C'est un Conseil des ministres exceptionnel dans la forme comme sur le fond qui s'est tenu hier au Grand Sérail, sous la présidence de Tammam Salam. Dans la forme, le Conseil des ministres a franchi le Rubicon et décidé d'ignorer l'objection des ministres du Courant patriotique libre et du Hezbollah portant sur « le partenariat » et sur la parution au Journal officiel de 70 décrets ordinaires dont ils n'avaient pas été informés. Michel Aoun dira aujourd'hui, dans un point de presse à 11 heures, s'il considère qu'il s'agit d'une déclaration de guerre ou pas.
Sur le fond, le gouvernement a fait machine arrière et renvoyé à la commission ad hoc les résultats de l'ouverture des plis dans l'appel d'offres pour le traitement des déchets dans les différentes régions du Liban. La décision a certainement été prise sous la pression de l'opinion publique, exaltée par les médias, qui a jugé les prix trop élevés et a crié au scandale, tout comme des personnalités politiques, comme Walid Joumblatt, l'ont fait.
Mais il faut se rendre à l'évidence : s'il en est ainsi, c'est encore une fois, en grande partie, de la faute du ministre de l'Environnement, Mohammad Machnouk. Ce dernier n'a pas su expliquer par des tableaux comparatifs la différence entre l'appel d'offres actuel et celui qui servait de base au travail de Sukleen, et justifier aux yeux de l'opinion l'écart dans les prix, même si dans l'absolu, certains experts jugent que ces tarifs peuvent être réduits, notamment si les contrats proposés sont plus longs.
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Quand à l'octroi de 100 millions de dollars au développement du Akkar en échange de l'acceptation, par ses députés et édiles, de l'aménagement d'un dépotoir dans cette région, on reste interdit face à la grossièreté du procédé. Faut-il s'en scandaliser ? Sans aucun doute. « On n'est pas en train de soudoyer le Akkar », a dit le ministre de l'Information, Ramzi Jreige, sans que l'on sache s'il était lui-même convaincu de ce qu'il avançait. Malheureusement, ce don, comme sorti de la manche d'un magicien, c'est bel et bien une manière d'acheter le silence de ceux qui peuvent s'opposer à un tel projet.
Ulcérée, humiliée, la population du Akkar a accueilli hier soir avec colère cette décision, par un rassemblement à Abdé. « Grâce aux déchets, le Akkar est enfin sur la carte politique, ironisait la foule. Le développement en échange des déchets. » Plus pragmatique, le député Mouïn Merhebi a décidé d'accepter les 100 millions... et d'étudier la proposition du gouvernement.
Par ordre d'importance, cependant, le plus grave reste la décision des ministres du CPL et du Hezbollah de quitter le Conseil des ministres. Il ne fait pas de doute, pour les milieux ministériels, que les deux partis surferont sur les vagues de mécontentement actuelles pour déstabiliser un peu plus le pouvoir et faire pression pour l'élection de Michel Aoun. À l'œuvre, dans toute sa splendeur nihiliste, nous voyons – presque – le tiers de blocage. Il lui manque un ministre. Abus de minorité, par contre, est l'appellation exacte du procédé auquel le CPL et le Hezbollah ont recours. Les jours qui viennent diront si ils y parviendront. Ce n'est pas impossible, quand on a des agitateurs sous la main, deux télévisions et des armes de son côté.
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Entre-temps, la « société civile » a de nouveau manifesté hier, place Riad el-Solh, et parallèlement, des échauffourées ont éclaté par intermittence, obligeant les forces de l'ordre à une répression musclée. Cerise sur le gâteau, le ring Fouad Chehab a été fermé par des proches de l'officier Rabih Kahil, pour réclamer une justice plus sévère. Serions-nous sur le point de régresser sur le plan judiciaire aussi et de revenir au lynchage ? Voilà le parfait exemple de la manière dont le blocage des institutions par le général Michel Aoun renvoie au diktat de la rue. Une rue dont les prises de parole disparates, dans une place Riad el-Solh transformée en Hyde Park par les télévisions, démontrent amplement le manque de vision et de maturité politique. « Le peuple veut la chute du régime », scandaient mimétiquement des groupes de manifestants hier. Erreur, pensent d'autres, pour qui le peuple veut la consolidation des institutions.
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commentaires (9)
Je ne comprends pas pourquoi le PM ne crée pas une équipe de 10 à 12 personnes compétentes pour les problèmes qu'il rencontre avec obligation de résultat. Il est dans la droite ligne de la constitution puisque les ministres CPL et Hezbollah ont abandonné leurs fonctions. Dans l'intérêt du Liban, notre pays, il doit prendre des dispositions hors du commun pour le sauver des détracteurs déjà cités Ce gouvernement sans nom et sans qualificatif ne peut continuer à se heurter aux problèmes sans prendre des dispositions d'urgence pour les résoudre Si le PM compte sur les ministres de tout bord, il ne fera que marcher dans la semoule, et encore...
FAKHOURI
23 h 09, le 26 août 2015