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Nos Lecteurs ont la Parole - Ghada JABAK

La plaie

Je me réveille ce matin, et comme certains matins, depuis ton départ, je pense à toi. Ton café est prêt. Tes cigarettes aussi.
Des matins, comme ce matin, tu arrives sans dire « Bonjour », et tu me surprends en train de penser à toi. Tu m'attrapes en délit, tu me souris. Tu me dis : « C'est pas grave. La douleur finira par s'apaiser. » J'aime te croire, mon amie, je veux te croire, Alia, mais la douleur est cuisante. Et je pense à la tienne. La tienne était écrasante, horrible, inimaginable. Je camoufle la mienne, j'ai honte devant toi. Je la cache aussi des yeux des proches et des étrangers, mais elle m'accompagne parfois et ne me lâche pas. Et je me trouve en train de pleurer comme une imbécile derrière le volant ! Comment peut-on survivre suite à la perte d'un être chéri ? Suite à la mort de son enfant ?
Mais nous ne sommes pas supposées enterrer nos enfants ! Quelle loi divine nous l'impose ?
Et depuis que tu es partie, je me sens abandonnée. Ton corps a lâché prise, non parce qu'il ne supportait pas la douleur, mais parce qu'il ne t'obéissait plus. Et tu m'as lâchée... Je t'en veux, ce matin. Le même drame s'est produit hier. Le même. Une mère a perdu son enfant. Une mère, Alia, comme toi, comme moi, comme n'importe quelle mère au monde. Et la plaie est rouverte, elle saigne à nouveau. Ta Maïssa est partie, sa Yara est partie... Que de belles jeunes filles !
Jeunes et belles comme le jour !
Alia, aujourd'hui plus que jamais, je pense à ta douleur, à ton courage. Tu m'as appris que nous sommes femmes, mais des mères avant tout et après tout. Une damnation et une bénédiction à la fois. Nos enfants, nous les nourrissons au sein de nos ventres, nous les chérissons par nos caresses et les aimons même avant qu'ils ne prennent leur première bouffée d'air. Ils sont en nous. En nous. Ils grouillent de vie, eux, c'est la Vie. Rien de plus cher et de plus beau que de mettre au monde un enfant. Le voir grandir, lui changer ses couches, l'aider à faire ses premiers pas, lui apprendre l'alphabet, et j'en passe... Trop de beaux souvenirs, souvenirs vivifiants surtout. Et nous avons envie de vivre pour lui et avec lui. Nous sommes mères. Êtres choisis, bénis et missionnaires d'amour.
Avec eux, la vie devient un rêve. Un très beau rêve. Et nos éclats de rire nous attirent les envies, ceux de la Faucheuse. Damnée soit-elle ! Elle nous envie notre petit bonheur, nos êtres chéris. Et d'un coup, sans préparation, sans avertir, elle nous les arrache !
Et nous nous demandons pourquoi. Injustice ?
Fatalité ? Châtiment ? Mise à l'épreuve ? Et quelle épreuve ! Cette épreuve nous coupe en deux, nous prive de respirer. On est atteint dans ce que nous chérissons le plus. Cris sourds. Silence de mort. Et nous pleurons. Nous ne pouvons manifester la douleur que par des larmes silencieuses, larmes au goût amer. Et l'envie de vivre nous abandonne...
Et pourquoi nous ? Pourquoi sommes-nous choisies ? Quelle est notre faute ?
Nous revoyons le fil des événements, notre fil de vie, leur fil de vie, oui fil. Mais c'est peine perdue. Nous essayons de trouver une justification, mais c'est en vain. La mort n'a pas de justification. Mais nous ne sommes pas satisfaites, et nous ne nous lassons pas à la recherche de réponses. En vain. Et nous nous torturons pendant des années sans répit à vouloir savoir le « pourquoi ». C'est pourtant simple, en chemin, quelque chose a mal fonctionné. Et nous n'en sommes pas responsables. Non, ce n'est pas de notre faute.
Le « pourquoi » n'a pas d'importance devant la grandeur de la catastrophe que nous subissons. Nous subissons, c'est tout. Nous n'aurons droit qu'à la souffrance et à la mort intérieure. C'est tout. Absurde, je sais.
Puis finalement, on se raisonne et on se tait.
Avec du recul, nous concluons que notre faute est, peut-être, d'avoir trop aimé. Et plus on aime, plus on souffre, tu le sais. D'ailleurs, c'est toi qui m'as appris qu'« il faut s'aimer à tort et à travers »... Parce qu'après, ce sera trop tard.
Alia, un dernier mot, et j'espère de ne t'avoir pas peinée en remuant le couteau dans la plaie... Tu me manques, le sais-tu ?

Ghada JABAK

Je me réveille ce matin, et comme certains matins, depuis ton départ, je pense à toi. Ton café est prêt. Tes cigarettes aussi.Des matins, comme ce matin, tu arrives sans dire « Bonjour », et tu me surprends en train de penser à toi. Tu m'attrapes en délit, tu me souris. Tu me dis : « C'est pas grave. La douleur finira par s'apaiser. » J'aime te croire, mon amie, je veux...

commentaires (2)

HOMMAGE AUX MÈRES !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 45, le 31 juillet 2015

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Commentaires (2)

  • HOMMAGE AUX MÈRES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 45, le 31 juillet 2015

  • Oui ta Alia avait raison...il faut vivre pour continuer a Aimer a tort et a travers...

    Houri Ziad

    17 h 51, le 31 juillet 2015

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