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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Pour un somme avec toi, je ferais n’importe quoi...

Vautré sur un parterre vert comme un Dormeur du val ou avachi sur un lit moelleux... la sieste fait partie de ces moments de félicité que procure l'été. Des instants de précieuse tranquillité où les songes défilent dans une lucarne de lucidité, quelque part entre jour et nuit.

Photo Gilles Khoury

Au Liban plus qu'ailleurs, dans un des rares pays où chacune des quatre saisons s'obstine encore à déployer toutes ses teintes, on se doit de prendre parti. On est juillettiste ou on est aoûtien. C'est ainsi de tout été, de toute éternité. Mais quel que soit le camp auquel on choisit de s'aligner, nous sommes tous liés par les poncifs de cette période de sourires au grand air. La frénésie d'un sable zigzaguant entre les orteils, de peaux sucrées-salées et de fêtes grignotant les matinées de travail. Les nuits écourtées et le mercure en flèche sont moins stimulants, nous faisant passer de l'excitation à l'exténuation, de fruits mûrs à compote molle. Chaque instant de la journée devient donc une lutte pour garder les yeux ouverts et on donnerait n'importe quoi pour faire un somme, juste un petit roupillon de rien du tout... Ça doit sans doute être pour toutes ces raisons que le rituel de la sieste, déjà propre à l'indolence méditerranéenne qui nous définit si bien, prend toute son ampleur en cette saison estivale.

 

La nuit en pleine journée
Il y a les sans-complexes qui la pratiquent de manière sauvage, les bras croisés sur leur bureau, se fournissant même en petits coussins dissimulés dans le tiroir du dessous. Un peu dans le genre de ceux qui transportent des morceaux de nuit en pleine journée sur les trottoirs et parvis de la ville, comme un pied de nez à l'astre jaune et ses heures de pointe. Après le repas, vient donc le moment béni où l'on a rendez-vous avec notre banc ou notre chaise en plastique. S'y adosser, s'y caler n'est pas une mince affaire. Il faut savoir ajuster ses omoplates et ses reins à la planche lustrée ou trouver moyen d'étendre ses jambes avant de se perdre et de laisser venir ces instants de sieste qui sont intouchables. Il y a celui qui dispose un matelas, carrément, à l'arrière de son garage. Celle qui flanque un vieux fauteuil à la porte de son atelier de couture, celui qui fabrique un hamac avec des lambeaux de bambou. Chacun trouve donc lit à la pointure de son sommeil, car le relâchement de l'après-midi au milieu de nulle part fait partie de ces luxes inouïs qui renvoient les autres signes extérieurs de richesse à leur triste banalité. Quitte à devoir négliger les va-et-vient dans son échoppe et au risque de se recevoir une horde de gamins rusés profitant de cette heure creuse pour rafler deux ou trois gourmandises... Et puis, avouons-le : il n'y a rien de plus charmant que cette horde de bohémiens siesteurs qui aménagent leurs couchettes sous des soleils ardents. Ce moment qu'on aime pour le silence inattendu qui creuse son abîme au cœur de la folie urbaine. On ne vient pas à ces brefs retraits de la foultitude, à ses assoupissements rêveurs (uniquement) pour digérer un mouloukhieh ou cuver un rosé tiède. Il y a de l'ermitage dans ces espaces-temps singuliers au milieu du brouhaha des klaxons et des problèmes qu'on ne calcule plus.

 

Une impression de vacances
Dans le champ lexical du mot « vacances », on trouve donc le terme « sieste ». Lorsque les montres deviennent molles et que l'on flotte sans culpabilité entre jour et nuit, entre réalité (souvent morne) et délires alcoolisés (d'après-déjeuner). La sieste, c'est d'abord une odeur : celle des cuisines qu'on remet en état et qui vous jettent aux naseaux des effluves de Dettol. C'est aussi un bruit : celui de nos ziz, ces cigales bavardes, tambourinant notre satisfaction d'être en vacances. La sieste, c'est aussi les volets tirés sur l'activisme, les pieds nus qui laissent leurs empreintes humides sur nos tomettes, les bruits de vaisselle au loin, les conversations qui déclinent et les fumées de cigarette d'après-café qui se perdent dans la treille. La sieste, c'est s'échouer sur des tapis d'herbes brûlées par l'été, plier les parasols et libérer un dos couleur Aspirine. La sieste, c'est la compagnie d'un ventilo schizophrène qui mate le denier épisode de Khataya saghira à la LBCI ; une moitié de pastèque rangée au freezer pour les boulimies du réveil. La sieste, c'est les enfants qui réclament que vous vous allongiez près d'eux, la somnolence qui gagne et le bref sursaut qui vous fait découvrir le petit embué de sueur et pelotonné contre vous, tel un châton possessif et repu. La sieste, c'est aussi le moment où les parents préféreraient échapper à leur devoir de maternage pour retrouver des corps plus sexués, plus ouvragés, plus usagés.

 

Réveils mal lunés
Mais ce qui ne va pas avec la sieste, c'est qu'on s'endort. Que les rêves d'après-midi sentent souvent l'ail triste et l'arak tiédi. Qu'on se fait des scénarios plus catastrophes qu'au plus noir de la nuit et qu'on ne dirait surtout pas, avec Baudelaire, que « la sieste est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte la volupté de son anéantissement ». Car le réveil de la siesta, surtout lorsqu'il se fait parce que le courant a sauté, est une calamité. Avec cette drôle impression d'encaisser une paire de claques, de mâchonner du plâtre, de porter un âne mort sur les épaules.
De ne plus savoir qui, du jour ou de la nuit, inventa l'autre.

 

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