Le drapeau syrien flotte devant une église à Damas. Photo d'archives. Louai Beshara/AFP
Le groupe jihadiste État islamique a frappé au cœur d'une localité syrienne symbole de la coexistence islamo-chrétienne, en y enlevant 230 civils musulmans et chrétiens au lendemain de sa prise au régime.
L'EI "a kidnappé à al-Qaryataïne 170 sunnites et plus de 60 chrétiens accusés de 'collaboration avec le régime' lors de perquisitions menées dans la ville" qu'ils ont conquise dans la nuit de mercredi à jeudi, a déclaré hier à l'AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Selon lui, l'EI possédait une liste de personnes à arrêter mais les jihadistes ont parfois arrêté des familles entières qui tentaient de s'enfuir.
Contacté par L'Orient-Le Jour, le métropolite des syriaques orthodoxes de l'archevêché de Homs et Hama, Mgr Selwanos Boutros Alnemeh, livre un bilan nettement plus lourd que celui fourni par l'OSDH : "Mardi, des éléments armés et des jihadistes de l'EI ont pénétré dans le village d'al-Qaryataïne. Effarées, environ 200 familles chrétiennes ont réussi à s'enfuir. Toutefois, beaucoup plus que 60 chrétiens, environ 200, n'ont malheureusement pas pu faire de même. Ils sont retenus par les jihadistes à l'intérieur du village". Le religieux assure détenir une liste détaillée des noms des personnes en question, qualifiant d'"infondé" le bilan fourni par l'OSDH. "Seules quelques femmes, enfants et vieillards parmi les otages ont pu quitter al-Qaryataïne.
Avant le début du conflit en Syrie il y a quatre ans, il y avait 18.000 sunnites et environ 2.000 syriaques catholiques et orthodoxes à al-Qaryataïne. La localité est un carrefour important qui relie des territoires contrôlés par l'EI : la périphérie de la province de Homs et l'est de celle Qalamoun, près de la frontière libanaise. La conquête de la ville permet désormais à l'EI de transférer des troupes et du ravitaillement entre ces deux zones, selon l'OSDH, basé en Grande-Bretagne mais qui s'appuie sur un important réseau de militants en Syrie.
Mercredi, c'était au tour du village de Hawarine, à une dizaine de kilomètres d'al-Qaryataïne, d'être attaqué, explique Mgr Alnemeh : "Des éléments armés y sont entrés, provoquant la fuite d'environ 2.000 personnes vers le village voisin de Saddad. Nous avons accueilli chez nous, à l'archevêché situé dans le Vieux Homs à une centaine de kilomètres des deux villages, les quelque 200 familles ayant fui al-Qaryataïne, ainsi que d'autres qui ont à nouveau dû fuir Saddad". L'exode des villageois s'est fait à la hâte, raconte le prélat. "Certains ne sont partis qu'avec les vêtements qu'ils portaient sur le dos, ils n'ont même pas pu emporter leurs papiers d'identité", indique-t-il. Le trajet n'a pas été facile non plus. "Certains ont fait à pied une centaine de kilomètres et avaient à peine pu se nourrir ou s'abreuver", déplore Mgr Alnemeh.
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"Ils ne peuvent pas fuir la Syrie"
Si les ravisseurs accusent leur otages de collaborer avec le régime syrien, Mgr Alnemeh affirme qu'il s'agit "de pauvres gens, de simple paysans". "Comment voulez-vous que des femmes et des enfants collaborent avec le régime?", s'indigne le prélat.
Désemparé, Mgr Alnemeh explique ne pas avoir les moyens d'obtenir la libération des otages : "Nous ne pouvons pas nous rendre sur place. Tout ce que nous pouvons faire, c'est contacter les organismes de l'Onu, les ONG et les médias".
Assurant que le contact avec les otages est perdu depuis mardi, le prélat souligne que les négociations sont quasi inexistantes. "Tout ce que nous avons pu faire pour le moment c'est parler à un cheikh proche des groupes islamistes, mais le contact a été rompu, explique Mgr Alnemeh. Nous sommes en contact permanent avec le gouvernement syrien, mais celui-ci ne peut pas se rendre sur place, non plus, afin d'obtenir la libération des villageois".
Malgré la menace constante qui pèse sur la région, les chrétiens de cette zone sont condamnés à y rester, poursuit-il. "Ils ne peuvent pas fuir la Syrie. Où voulez-vous qu'ils aillent ? Il n'ont pas les moyens de partir. Ils ne peuvent pas faire le trajet vers le Liban voisin. Et même s'ils le pouvaient, ils seraient refoulés à la frontière" (en raison des mesures de filtre mises en place par les autorités libanaises). Et de conclure : "Nous lançons un appel de détresse à nos frères musulmans afin qu'ils libèrent nos proches innocents".
(Dossier : Quand les chrétiens de Syrie organisent leur protection)
Symbole de coexistence
La localité al-Qaryataïne est un symbole de coexistence, son nom signifiant les "deux villages" en arabe. Lors des invasions arabes du VIIe siècle, les habitants chrétiens avaient pris une décision inédite : la moitié de chaque famille s'est convertie à l'islam afin de protéger les autres membres.
Les relations entre chrétiens et musulmans ont toujours été excellentes, confirme à l'AFP une femme originaire du village. En pleine guerre, il y a deux ans, près de 700 musulmans de Homs ont trouvé refuge dans le monastère adjacent à l'église, ajoute-t-elle. Autre exemple la cérémonie marquant la fin de la rénovation d'une église du 6e siècle, Saint (Mar) Elian, le 9 septembre 2009. "Ce jour-là, il y avait le nonce apostolique, l'imam, et les deux communautés ont assisté à la messe. Il y avait aussi deux religieux chrétiens apôtres de la coexistence islamo-chrétienne, le père Paolo Dall'Oglio et le père Jacques Mourad, qui ont tous deux été enlevés", ajoute-t-elle.
Jacques Mourad, prêtre syriaque catholique du monastère Mar Elian d'al-Qaryataïne, avait été enlevé en mai par trois hommes masqués, au lendemain de la prise par l'EI de la ville antique de Palmyre, non loin. Paolo Dall'Oglio, un jésuite, a été enlevé en juillet 2013 par l'EI.
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Et que pense-t-il du cas des "VIEUX" ?
17 h 54, le 08 août 2015