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Liban - Crise des déchets

À Baabda, les résidents parent au problème tant bien que mal

La localité figure au nombre des régions où les déchets ne cessent de s'accumuler depuis le début de la crise. Dans certains quartiers, les résidents, agacés, recourent aux services de camionneurs pour se débarrasser des immondices.

De la fumée s’élève des monticules d’ordures brûlées à Jamhour. Joseph Eid/AFP

Le spectacle des immondices à Baabda est des plus désolants. Le chef-lieu du Mont-Liban, très touché par la crise des déchets, croule sous des monticules d'ordures qui s'étalent sur plusieurs centaines de mètres, ne cessant de gagner en volume, au point de bloquer la circulation dans certaines zones.
Ici, une voiture noyée par un flot de sacs-poubelles. Là-bas, un trottoir dissimulé sous une montagne de déchets qui jouxte une école. Plus loin, un amas de sacs noirs surplombe l'entrée d'un hôpital... Au spectacle surréel, s'ajoutent les émanations puantes que dégagent les ordures.
Dans cette ville, les déchets n'ont pas été enlevés depuis le premier jour de la fermeture de la décharge de Naamé, le 17 juillet dernier. Le conseil municipal de la ville étant démissionnaire, la crise risque de perdurer, faute d'un plan d'urgence. Dans les régions relevant de la municipalité de Baabda, les habitants essaient de parer au problème par leurs propres moyens, même s'ils ne sont pas toujours les bons.
« Dans notre zone, nous avons établi notre propre quartier général », confie d'un ton mi-figue mi-raisin une habitante de Rihaniyé, ayant requis l'anonymat. « Les déchets s'accumulent dans la région depuis le premier jour de la crise, au point d'avoir bloqué la zone où nous habitons », poursuit-elle. Les habitants, ayant décidé de prendre les choses en main, ont fait appel à un camionneur qui a accepté de les en débarrasser. Où les a-t-il déchargés? « C'est la grande question ! » répond-elle.
Les résidents de cette zone de Rihaniyé se sont entendus entre eux. Chaque appartement trie ses déchets et les matières recyclables sont envoyées chez l'ONG Terre Liban. En ce qui concerne les matières organiques, elles continuent à être transportées par un camionneur.
« La situation est déplorable, reprend la dame. Ce qui est aussi désolant c'est que la nuit, des personnes viennent fouiller dans les sacs à la recherche des matières recyclables. Vous vous imaginez ce qui se passe dans ce pays! »


(Lire aussi : Après l'annulation, des solutions d'urgence dans le flou)

 

De lourdes taxes municipales
« Si les jeunes activistes environnementaux n'avaient pas lancé la campagne "Vous puez ! ", nous l'aurions lancée nous-mêmes, non pas pour faire tomber le régime et créer une vacance à tous les niveaux, mais en réaction à ce qui se passe. Tout cela est scandaleux ! » lance G., une habitante de Baabda. « La municipalité de Baabda est considérée comme l'une des plus riches du Liban, ajoute-t-elle. Nous payons de lourdes taxes et nous ne recevons rien en contrepartie ! Les routes sont impraticables, les services publics sont nuls et cerise sur le gâteau, nous avons les déchets. Dans toutes les régions, les ordures ont été plus ou moins ramassées, sauf chez nous. C'est dégoûtant. Nous avons vécu les atrocités de la guerre civile et maintenant nous subissons la dégradation de l'État. Comment voulez-vous que les jeunes rentrent dans le pays ? Personnellement, je décourage mes enfants à le faire. Ce qui se passe est inadmissible. Pendant de longues années et durant tous mes voyages et séjours à l'étranger, j'ai milité pour changer l'image du Liban terroriste que se faisaient les étrangers de notre pays. J'ai longtemps milité en faveur du Liban de la culture, de la civilisation, de l'art... N'était-ce que des chimères ? Ce qui se passe est déprimant. »
Tout comme à Rihaniyé, les habitants de Yarzé (autre secteur faisant partie de Baabda) ont pris une initiative individuelle pour trier les déchets à la source. Ils se sont entendus avec l'ONG Terre Liban pour qu'elle vienne collecter les déchets recyclables. En ce qui concerne les déchets organiques, ils sont transportés par un camionneur engagé par les résidents du quartier vers une destination « qui nous est inconnue », précise une femme. « À l'heure actuelle, nous ne voyons pas une autre issue au problème », constate-t-elle.


