cette chance, qui ne se présentera peut-être plus...
C'est également le cas de Sleiman Frangié lui-même, qui a dépêché son fils, Tony Frangié, chaperonné par Rony Araiji, auprès de Dory Chamoun et de Mgr Élias Audi, premières étapes d'une tournée qui doit à la fois rassurer et créer des liens de confiance.
Mais il est évident que nul ne saurait se substituer aux Libanais, qui seront les seuls à assumer les conséquences de leur choix s'il s'avère mauvais. C'est bien d'ailleurs ce qui retient certaines composantes politiques chrétiennes, comme les Kataëb, de donner leur aval au compromis. Le désir de le faire est bien réel, mais cette formation n'est pas sans savoir que si le Hezbollah se vante d'avoir politiquement les coudées franches, il existe cependant un plafond politique au-dessus duquel il cesse de réfléchir et commence à obéir. Un plafond qui se présente dès que ses plans commencent à différer du projet global de la République islamique d'Iran. Comment réagira dans ce cas Sleiman Frangié ? Saura-t-il faire contrepoids ? Saura-t-il faire respecter sa parole d'honneur par tout son camp politique? C'est pour soupeser ce risque que les Kataëb prennent leur temps et exigent des engagements, sachant d'ailleurs que même ces engagements pourraient être balayés par des pressions trop fortes.
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Dans le même temps, les Kataëb savent qu'ils ne doivent ménager aucun effort pour que l'option prise par Saad Hariri échoue et qu'il en perde la face devant son opinion publique. Il y a, on le comprend, du la force morale et du prestige de tout un courant musulman modéré dont l'option nationale doit être encouragée et renforcée, face aux courants radicaux qui travaillent la jeunesse sunnite, et que les rebuffades gratuites des uns et des autres ne peuvent que renforcer.
Les deux grands silences qui continuent de peser sur le compromis en question viennent de Michel Aoun et de Samir Geagea, mais pas pour les mêmes raisons. Michel Aoun ne l'a pas dit, mais on l'a dit pour lui, continue de croire à « ses chances », alors que dix-sept mois ont passé sans que cette chance n'ait encore daigné lui sourire. Son alliance avec Sleiman Frangié pourrait ne pas résister à l'humiliant protocole d'accueil qu'il lui a réservé, à la campagne des médias du CPL qui minimise sa stature au sein du 8 Mars, à la superbe de Gebran Bassil le qualifiant en public de « contrefaçon », auquel cas on serait en train d'assister, en ce moment, aux premières craquements de ce qui fut le 8 Mars, et d'abord au niveau des relations humaines, ce qui n'est pas le point fort du microcosme politique libanais.
Pour Samir Geagea, les calculs sont différents, le chef des Forces libanaises ne pouvant se résoudre encore à faire à Bachar el-Assad le cadeau de l'élection d'un homme qui se vante publiquement d'appartenir à sa ligne politique.
En douce, cependant, on apprend que les personnalités chrétiennes du 14 Mars sont en contact journalier les uns avec les autres, ce qui, en un sens, est rassurant et offre une garantie de progrès, fût-il lent, en direction d'un compromis sur le compromis. Même Michel Moawad ne serait pas laissé pour compte dans ces dialogues croisés. Il aurait également été approché par Sleiman Frangié. Peut-être d'ailleurs vaut-il mieux ne pas brûler les étapes, pour le simple raison de faire plaisir aux ambassadeurs.
Le patriarche maronite fait partie de ceux qui poussent à la route et sont plutôt impatients de voir « la balle » saisie au bond. Il a fait savoir hier, depuis l'aéroport, qu'une réunion des quatre grands candidats à la présidence de la République pourrait se tenir à Bkerké la semaine prochaine. Le conditionnel est de mise. Qui vivra verra.
Il reste qu'il y a quelque chose de tonique, d'hygiénique à voir supputés par les uns et les autres les avantages et les risques d'un compromis entre le 14 et le 8 Mars, en pleine guerre régionale, alors que se joue, entre Riyad, Téhéran, Washington, Istanbul, Moscou, Paris et les autres le sort de la Syrie, de l'Irak et peut-être d'autres pays arabes. Alors que le Hezbollah se voit rayé de la liste des canaux desservis par Arabsat, décision d'une Arabie saoudite dont il ne cesse de flétrir la famille régnante, et alors même que les ministres des Affaires étrangères saoudien et iranien s'apprêtent à se rencontrer. Joli imbroglio dont les épisodes ne sont certainement pas près de finir. Pourvu que ce ne soit pas dans le sang, comme l'a imprudemment avancé Ahmad Hariri.
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commentaires (9)
"...Mais il est évident que nul ne saurait se substituer aux Libanais..." Voilà l'origine de tous nos problèmes ! Libanais, quand aurez-vous compris cela ? Irène Saïd
Irene Said
15 h 55, le 11 décembre 2015