Un sit-in organisé à Tripoli pour refuser « que la ville se transforme en dépotoir ».Photo d’archives
Aux multiples talents dont les Libanais font preuve au quotidien, vient s'ajouter le génie de la corruption. À chaque crise, sa dose de créativité maléfique, quels qu'en soient les effets sur le citoyen ordinaire et quels que soient les moyens mis en œuvre.
La dernière invention en date, l'« exportation » des déchets de Zouk Mikaël et de Jounieh au Liban-Nord, plus précisément à Tripoli, Miniyeh et dans le Akkar, des régions d'une pauvreté extrême et souffrant depuis des décennies de privations.
« C'est la fédéralisation des déchets. C'est une honte », dénonce cheikh Saleh Hamad, un dignitaire sunnite de Miniyeh. « C'est une tentative ultime de division et du rejet de l'autre, cette fois-ci à l'aide des ordures », poursuit cheikh Saleh, un homme connu pour sa modération et son ouverture.
Depuis l'aggravation de la crise des déchets, les responsables politiques « se creusent la tête » pour tenter de trouver une issue et résoudre le problème des montagnes d'ordures qui se sont formées aux quatre coins du pays. Un étalage de médiocrité et de puanteur qui en dit long sur la manière dont est géré le pays. N'ayant pas réussi à trouver un terrain suffisamment spacieux pour absorber les immondices, le gouvernement a voulu tenter le tout pour le tout : le Nord est alors pointé du doigt, notamment pour ses larges espaces, comme emplacement « idéal » pour y enterrer les rebuts des autres régions.
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Au sein de l'exécutif, les ministres sourient déjà à la perspective et certains d'entre eux commencent à promouvoir l'idée. La transaction consistait à parachuter les déchets au Akkar, contre des promesses vagues de développement et de facilités qui seraient accordées aux autorités locales consentantes.
« Au départ, il était question de payer aux municipalités 50 dollars la tonne. Puis le prix a été revu à la baisse lors des pourparlers, les rumeurs faisant état de 10 dollars la tonne », ironise le député de Tripoli, Khaled Daher, dans un entretien accordé à L'Orient-Le Jour.
« Malheureusement, poursuit le parlementaire, certaines personnes naïves se sont enthousiasmées à la proposition et ont applaudi. Mais la majorité des citoyens a crié gare. »
Dès le départ, le député a fait campagne contre la proposition et s'est mobilisé avec le député du Akkar, Mouïn Mereebi, et d'autres pour dénoncer « ce scandale ». Pour M. Daher, il est hors de question de « conclure un troc entre le droit inaliénable des citoyens au développement et l'accueil des déchets, en faisant miroiter aux citoyens défavorisés des projets auxquels ils ont naturellement droit ». Et d'ajouter : « C'est abject et avilissant de troquer la dignité des gens avec les ordures. »
Hier, l'ancien Premier ministre Nagib Mikati – dont on dit d'ailleurs qu'il est un actionnaire majeur dans la société de collecte des déchets, Sukleen – a pris le relais. Il a invité les responsables à « ne pas mélanger entre les humeurs politiques et les intérêts des citoyens ».
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Les mises en garde, qui sont montées crescendo, avaient été notamment suscitées par l'acheminement il y a quelques jours de deux camions chargés de détritus à Tripoli où ils devaient déverser, la nuit, leur chargement et de deux autres à Miniyeh. Interceptés par les habitants, les chauffeurs ont dû interrompre l'opération. Alerté, le procureur général a chargé la gendarmerie de faire le nécessaire. Les chauffeurs ont reconnu avoir été envoyés par un entrepreneur de Jounieh, « lequel a touché la somme de 800 dollars par camion », dénonce M. Daher, convaincu que c'est la municipalité de Jounieh qui a envoyé les camions, via l'entrepreneur.
C'est le même témoignage que confie à L'OLJ cheikh Saleh, assurant que les camions qui se dirigeaient à Miniyeh avaient été envoyés par la municipalité de Zouk Mikaël. Deux jours auparavant, deux autres camions avaient réussi à déverser leur décharge à Abou Samar, dans la vallée. Personne n'a pu les arrêter préalablement. Suite à plusieurs revendications formulées par des personnalités politiques réclamant que des poursuites soient engagées contre la municipalité de Jounieh notamment, l'ordre des avocats de Tripoli a déposé hier une plainte « contre toute personne ou institution qui introduit ses déchets au Liban-Nord ».
« Nous n'accepterons pas que l'on prenne à la légère notre ville, en transformant ses ruelles et ses grandes places en dépotoir », a affirmé le président de l'ordre, Fahed el-Mokaddam, qui a dénoncé par la même occasion les responsables politiques « qui ferment l'œil devant un tel crime ».
Commentant la campagne adressée contre les politiques intitulée « Vous puez », cheikh Saleh conclut en disant : « Moi j'aurais choisi une autre appellation, à savoir que "c'est plutôt le peuple qui pue", puisque c'est lui en définitive qui a choisi une classe politique aussi médiocre. »
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Oui, d'accord, mais c'est la meilleure solution pour des "déchets!" pareils !
11 h 36, le 23 août 2015