Elle a été l'un des derniers lieux à être évacué par l'armée syrienne, le 27 avril 2005, « le dernier », martèle son propriétaire Ray Baroudi. La villa Aïda Baroudi, perchée sur la colline de Tallet Tamraz, dans la localité de Douar, dans le Metn, a connu de grands moments de gloire mais aussi d'horribles années noires, de guerre et d'occupation.
Construite en 1959 et habitée à partir de 1962, la villa Baroudi, avec son allure élégante et ses pierres jaunes, était l'une des plus belles de la région. Présentant 1 185 m2 de superficie sur un terrain de 2 457 m2, la bâtisse, entourée d'une forêt de pins, surplombe Beyrouth, les villages du Metn, ainsi que le Kesrouan. C'est son emplacement stratégique qui lui a valu son occupation durant de longues années.
Aujourd'hui, dix ans après l'évacuation des lieux par l'armée syrienne, l'imposante villa à l'instar de tant d'autres dans la région, n'a toujours pas été restaurée. Son propriétaire a nettoyé l'intérieur des ordures laissées par l'armée syrienne, a bouché quelques trous provoqués par les obus, et a repeint les murs couverts de suie de peinture blanche.
« Il faudra 700 000 dollars pour que la villa redevienne habitable. Beaucoup plus, pour qu'elle retrouve sa splendeur passée », indique Ray Baroudi.
À l'instar de toutes les bâtisses occupées par l'armée syrienne, la villa Aïda Baroudi a subi de lourds dégâts : les cadres des portes et des fenêtres ont été démontés, des pierres, des colonnes décoratives, mais aussi des prises et des fils électriques ont été volés, les cuisines et les salles de bains – jusqu'à la porcelaine – démantelées... Comme partout ailleurs, les soldats syriens avaient construit des murs pour diviser les imposantes salles de réception. Ils avaient également fait des feux de bois à l'intérieur de l'habitation pour se réchauffer.
« Elle a été occupée de 1990 à 2005 par les forces spéciales de l'armée syrienne », raconte M. Baroudi, parlant de cette maison qui l'a vu grandir. « C'était une résidence secondaire, un lieu d'estivage, mais elle était équipée de tout et l'on passait souvent nos week-ends d'hiver ici. Nous avions le chauffage central et des cheminées. Cette villa a vu défiler toute la République, des chefs d'État aux Premiers ministres en passant par les grands argentiers. Pour les fêtes de l'Assomption (15 août), de la sainte Croix (14 septembre) et de saint Grégoire (30 septembre), nous célébrions la messe dans la rue devant la villa et nous préparions une grande invitation », se souvient-il.
Trois ans pour y mettre les pieds
Les Baroudi habitent cette résidence jusqu'en 1978, date à laquelle l'armée libanaise la transforme en poste d'observation. « Deux ans avant 1978, la troupe occupait l'étage du bas (initialement consacré aux invités) et nous habitions le duplex. Puis la région est devenue dangereuse, une ligne de démarcation, une zone militaire », se souvient-il.
L'armée creuse des tranchées dans le jardin, installe son artillerie, la villa et ses alentours ont été bombardés à plusieurs reprises.
Le 13 octobre 1990, quand le général Michel Aoun, alors chef du gouvernement de militaires, quitte le palais de Baabda pour l'ambassade de France, l'armée libanaise se voit contrainte de remettre la villa Baroudi, à l'emplacement stratégique, à une unité de l'armée syrienne.
Ray Baroudi et ses frères ont attendu trois ans après le retrait syrien pour remettre les pieds dans la villa. « Un jour, un ami m'a appelé pour me dire qu'il avait vu une circulaire d'EDL accrochée à l'entrée... », dit-il. Il était temps d'y aller. « Quand j'y ai mis les pieds, j'ai vu l'enfer. L'enfer que l'armée libanaise a enduré et l'enfer créé par l'occupation syrienne », souligne-t-il.
Sa mère, Aïda, qui avait donné à la villa son cachet et ses moments de gloire, était décédée en 1995. Jusqu'à aujourd'hui, elle reste étroitement associée à l'endroit. « Ma mère, avec sa générosité, sa foi, sa force, sa sincérité et sa gentillesse, a fait de moi la personne que je suis aujourd'hui », eplique Ray Baroudi.
En montrant la villa, ou du moins ce qui reste de son prestigieux passé, Ray Baroudi s'arrête dans un espace qui séparait la chambre de sa mère de l'entrée et des autres chambres. Il récite une prière devant l'endroit vide. « Ma mère avait érigé ici un autel à la Sainte Vierge. Non loin du chauffage (démonté bien sûr par l'armée syrienne), il y avait une table surmontée d'une statue de la Vierge », dit-il.
Ray Baroudi poursuit son tour dans l'immense villa, montre les imposantes salles de réception, les chambres, les lieux consacrés au personnel de maison, le grand appartement des invités, ce qui reste de la piscine, du patio et du jardin où la famille avait planté des arbres fruitiers.
Son souvenir le plus vif : « Je me rappelle quand ma mère faisait venir chèvres et brebis des villages voisins pour recueillir leur lait sur place afin de faire préparer yaourt, fromage et labné », dit-il.
Dix ans après le retrait syrien du Liban, la villa Aïda Baroudi, à l'instar d'autres endroits occupés puis évacués par les troupes de Damas, attend avec impatience de revivre.
Pour mémoire
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Les lieux et bâtiments devenus des symboles de l’implantation des SR syriens
commentaires (3)
Avec un peu de chance et une bonne expension de daech plus un recul de hezb qui déffent nos frontières. Ce pourrait etre aux artistes de l'EI qu'il reviendra de lui faire retrouver sa splandeur d'antan.
Ali Farhat
03 h 19, le 10 juin 2015