Cette caricature... Une table. De salon ? De dialogue ? De poker ? À repasser ? De multiplication ? De vérité ? De nuit ? Peu importe. Des deux côtés de cette table drapée d'un immense tapis, dans une (im)posture improbable de catcheurs de supérette, petits biceps tendus à l'extrême, deux hommes sont en plein bras de fer, jouant, naturellement, à qui perd gagne : Michel Aoun et Samir Geagea. Qui ne voient pas ce qui se passe sous la table. Là, deux hommes ont débandé leurs muscles, collé deux maxisourires dentifrice carnassiers, et exhibé, show off jusqu'au bout, deux mains serrées sur un deal poisseux : Hassan Nasrallah et Saad Hariri. Intelligente, chiadée dans le fond comme dans la forme, une caricature a vertu d'éditorial.
Le programme de l'avant-fêtes, entre sapins, boules de cristal, cotillons et champagne (ou jus de dattes), est glorieux. Surtout si l'on n'oublie pas qu'au Liban, deux concepts se disputent la palme du non-sens, du creux, de la poudre aux yeux et du stérile : l'union nationale et le dialogue. Justement : le courant du Futur et le Hezbollah (qui a depuis longtemps ingéré puis digéré le mouvement Amal de Nabih Berry) vont (re)lancer un énième... dialogue. En attendant, ce qui reste d'institutions ou de processus constitutionnels non paralysés se figera et attendra, comme toujours dans ce pays, que les pourparlers aboutissent, ou pas. Sauf que, cette fois, ce dialogue est le comble de l'inutile.
À tous les niveaux.
La forme : ceux qui s'imaginent que rien que l'image de Nader Hariri et de Ali Hassan Khalil/Mohammad Raad dans la même pièce réussirait à résorber la haine absolue qui ravage sunnites et chiites dans le monde en général et au Liban en particulier se plantent le doigt dans l'œil jusqu'aux rotules. Le mal est fait, et le mal vient de beaucoup, beaucoup plus loin : il se nourrit chaque jour du 14 février 2005 et des lambeaux de Rafic Hariri ; il se nourrit du 7 mai 2008 et de l'Anschluss meurtrier de Beyrouth par la milice hezbollahie ; il se nourrit du bannissement politique, en mode one way ticket, c'est ce que le 8 Mars avait répété, de Saad Hariri ; il se nourrit du mercenariat du Hezb en Syrie aux côtés du Ceaușescu du Barada ; il se nourrit de l'amalgame constant et insensé que commettent heure après heure de grands responsables libanais et pas des moindres entre les jihadistes terroristes et barbares de l'État islamique et d'al-Nosra et la totalité de la communauté sunnite. Sans compter aussi, bien sûr, tous les ressentiments, toutes les douleurs, toutes les injustices que la communauté chiite a subis avant l'auto-intronisation du Hezb en mini-État omnipotent, omniscient et omniprésent. Cela fait beaucoup pour les seules épaules du binôme Hariri-Nasrallah. Le fond : le Futur et le Hezb peuvent se rendre compte qu'ils ont tout à gagner en dynamitant leur animosité désormais viscérale, en taisant leurs rancœurs et leurs ressentiments ; ils peuvent même pousser Michel Aoun et Samir Geagea à se pacser à Paris, tout cela ne servira strictement à rien si Téhéran et Riyad ne dialoguent pas, s'ils ne s'entendent pas, fût-ce sur un minimum syndical.
Et pour cela, Barack Obama est indispensable. Cela tombe bien : il semblerait bien que la claque retentissante que son camp a reçue aux élections de mi-mandat l'ait réveillé. D'une façon ou d'une autre.
P.-S. : Chaque Libanais peut être Ali Bazzal. Un Ali Bazzal écrasé entre une abominable barbarie islamiste qui n'a plus rien à perdre et un hezbollahisme de plus en plus désinhibé, arrogant et goguenard. Un Ali Bazzal perdu, seul et grelottant, à l'image d'un État vampirisé jusqu'au moindre de ses balbutiements. Avant que d'être assassiné par ses ravisseurs, cet homme, sans doute héroïque jusqu'au dernier moment, comme avant lui les trois autres soldats assassinés, est mort cent et une fois : les monstres imposaient constamment une incertitude et de faux espoirs pires que n'importe quelle décapitation. À leurs otages, aux familles de ces otages, et, par-delà, à tous les Libanais. Mais qu'importe tout cela : on va dialoguer. Aussi obscène que cela soit.
Le plus minable dans ce dossier de dialogue de voir les chrétiens en pions soumis, du jamais vu depuis les ottomans ou malgré tout à cette époque ils étaient plus libres au moins .
11 h 39, le 06 décembre 2014