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Deux magots*

Ces peintures pastorales, ce cache-radiateur en acajou, cette paire d'angelots sur le cache-radiateur et cette paire de bougeoirs de bronze, cette paire de canapés beige disposés en angle. Les caméras s'attardent sans le voir sur ce décor bourgeois, strictement symétrique, un rien kitsch mais sans ostentation, confortable, juste comme il faut, comme se rêve au Liban un foyer ordinaire. Souvent, à l'heure du journal télévisé, c'est dans le salon de son domicile que le général Aoun invite les Libanais. Sur la table de centre, il y a des tasses de café, des verres d'eau qui traînent, un bouquet de fleurs fraîches, une boîte à kleenex en plexiglas. Faites comme chez vous. L'autre soir, dans ce sélemlik sans méchanceté, le général recevait Samir Geagea. Lequel s'est exclamé à son arrivée : « Si seulement cette rencontre avait eu lieu trente ans plus tôt ! » Bah oui, si seulement... Thérèse aurait encore sa fille et peut-être des petits-enfants, à l'heure qu'il est, et Georges aurait ses jambes. Youssef dormirait sans cauchemarder sur ces pauvres gens brûlés vifs dans l'abri, à Ballouné ; André aurait encore sa jolie maison d'été, à Kleyate, avec sa treille et ses rosiers. Les enfants d'Émilie auraient grandi sous le regard de leur père ; ils seraient peut-être restés, après tout. Qu'est-ce qu'il y a pour eux en Amérique? Dire qu'il les avait installés dans le Kesrouan pour les mettre à l'abri... Oui, si seulement.

Aoun/Geagea. Geagea/Aoun. Comme les deux faces d'une même médaille, ils étaient faits pour ne jamais se rencontrer. Pile, l'un attaque l'autre. Face, l'autre attaque le premier. Et leurs gens suivent. À leurs deux effigies sont liés les pires souvenirs de la guerre, si toutefois il était possible d'établir un ordre de grandeur dans l'horreur de ces quinze années. Pour solde de tout compte, l'un fut exilé, l'autre emprisonné, mais aucun des deux par un tribunal équitable ou en tout cas par une instance proprement nationale. Leur retour sur scène fut-il un cadeau pour les chrétiens du Liban en mal de représentation ? Rien n'est moins sûr. De nouveau on les reprit à s'étriper, souvent au sein d'une même famille. Il y eut un nauséeux courant de haine. Des amitiés se brisèrent, on creusa des tranchées, on éleva des barrages dans les salons naguère tranquilles, des salons avec des angelots et des bougeoirs par paires. Leurs deux faces de carême ramenaient des rancœurs contenues, des douleurs encore vives, des blessures mal cicatrisées. Oui, mais les chrétiens avaient besoin de « représentation » disait-on alors. La représentation devant être fidèle, elle le fut, sans aucun doute.

Voilà-t-il qu'ils tentent une réconciliation, comme c'est étrange. Acte 1, c'est drôle, de les voir ensemble ; c'est comme si on les revoyait après une longue absence. Les crânes se sont encore dégarnis, le cheveu a blanchi. Ils ont pris de l'âge. Ou plutôt, ils ont pris notre âge. Qu'ont-ils de nouveau à nous apporter, ces spectres d'une époque qu'on voudrait oublier ? Leur force, prétendent-ils, mais leur force, c'était notre ferveur. Qu'est-ce qu'il en reste ?

Fifi ABOU DIB

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* Magot : figurines réalisées en Europe, inspirées par celles du dieu chinois du Contentement (d'après le dictionnaire Larousse).

Ces peintures pastorales, ce cache-radiateur en acajou, cette paire d'angelots sur le cache-radiateur et cette paire de bougeoirs de bronze, cette paire de canapés beige disposés en angle. Les caméras s'attardent sans le voir sur ce décor bourgeois, strictement symétrique, un rien kitsch mais sans ostentation, confortable, juste comme il faut, comme se rêve au Liban un foyer...

commentaires (6)

Et dans le cadre purement libanais cette rencontre a pour but de sauver la face et préserver cet esprit folklorique tribal entre deux chefs qui étaient chefs depuis trente ans .

