L'équipe de Tammam Salam a réussi hier, pour la seconde fois en deux semaines, à résister aux coups de boutoir du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, plus que jamais déterminé à imposer sa façon d'interpréter l'exercice par le Conseil des ministres des prérogatives présidentielles en l'absence d'un chef de l'État.
L'escalade annoncée la semaine dernière par son chef, Michel Aoun, après la réunion du gouvernement qui avait occulté, au grand dam des ministres aounistes, le dossier des nominations sécuritaires et approuvé, malgré leur opposition, des subventions à l'exportation de produits agricoles et industriels, s'est manifestée en deux temps et à deux niveaux hier.
En Conseil des ministres où le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, a attaqué de front Tammam Salam, avant même que les photographes et cameramen n'aient fini de prendre les photos traditionnelles ; et dans la rue, où plusieurs dizaines de partisans aounistes ont essayé d'investir la place Riad el-Solh. L'offensive médiatisée de Gebran Bassil, si elle a eu pour effet de faire perdre ses nerfs au Premier ministre et de galvaniser les partisans du CPL qui, rassemblés au niveau de Sin el-Fil, attendaient un signal pour « marcher » vers le Sérail, n'a pas été cependant suffisante pour mobiliser la rue aouniste. La manifestation orange organisée devant le Sérail s'est davantage distinguée par le bruit qu'elle a provoqué que par le nombre des protestataires.
Aux cris émanant de la place Riad el-Solh faisaient écho les hurlements en Conseil des ministres où Gebran Bassil était arrivé avec une copie de la Constitution sous le bras. « Voici mon ordre du jour pour aujourd'hui », lâche-t-il. « Très bien ! C'est le moment ou jamais pour commencer à la lire », rétorque Boutros Harb (Télécoms).
(Lire aussi: La manifestation du CPL tourne à la confrontation avec les forces de l'ordre)
Les ministres savaient que la séance ne serait pas de tout repos mais ne s'attendaient pas à un tel esclandre. Gebran Bassil n'a pas attendu l'ouverture officielle. La voix suffisamment élevée pour couvrir le crépitement des flashes et le brouhaha des conversations de ses collègues, il déclare : « Je voudrais soulever une violation de la Constitution et une atteinte flagrante du Premier ministre aux prérogatives du président de la République. » Tammam Salam le regarde avec stupeur avant de lever la main pour l'empêcher de poursuivre : « Ces propos sont inacceptables. La séance n'a pas été encore ouverte et je ne vous ai pas autorisé à prendre la parole. » Mais Gebran Bassil ne l'entend pas de cette oreille. Poursuivant sur sa lancée, il accuse le chef du gouvernement de « spolier les droits des chrétiens ». Ce dernier l'interrompt de nouveau, en hurlant et en tapant du poing sur la table, pendant que les agents de l'ordre se précipitent pour pousser les photographes vers la sortie. « Si mes propos ne te plaisent pas, tu es libre de faire ce que tu veux... ». Un tonnerre d'applaudissements se fait entendre dans la pièce, ponctué des hurlements du groupe de ministres qui ont volé au secours de Tammam Salam : Mohammad Machnouk, Rachid Derbas, Nabil de Freige, Boutros Harb, Sejaan Azzi, Alain Hakim, Ramzi Jreige, Alice Chaptini et Abdel Mouttaleb Hennaoui. Disons que le langage employé n'était pas habituel. « J'ai le droit de dire ce que je veux, quand je veux. Sur cette table, je suis le président de la République, en l'absence d'un président », martèle Gebran Bassil. Le chef du gouvernement lui lance à la figure : « Baisse ta voix. Pour qui tu te prends ? Sois poli en Conseil des ministres. Tu m'attaques du palais Bustros et tu m'accuses de spolier les prérogatives du président. Cela fait un an et demi que je te supporte toi et ton bloc et que je supporte vos caprices. »
Waël Bou Faour (Santé) bondit à son tour. « Honte à toi, lance-t-il à l'adresse de Gebran Bassil. Tais-toi et adresse-toi avec respect au chef du gouvernement », vers qui il se retourne ensuite pour lui demander d'appeler quelqu'un qui escortera le ministre des AE à la sortie « à cause de son manque de politesse ». « Si tel est le langage de notre chef de la diplomatie, à quoi pouvons-nous nous attendre des autres? » s'indigne Akram Chehayeb (Agriculture).
Les alliés de M. Bassil gardent le silence puis Hussein Hajj Hassan (Industrie) tente de calmer le jeu et essaie de convaincre ses collègues de tenir compte des revendications du clan aouniste « par respect pour le partenariat, le pacte national et le mécanisme de fonctionnement du Conseil des ministres ». Mais le chef de la diplomatie persiste et signe : « Je suis le président de la République en l'absence d'un président », ce à quoi plusieurs ministres du camp opposé finissent par répondre : « Nous, les 24 ministres, représentons le président et pas toi. C'est de l'arrogance pure ! »
La querelle s'éternise. Tammam Salam réaffirme l'importance de l'élection d'un président et souligne l'importance de la cohésion en Conseil des ministres pour traverser cette étape critique de l'histoire du pays et de la région, tout en relevant que son équipe n'est pas habilitée à régler les problèmes politiques mais à gérer les affaires du pays et de la population, en attendant l'élection d'un président. Mais Gebran Bassil n'a qu'une obsession : « Les prérogatives du président en Conseil des ministres. » Chez certains ministres, la consternation l'emporte sur la colère : « À ce train-là et compte tenu de ce langage de charretier, c'est un mécanisme moral dont nous avons besoin, avant un mécanisme constitutionnel », murmure Sejaan Azzi (Travail).
Nouhad Machnouk (Intérieur) intervient en proposant de discuter du mécanisme du fonctionnement du Conseil des ministres, tout en faisant sortir Gebran Bassil de la pièce vers une salle adjacente, suivi de Mohammad Fneich et de Hussein Hajj Hassan. Quelques minutes plus tard, M. Machnouk revient et se dirige vers le chef du gouvernement en insistant sur la nécessité de circonscrire le problème avant la levée de la séance et en le priant de trouver un compromis. Tammam Salam rejoint le petit comité. Tous reviennent un peu plus tard et le Premier ministre annonce le report de l'examen de l'ordre du jour dont un seul point sera approuvé, celui du déblocage des fonds dus par le ministère de la Santé aux hôpitaux, en raison de son caractère humain et urgent. Il annonce également que le mécanisme de fonctionnement du Conseil des ministres sera à l'ordre du jour de la prochaine réunion du cabinet, prévue après le Fitr, soit dans deux semaines.
Plusieurs ministres ne sont pas d'accord avec ce procédé, notamment Hassan Ali Khalil ainsi que les ministres du PSP et des Kataëb, partant du principe que ce genre de compromis doit être discuté en Conseil des ministres et non pas lors de réunions secondaires.
La réunion prend fin en queue de poisson, encore une fois sans vainqueur ni vaincu.
Lire aussi
La politique du n'importe quoi..., le commentaire de Michel TOUMA
Une source constitutionnelle dénonce « un nouvel abus de minorité »
"la prochaine réunion du cabinet, est prévue après le Fitr, soit dans deux semaines" tres bien. mais qui va s'occuper entretemps du probleme des dechets qui vont nous envahir a partir du 17 juillet, fete de ramadan ou pas? aucun de nos chers 24 ministres n'y a pense? il faudrait que les citoyens aillent jeter leurs poubelles devant la maison du ministre le plus proche de la leur!! peut etre bougeront-ils alors......
15 h 11, le 10 juillet 2015