On aurait pu croire que l'explosion de colère populaire du week-end aurait alerté le gouvernement sur la gravité de la situation et sur l'importance de réagir efficacement. Mais les deux dernières réunions consacrées au dossier des déchets de lundi et de mardi ont montré que le pouvoir souffre plus que jamais d'autisme et qu'il est de plus en plus isolé de la base. Les résultats de l'appel d'offres annoncés par le ministre de l'Environnement, Mohammad Machnouk, lundi, à partir du siège du CDR, est la preuve évidente de l'improvisation et du manque de sens des responsabilités dont fait preuve le gouvernement.
Comment le ministre de l'Environnement pouvait-il croire qu'un aussi grossier partage des parts, dans le dossier des déchets, avec en plus des coûts encore plus élevés que ceux de Sukleen, pouvait passer sans la moindre protestation, d'autant qu'il n'y avait même pas une entente sur les décharges ? L'idée trouvée était la suivante : au lieu d'une Sukleen qui a pratiquement le monopole du ramassage et du traitement des ordures, on en crée six, selon le partage régional, confessionnel et politique. De la sorte, toutes les composantes politiques et confessionnelles ayant obtenu leur part d'un gâteau qui pue seront obligées de se taire et de faire passer le projet.
De plus, les responsables croyaient que l'infiltration de groupes de « voyous » auprès de manifestants et les images de vandalisme véhiculées par tous les médias, ainsi que les balles réelles tirées par les forces de l'ordre suffiraient à décourager les jeunes enthousiastes de la campagne « Vous puez ! » et d'autres du mouvement « Fichez-nous la paix ! ». Mais ils se sont trompés une fois de plus. La couleuvre était vraiment trop énorme pour être avalée et le dégoût populaire n'a pas encore atteint le stade de la résignation et de l'acceptation de n'importe quelle solution, même la pire.
La réaction ne s'est donc pas fait attendre et le gouvernement a dû retirer les résultats de l'appel d'offres annoncés en grande pompe lundi. Le dossier des déchets fait donc du surplace et les activistes préparent un nouveau mouvement de protestation prévu samedi. Les médias ont toutefois commencé à parler d'un complot de « l'axe iranien », ou d'un projet de déstabilisation élaboré par le Hezbollah et le CPL pour paralyser le gouvernement et créer des troubles sécuritaires... Le tout dans le but de chercher à décourager les manifestants de descendre une nouvelle fois dans la rue par crainte de ces « infiltrés ».
Pourtant, selon les activistes eux-mêmes (pour la plupart des étudiants universitaires), qui se trouvaient place Riad Solh samedi et dimanche, les casseurs n'étaient pas organisés et n'agissaient pas en tant que groupe qui se distribuait les tâches. Il s'agissait simplement de jeunes voyous, qui ne se retrouvent dans aucun mouvement politique et qui n'ont aucune place dans la société où ils n'ont d'ailleurs aucune perspective d'avenir et qui se vengent par des actes de violence et de vandalisme. Toutes les manifestations, même en France et aux États-Unis, ont des groupes de ce genre qui profitent de la présence populaire dans la rue pour exprimer leur rancœur contre la société.
Toujours selon les activistes, voir dans la présence de ces casseurs « un complot aux dimensions régionales » a donc pour unique objectif d'empêcher les gens de descendre dans la rue une nouvelle fois et de mettre en échec le mouvement de protestation populaire, tout en cherchant à politiser, voire à « confessionnaliser », ce mouvement, qui se veut justement au-delà des politiques et des confessions.
Pour tenter de déjouer ce piège, les activistes et les organisateurs de la campagne « Vous puez ! » ont pris quelques jours de réflexion pour mieux s'organiser. Les activistes affirment avoir été eux-mêmes surpris par l'afflux populaire en réponse à leur appel à descendre dans la rue. L'un d'eux confie que le mouvement a au départ été lancé pour protester contre l'absence de solutions efficaces pour le dossier des déchets. Mais les gens sont descendus spontanément, tant ils en avaient assez de la situation actuelle, sans eau, sans électricité, mais avec des déchets et sans aucune perspective de solution. C'était trop d'humiliation et ils ont vu dans leur participation à la manifestation le moyen d'exprimer leur indignation. Le slogan de départ était donc la démission du ministre de l'Environnement, puis après les tirs en balles réelles des forces de l'ordre, il a été question de réclamer la démission du ministre de l'Intérieur et à la fin, face à l'ampleur du mouvement et à la frustration grandissante de la population qui refusait de se laisser effrayer par les rumeurs véhiculées par les médias et par les coulisses du pouvoir, le mouvement a commencé à réclamer la démission du gouvernement.
Les activistes confient que la protestation est devenue si grande que la situation risquait de leur échapper. C'était bien sûr une grande joie pour eux de voir une telle réponse populaire à leur appel, mais en même temps, cela faisait peser sur leurs épaules une plus grande responsabilité. Il leur fallait donc prendre le temps de réfléchir, de mieux s'organiser et de chercher à éviter les pièges de la politisation ou même de la récupération et du détournement du mouvement de ses véritables objectifs. Un nouvel appel à descendre dans la rue a donc été lancé pour samedi et les activistes sont en train d'étudier de nouveaux slogans tournant autour de l'organisation d'élections législatives puisque c'est par là que commence le changement de la classe politique. Leur défi : éviter les pièges politiques et continuer de cristalliser la grogne populaire contre une classe politique incapable et corrompue.
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Le ras le bol est vis à vis des politiques qui se disent représentants de leur confession ou qui prennent en otage les gens (pauvre gens) qui leur font confiance... Le Liban déstabilisé par les odeurs jaune et orange va être utilisé comme carte de négociation pour réhabiliter le criminel de damas... il est encore tôt avant de dire si la colère populaire emportera tout sur son passage... ce qui est certain c que des hommes politiques dans ce pays sont bien accrochés aux poubelles à se demander s'ils veulent pas fusionner avec... ils auront pas du mal.. Quoi qu'il en soit le pire reste à venir vu l'absence d'hommes d'état...
21 h 37, le 26 août 2015