Sabbagha Antoine

22 h 35, le 04 juin 2015

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Commentaires (6)

  • Et dans le cadre purement libanais cette rencontre a pour but de sauver la face et préserver cet esprit folklorique tribal entre deux chefs qui étaient chefs depuis trente ans .

    Sabbagha Antoine

    22 h 35, le 04 juin 2015

  • Ile ne sont que deux hasbeen politiques qui ont fait leur temps sur le dos du million de chrétiens qui ont quitté le pays sans espoir de retour. Eh bien, Messieurs aux "crânes dégarnis", je dis : Dégagez !

    Un Libanais

    12 h 34, le 04 juin 2015

  • Très joliment écrit en effet mais un tantinet injuste parce qu'il ne prend pas en considération les faits. Lorsque Geagea a essayé a l’époque de rencontrer Aoun ce dernier avait tenté de le faire assassiner. Malgré le fait que le général avait lâché ses troupes contre les FL ses dernières l'ont soutenue dans sa guerre donquichottesque contre la Syrie. Par après nous connaissons tous les actions de Tapioca et les résultats. Mais je comprends que vous voulez garder une égale distance et qu’après tout la guerre a eu lieu et en effet Thérèse, Georges, André, vous et moi aurions eu une meilleures vies. A mon avis il vous faudra ouvrir la champagne et nous nous devons d'espérer que le général est sincère et que cette fois il reviendra sur le droit chemin. Ce sera pour le bien de tout le Liban. Nous sommes Chrétiens et en tant que Chrétiens nous n'oublions pas, mais pardonnons et continuons a espérer pour le bien de tous.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 20, le 04 juin 2015

  • Il ne faut pas oublier que les avatars fantômes sis Méërâââb et Râbïyéééh, ne cessent de vouloir à tout prix couper les jarrets uniquement de ceux qui ont quelque chance de porter les couleurs ternes de la croix du maronitisme coinnique. Quitte à prendre le risque, s’ils continuent de se substituer à eux, de se faire corriger par l’Ahwajéhhh après avoir été successivement étrillé par Lahhoûûûd, Sleïméééne et le H’réééwéh. Et 1, et 2 et trois-zéro!, entonnerait alors, à l'instar d’Amîîîne jadis, 1 droite maronite goguenarde et clanique. C'est sans doute le côté le + affligeant des indigènes chamailleries du maronitisme araméano-phénicico-libanais(h) : cette propension à démonétiser hargneusement tout éventuel futur champion présidentiel, mahééék, et à ravitailler inlassablement ses adversaires en munitions fraîches. Tout cela ; sans compter l'appoint d'1 niaise Orthodoxie extrême-laïque toujours prête, elle, à servir de tablïyéhhh ou d'escabeau à la droite maronite Nationale-Sociale et/ou alors à son extrême droite ; fait qu'il n'est pas exclu que ce peuple en décrépitude, Orthodoxe donc, doive se préparer à vivre encore quelques profondes désillusions ! Mais, comme pourraient le dire Mâräoûn du boSSfaïr-amer et le Docteuuur Samîr le Hakîm, reprenant 1 amusante formule du Sleïméééne Franegéhhh grand-père, 1 de leurs illustres tacticiens prédécesseurs et bien sûr et campagnard et stratège : "On nous dit que notre politique a échoué. Est-ce 1 raison pour y renoncer ?". CQFD !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 57, le 04 juin 2015

  • Tout est bien écrit et décrit ces deux personnages !Ils veulent que nous applaudissons pour leur retrouvaille ? et pourquoi pas ouvrir du champagne !!!! Quelle mascarade

    Hind Faddoul FAUCON

    07 h 39, le 04 juin 2015

  • Merci pour cet article,cible,franc,objectif...

    Soeur Yvette

    06 h 10, le 04 juin 2015

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