(Lire aussi : Le gouvernement annule l'appel d'offres et octroie 100 millions au Akkar)

 

Des gens impatients
« Je suis dégoûtée par cette situation, confie Tania, une habitante de Baabda-centre. Ce qui est encore plus dégoûtant c'est l'attitude des gens qui ne se sentent pas concernés par la crise tant que les bennes à ordures ne sont pas placées devant l'immeuble où ils habitent. La situation à Baabda est tellement grave que certains restaurants ont placé des rideaux pour dissimuler les tas d'ordures qui s'élèvent à proximité de leurs négoces, question d'attirer la clientèle. »
Tania essaie toutefois d'être optimiste. « Nous avons la chance d'avoir un centre pour le tri des ordures, note-t-elle. Il a été mis en place par Terre Liban. Personnellement, j'y dépose surtout le papier. Pour ce qui est des matières organiques, je les envoie au village. Ils servent à nourrir les volailles ou encore ils sont transformés en compost. »
Dans ce quartier de la localité, les habitants tardent à s'organiser pour minimiser les effets néfastes de la crise. « Personne ne pense à trier ses déchets, avance Tania. Les gens sont impatients de s'en débarrasser. Ils continuent à placer leurs sacs-poubelles sur le paillasson, en attendant que le concierge les collecte. De plus, ils confient avoir peur des maladies. Ils savent que l'amoncellement des ordures est mauvais pour leur santé, mais ils ignorent à quoi s'attendre. »

 

(Pour mémoire : La forêt de Baabda sauvée des ordures)

 

À la recherche d'un centre de triage
Paul Abi Rached, président de l'ONG Terre Liban et résidant à Baabda, a décidé d'agir dès le premier jour de la crise. « Au départ, j'ai réagi en tant que citoyen de la région », explique-t-il. Il a ainsi commencé par trouver un terrain qui puisse servir de centre de triage. Après avoir obtenu la permission du mohafazat pour l'utiliser, au terme de nombreux va-et-vient, « j'ai appris qu'une équipe de Sukleen allait collecter les déchets des rues et les déverser dans ce terrain. Avec un groupe de jeunes de la région, nous avons bloqué la route menant au site et empêché qu'il ne soit transformé en un dépotoir », raconte Paul Abi Rached.
C'est à partir de ce jour que Paul Abi Rached a décidé d'essayer de parer autant que possible à la crise en tant que président de Terre Liban. Plusieurs personnes ont ainsi été engagées avec pour mission celle de trier les poubelles sur place. « Les matières recyclables étaient transportées dans ce terrain », indique-t-il. Le centre de triage a toutefois été rapidement fermé, « parce que des gens qui habitent à proximité ont protesté ». Quelques jours plus tard, « nous avons été surpris par un projet visant à jeter les déchets dans la forêt de Baabda, qui est une réserve ». Un mouvement civil mené par Terre Liban a réussi à l'avorter.
Paul Abi Rached affirme qu'un nouveau terrain a été trouvé. Il reste à obtenir l'autorisation officielle du mohafez pour le transformer en un centre de triage. Entre-temps, le militant écologique a transformé le jardin de son ONG à Baabda en un centre de triage et de compostage. Un centre qui est rempli « quatre fois par jour » par des centaines de milliers de sacs de poubelles de matières recyclables.« En tant que société civile, nous avons rempli notre part du contrat, affirme Paul Abi Rached. Le mohafazat doit trouver une carrière où les déchets peuvent être stockés, puis triés. Mais malheureusement, aucune action n'a encore été entreprise pour résoudre le problème. Ils n'ont même pas essayé de créer une cellule de crise ! »

 

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