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Liban - Échos de l’agora

Pâques entre Jules et Grégoire

Dimanche 5 avril, c'étaient les Rameaux pour les chrétiens qui suivent le comput romain de Jules César imposé en 46 avant J.-C. ; mais c'était déjà Pâques pour ceux qui suivent le comput romain du pape Grégoire XIII introduit en 1582. Il est presque midi. Dans un des quartiers de Beyrouth, particulièrement dense en églises de diverses juridictions et de rites différents, tout le monde était à la fête, mais ce n'était pas la même partout.
Dans une rue, deux églises sont distantes de cinquante mètres à peine. Les orthodoxes célébraient les Rameaux par la procession traditionnelle qui consiste à ce que les papas portent leur progéniture en procession sur leurs épaules comme jadis l'âne de l'évangile porta Jésus de Nazareth entrant à Jérusalem. Cinquante mètres plus loin, cette procession n'avait plus aucun sens pour les paroissiens catholiques qui sonnaient la Résurrection. La procession orthodoxe des Rameaux coïncida avec la sortie de la grand-messe pascale des catholiques. La juxtaposition de ces deux événements, à calendriers distincts, en un même lieu avait quelque chose de surréaliste, d'autant plus qu'un grand nombre de familles libanaises chrétiennes sont « mixtes », si on peut dire, quant à l'affiliation à l'une ou l'autre église.

Certes, la joie était présente et sincèrement exprimée chez les uns et les autres. Mais les uns et les autres ne participaient pas aux mêmes réjouissances. Et pourtant, tant les uns que les autres sont systématiquement mis dans une même catégorie dont on parle beaucoup actuellement : « chrétiens d'Orient », expression inadéquate et inopportune tant elle rappelle la « Question d'Orient » du XIXe siècle. Quand on parcourt les médias occidentaux, on a l'impression que tout ce qui se passe dans le monde arabe a pour pivot cette présence chrétienne en Orient dont le maintien, ou la protection, ou la survie, ou la défense constituerait l'enjeu principal des violences que subissent tous les peuples du Proche et du Moyen-Orient.
Lorsque les paroissiens des Rameaux et ceux de Pâques se croisèrent, que se dirent-ils ? Ils échangèrent des sourires, tout le monde se connaît après tout. Certains avaient même dû se partager entre les deux cérémonies, à cause de leur appartenance familiale. Qu'on le veuille ou non, la joie festive n'était pas pleinement partagée. On sentait même comme une gêne à peine exprimée, par pudeur, à travers des regards fuyants.

On sait bien que, depuis toujours, la date de Pâques n'est pas une affaire simple. On sait bien que, jusqu'au concile de Nicée (325 après J.-C.), chaque contrée, ou presque, célébrait Pâques à des dates différentes dans le cadre du même calendrier julien. Les choses se calmèrent jusqu'à la réforme du pape Grégoire XIII qui corrigea le calendrier solaire, mais introduisit également des modifications importantes pour le calcul des phases de la lune, indispensable pour fixer Pâques. Actuellement, on dispose de trois lunes différentes. L'astre de nos belles nuits bien entendu, mais qui est innocent dans cet imbroglio. Par ailleurs, il y a aussi la lune virtuelle du comput julien qui est celle des orthodoxes, sans compter la lune virtuelle du comput grégorien qui est celle des catholiques et des protestants. Tout cela peut faire sourire ; et pourtant, il n'y a pas autre chose pour expliquer les différentes Pâques si, bien entendu, on fait abstraction de la rigidité mentale des hommes qui s'obstinent à cultiver le narcissisme des petites différences. Qui a tort ? Qui a raison ? Tout le monde a bien entendu raison en fonction de tous les calculs arithmétiques possibles. Mais tout le monde a cruellement tort, cependant, en matière de présence chrétienne au milieu du monde musulman.

Quand on n'est pas capable d'avoir le courage simple et élémentaire qu'autorise la bonne volonté, quand on ne met pas en sourdine le narcissisme qui empêche de décider la célébration en commun des solennités pascales, on peut difficilement se présenter au monde comme un ensemble cohérent et parler d'une même voix, ou porter le même témoignage au sein de l'Orient.
La présence chrétienne en Orient n'est pas seulement affaire de décompte démographique des différentes juridictions. C'est aussi et surtout affaire de crédibilité, car c'est la crédibilité qui impose le respect. La non-célébration de Pâques en commun, au nom d'affiliations ecclésiastiques rivales, n'est pas un facteur en faveur de la crédibilité de tous. Avant d'appeler à l'aide tel ou tel puissant, les magistères ecclésiastiques feraient mieux de faire preuve de courage et de décider de mettre fin à ce qui n'est plus une fantaisie folklorique, mais quelque chose de douloureusement tragique dans le fait d'être chrétien en Orient.

 

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