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Lifestyle - Tous les chats sont gris

« Veuillez prendre place, le concert va bientôt commencer »

Les festivals, encore plus pour cette cuvée 2015, restent ces immanquables rendez-vous des nuits estivales libanaises. Même si leur fréquentation a connu un certain fléchissement, les dévoreurs de spectacles font encore la route et la fête, à tout prix.

Comme le taux de remplissage des avions et des hôtels de la ville, les discours des illuminés politiques ou les boules de cristal des voyantes stars, l'annonce des programmes des festivals sert de thermomètre local et donne le ton de la saison estivale, prédisant bonnes récoltes ou vendanges pourries. Cette année, pas évident de se le figurer, après le début d'été climatico-économico-
social putride que l'on vient de s'emplafonner. Mais il a fait beau, les poubelles se vident (supposément) et les gens affichent quand même une désinvolture affable. Avides de détente, ils ne savent plus où donner des yeux et des oreilles, se traînant, même de force, de représentation en représentation. Au prorata du nombre d'habitants et malgré le climat aguicheur, le Liban n'est peut-être pas champion du monde des festivals sur le plan quantitatif. Mais il propose cependant, et sans conteste,une programmation souvent alléchante, amplifiée par une volonté de développer une stratégie événementielle où la culture devient à la fois vecteur d'animation et motif de résistance. Total : on constate depuis désormais pas mal d'années une surenchère de propositions, et si abondance de biens n'est pas nécessairement une bonne chose, l'essentiel est que la folie des festivals fasse bouger un minimum cette nuit libanaise qui somnole depuis un moment.

L'amour sur « Formidable »
Les festivals sont d'abord une sorte de bilan mi-annuel, lorsqu'on sillonne les routes qui mènent à Baalbeck, Beiteddine ou Batroun, et que l'année écoulée défile inévitablement sous nos yeux comme un film en Super8. On se souvient de celui ou celle qui nous avait accompagné(e) l'été dernier à Zouk, de cette main moite à laquelle on s'était agrippé au concert de Beirut à Byblos, de cette larme, aujourd'hui guérie, qui s'était échappée au son des cordes vocales de Katie Melua à Beiteddine, des prémices d'une histoire d'amour démarrée au gré de Formidable, entonnée par un Stromae dopé à l'iode de Jbeil. Les festivals sont surtout ce rituel estival qu'on envisage comme un petit voyage intra-muros, quand le quota de vacances est explosé, mais que l'air d'août clame un besoin de partir. Alors on s'évade, souvent plus pour le plaisir que pour cet artiste dont on connaît
vaguement un tube ou deux.

Labné, Picon, limonade...
Et pour se rendre vers ces diverses représentations généralement situées à Perpète-Les-Oies, certains choisissent de se faire conduire par des bus à l'appellation, à elle seule inquiétante, de pullman. Des autocars façon touristes asiatiques, affrétés par les mêmes agences de voyages et qui démarrent immanquablement des mêmes points, souvent des parkings, pour un périple aussi turbulent qu'un vol au-dessus des Alpes. Fuyant leurs valses nauséabondes, la plupart des festivaliers préfèrent se mettre au volant, histoire de profiter des paysages que les routes côtières ou de montagne offrent à nos rétines et s'accorder quelques pauses gourmandes en chemin. Car les festivals riment aussi avec plaisir des papilles, en retrouvant des bonheurs culinaires qu'on ne s'octroie qu'en cette période. Légendaires: une galette de Picon chez Abou Arab en route vers le Chouf, un sandwich de labné roulé par des mains bienveillantes de la Békaa, une puis deux limonades de chez Helmi à Batroun. Et du fuel pour affronter les embouteillages tentaculaires à l'entrée de ces sites, avec en fond sonore le dernier album de l'artiste dont on se lasse déjà, avant même que le concert n'ait débuté.

Ruiner son pantalon blanc
Les pieds en compote, le teint blanc aspirine après un trajet tortueux, place à une ambiance de kermesse bon enfant pour l'avant-concert. Car un soir de festival, ce sont ces mêmes stands qu'on érige au pied de sites pour la plupart spectaculaires. C'est croquer à belles dents un chawarma dégoulinant en claquant une bise grasse à cet indomptable mélomane qui ne manque pas une représentation, même si c'est un illustre inconnu chanteur de folk émergé des îles Féroé. S'encombrer de trois gobelets de vodka afin de survivre à cette pseudo-icône de pop pour ados hystériques. Ne pas avoir le temps d'arriver en tête de file pour les W-C, que cette voix radiophonique ressasse en boucle: «Veuillez prendre place, le concert va bientôt commencer.»

Prendre place, donc, dans la fosse claustrophobique où le voisin de coude hurle, pour faire comme, ne sachant pas que le groupe présent sur scène n'est malheureusement pas Angus et Julia Stone, mais Postcards from Beirut faisant l'ouverture ce soir-là. Ou s'installer sur des coussins mouillés, ruiner son pantalon blanc pendant que l'artiste fait poireauter l'audience, caprice de star oblige. Sentir les poils de nos bras se hérisser, bêtement certes, au moment où le chanteur déclame un Massa el-Kheir dans un dialecte approximatif, comme un obsédant rappel que notre langue est belle. Sortir son châle lorsque le petit s'alanguit au gré de ces mauvaises notes de jazz. Être agacé par la voisine d'à côté qui chante de travers, mais afficher un sourire au final, car elle s'émoustille comme une jeune première, et que cette volonté de faire la fête à tout prix l'emporte sur son massacre de ce tube biblique. Souhaiter, attendre, puis quémander un titre que le chanteur décidera de zapper, même après maints bis. Ressortir déçus, souvent, parce que nous sommes d'éternels insatisfaits.
Mais se dire quand même que dans un pays où l'on préfère le passé quand il est enfoui et où l'avenir ne ressemble surtout pas à un horizon, organiser des festivals, c'est-à-dire la fête, reste une chose sinon héroïque, du moins un vrai parcours du combattant.

 

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