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Lifestyle - Liban pop

Le hakawati ne reviendra peut-être plus quand reviendra le ramadan

Le mois de jeûne a toujours été rythmé par des traditions anciennes. Dans son kombaz et sous son tarbouche traditionnel, le conteur d'histoires ramenait à la vie des épopées et aventures chevaleresques d'un autre temps.

Nazih Kamareddine, le dernier des mohicans ?

Fugitif fut ce mois de ramadan qui touche déjà à sa fin, ramenant très bientôt les fidèles à un train de vie normal loin des nuits éveillées, des matins paresseux, des repas conviviaux, des lanternes dans les rues et les jardins, des guirlandes aux balcons, et des appels répétitifs à la prière et au partage. Mille ans plus tard, la magie du ramadan a continué d'opérer durant ce mois d'été, partout dans le monde arabe et aussi au Liban. Dans les ruelles étroites de Saïda, tout comme sur les grandes places de Tripoli et dans les rues de la capitale, les citadins ont perpétué des traditions ancestrales, se réunissant autour d'un iftar, chaque soir, quand retentit l'appel du muezzin au son du canon. Avant de se retrouver tard dans la nuit dans des cafés pour se gaver de douceurs arabes diététiquement mortelles, et que passe le « moussahharati » pour réveiller au son du tambour les plus paresseux.

Autrefois, les « moussahharati » étaient très nombreux à Beyrouth. Certains, comme Abou Rustom el-Bilani ou Abou Saïd Omeich, étaient devenus vers la fin du siècle dernier de véritables superstars. Des figures symboliques du mois de jeûne, alors que les enfants jouaient encore dans les rues à l'épée et au bouclier, puis frappaient aux portes pour demander du gaz et allumer leurs lanternes. Car si ce mois particulier continue d'être bercé par des traditions anciennes, d'autres ont malheureusement été perdues au fil des ans, déchues surtout par le modernisme des « tentes du ramadan » et de certaines séries télévisées aux productions farfelues. Ainsi, dans ce paysage de ramadan, une figure familière des fidèles musulmans en a payé le plus grand prix : le « hakawati », ce charmant « conteur d'histoires ».

Plein d'enthousiasme et devant un large auditoire, le « hakawati » avait le don de narrer toutes sortes d'histoires en interprétant plusieurs personnages, tenant en haleine un public conquis jusque tard dans la nuit. Un métier ? Oui. Un art aussi. Tant il est vrai qu'aussi bonne que soit une histoire, tout est dans l'art de la raconter. Celui de retenir toutes sortes d'épopées, de déborder d'imagination et aussi d'improviser. Autour du « hakawati » se pressaient des dizaines d'enfants et d'adultes, guettant le moindre de ses gestes, mimiques et coups de canne. Dans son « kombaz », une robe de taffetas rayée, et coiffé de son tarbouche traditionnel, ce magicien-conteur ramenait à la vie et souvent de manière très poétique les aventures chevaleresques de l'esclave affranchi Antar ben Chaddad et ses amours malheureuses avec Abla, sa dulcinée.

Certains, comme le hajj Ibrahim al-Hakawati, célèbre conteur de Saïda dans les années 60, ne montaient jamais sur scène sans leur livre d'histoires sous le bras afin de donner à leur métier tout le sérieux qu'il mérite. À la même époque, également, Ahmad Khalifé, alias le notable beyrouthin Aboul-Abed, en fait le plus célèbre « hakawati » du Liban, se produisait à Basta. Talentueux acteur, il rapportait tout au long du ramadan des histoires venues de lointains déserts, celles de Antara et d'Abou Zeid el-Hilali, dans les cafés de Tallet el-Khayat, al-Farouk ou encore le café Abou el-Nour. À sa mort, en 2009, il semblerait que le Liban ait perdu le dernier de ses hakawatis... ou presque.

Un patrimoine populaire
Aujourd'hui, à Tripoli, vit un acteur que l'on pourrait qualifier de « hakawati » authentique. Du haut de ses 55 ans, Nazih Kamareddine prend très à cœur son métier, ce « patrimoine » qu'il veut préserver. Si, durant le mois du ramadan, il ne se produit pas chaque soir dans des cafés, comme le faisaient ses prédécesseurs, il est souvent sollicité pour des représentations spéciales. Son atout ? Un jeu ancré dans la tradition avec un zeste de modernité comique. En narrant l'histoire de Antara, qu'il est capable de prolonger aussi indéfiniment que le faisait Schéhérazade, ce « hakawati » n'hésite pas à raconter comment il a piqué une crise de colère quand Abla n'a pas répondu à ses appels téléphoniques ou encore comment elle a osé le gifler quand il lui a lancé un « good morning » très amical.
« Le but est de présenter les histoires avec un twist, souligne le comédien qui est généralement accompagné d'une dizaine d'acteurs. Mais je tiens toujours à raconter une partie de l'histoire originale à la fin de la représentation. Il m'importe de contribuer à la sauvegarde de ce patrimoine porteur de messages et que malheureusement peu de gens sont soucieux de sauver, surtout au Liban. »

Le « hakawati » ne manque pas, en tout cas, d'aborder également des sujets d'actualité, comme l'histoire de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, qu'il avoue admirer. « Dans le temps, les "hakawatis" travaillaient tout au long de l'année, surtout en hiver. Aujourd'hui, c'est à peine si nous offrons 5 ou 6 représentations durant le ramadan, déplore-t-il. Certains essaient de tenir le rôle de « hakawati » mais ne réussissent pas. C'est pour cela que j'ai essayé de réunir un groupe d'enfants pour leur apprendre ce métier, mais ils doivent être talentueux, et ce n'est pas facile. Malheureusement, tout porte à croire que ce métier, qui a vécu des milliers d'années, est voué à disparaître bientôt... »

 

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