Dans son édition datée du 6 mars, Le Figaro publiait, sous le titre « J'ai honte », un article poignant du grand poète libanais francophone, Salah Stétié (un pilier de L'Orient), dans lequel il exprime sa révolte face au comportement de ceux qu'ils qualifient d'« égarés » (entendre les jihadistes) à l'égard des chrétiens de la région. Émanant d'un musulman (sunnite), qui se positionne en tant que tel dans son article, ce cri de colère reflète la profonde crise existentielle qui secoue l'islam dans le contexte présent.
Le « J'ai honte » de Salah Stétié est partagé vraisemblablement par nombre d'intellectuels, de responsables et de citoyens musulmans et devrait, de ce fait, constituer l'acte fondateur d'un plan d'action stratégique transnational... Car il y va du sort de l'islam qui risque, à défaut d'un sursaut salutaire, d'être entraîné sur la voie explosive d'un obscurantisme moyenâgeux. Le cheikh d'al-Azhar, au Caire, ne s'y est pas trompé et a vite fait de mettre le doigt sur la plaie. Il soulignait le 22 février dernier, à La Mecque même, la nécessité de réformer les programmes scolaires afin de contenir l'extrémisme religieux. C'est effectivement sur ce terrain que les États et dirigeants musulmans éclairés sont appelés à agir pour sauver l'islam, en diffusant à un rythme soutenu, et continu, une culture de paix et d'ouverture, dans les mosquées, les écoles, les universités, les centres sociaux et autres espaces publics.
Mais la dérive qui ternit l'image de l'islam ne saurait être attribuée uniquement au laxisme de certains décideurs musulmans face à l'obscurantisme rampant. Nombre de dirigeants occidentaux et étrangers, plus précisément au sein de l'actuelle administration Obama et du pouvoir en place à Moscou – sans compter l'establishment israélien –, assument une très large part de responsabilité dans la montée des courants extrémistes sur la scène régionale.
L'attitude ambiguë du chef de la Maison-Blanche à l'égard du régime syrien – notamment lors de l'inqualifiable épisode de l'utilisation des armes chimiques contre la population civile à Ghouta – constitue non moins qu'une garantie d'impunité octroyée à Bachar el-Assad, lequel ne se prive pas d'exploiter cette carte blanche que lui a octroyée de facto Washington pour poursuivre ses massacres et reprendre même le recours à des gaz qui sèment la mort à grande échelle. Et dans le même temps, l'administration US – à l'instar d'ailleurs du président Vladimir Poutine et des dirigeants israéliens – se cantonne à une déplorable politique de l'autruche face aux visées hégémoniques de l'Iran. Le conseiller du président iranien, Ali Younsi, vient de déclarer sans ambages que « le Moyen-Orient est une région iranienne et Bagdad est notre capitale ».
En se laissant prendre au cynisme de la realpolitik, l'on pourrait percevoir (sans pour autant l'approuver) dans cette stratégie de laisser-faire une volonté de plonger le M-O dans une guerre de cent ans sunnito-chiite pour déstabiliser l'ensemble de la région et satisfaire diverses raisons d'État ou ambitions géopolitiques. Et tant pis si ce blanc-seing plus ou moins tacite accordé à l'axe irano-syrien se traduit par un renforcement mutuel des courants radicaux chiites et sunnites. Sauf que les dégâts et les débordements sur ce plan ne sauraient se limiter aux seuls pays de la région. C'est désormais au cœur même de plusieurs sociétés européennes que le danger jihadiste se fait ressentir. Comment s'étonner dès lors de l'implacable islamophobie qui progresse dans nombre de pays de l'UE ?
Par ricochet, l'impunité consentie à Bachar el-Assad et à son parrain iranien se manifeste ainsi non plus uniquement par une montée aux extrêmes dans le monde arabe, mais aussi par un risque de tensions sociales grandissantes en Occident, sous l'effet de la vague hostile à l'islam qui prend de plus en plus d'ampleur dans le Vieux Continent. Les promoteurs de la realpolitik moyen-orientale feignent-ils donc d'oublier dans un tel contexte que le monde est devenu réellement un grand village ?
Pour mémoire
Pour un « après- 7 janvier » d'une autre nature
Merci M. Touma Vous donnez une leçon à tous ces prétendus experts du Proche et du Moyen Orient Bien sur, vous avez des chances que votre article ne plaise pas à la gangrène cancéreuse installée au Liban
01 h 37, le 11 mars 2015