Il était une fois un homme. Un passeur d'idéaux, mort pour une cause que tout le monde semble avoir oubliée. Il était une fois Gebran Tuéni, un homme assassiné par des tueurs de vérité, des massacreurs de liberté, des éventreurs d'intégrité. Déjà neuf ans depuis ce sinistre 12 décembre 2005...
Nous étions tous remplis d'espoir pour un Liban nouveau indépendant et souverain. Gebran Tuéni était et restera dans nos mémoires le cœur de la révolution du Cèdre. Soudant les rangs populaires, le 14 mars 2005, après l'assassinat qui avait coûté la vie au Premier ministre Rafic Hariri le 14 février, il avait prononcé son célèbre, inoubliable serment devant une foule d'un million de personnes.
En levant la main en signe de promesse éternelle, il nous avait fait entonner, tous ensemble, avec lui, son engagement, notre engagement fondamental, à nous unir, chrétiens et musulmans, pour ce Liban fort dont il rêvait. Qu'en reste-t-il ? Aujourd'hui, chiites et sunnites se combattent, et les chrétiens divisés n'arrivent même plus à se mettre d'accord pour élire un président de la République.
Gebran Tuéni aurait-il compris que nous ayons si bien réussi à détruire, enlaidir et paralyser notre pays ? Aurait-il accepté que les députés nous imposent en toute indécence la prorogation de leur propre mandat ? Aurait-il accepté notre incapacité à pouvoir élire un président ? Enfin, aurait-il imaginé que le Hezbollah offrirait des martyrs à la Syrie afin de défendre le président Assad au lieu de combattre Israël ? N'aurait-il pas déploré l'égoïsme profond de la classe politique dans son ensemble, qui a fait acte de non-gouvernance, précipitant notre pays dans un trou noir, le résumant à des querelles de convoitises personnelles ? N'aurait-il pas dénoncé, de sa plume éprise de justice, leurs infidélités vis-à-vis du Liban pour servir leurs ambitions mesquines ?
Rétrospectivement, nous pouvons aujourd'hui, sans risque, nous poser la douloureuse question, autant pour lui que pour la longue liste des martyrs qui a suivi. Est-il mort pour rien ? Et, plus triste encore, est-il mort pour une cause qui est morte aussi ?
Fracassée avec lui, notre lutte pour la liberté. Détruit avec lui, l'espoir d'une renaissance désormais réduite à une profonde soumission. Emporté avec lui, l'optimisme du printemps de Beyrouth... On dit que la vie est une hésitation entre une exclamation et une interrogation. Dans le doute, il y a un point final. Il faut croire, hélas, que nous avons trop hésité.
Le Liban serait-il mort avec Gebran Tuéni ? Et si nous n'avons pas su jusqu'ici honorer la cause pour laquelle il a payé de sa vie, saluons maintenant sa mémoire, ainsi que celle d'un Liban que nous avons tant aimé.
Nos Lecteurs ont la Parole - Sabine BUSTROS
Que reste-t-il du Liban de Gebran Tuéni ?
OLJ / le 13 décembre 2014 à 00h00
commentaires (5)
MAGNIFIQUEMENT exprimé! Bravo bravo bravo!
Abdallah Shirine
12 h 22, le 15 décembre 2014